

L’idée commerciale crée sans nul doute une forte demande mais profite finalement à un tout petit nombre: les tours opérateurs connus sous l’appellation “zéro dollar” prolifèrent en Asie où les coûts de transports, de l’hébergement et de la restauration peuvent être bien maîtrisés. Le concept est simple et ne concerne pour l’instant que les touristes chinois : des entreprises locales du pays d’accueil - la Birmanie dans notre cas - proposent des circuits “tout compris” à un prix minime, parfois nul, et se rémunèrent sur les emplettes des dits touristes dans les nombreuses boutiques qui émaillent le parcours du séjour. Au final, le visiteur voit peu de Shwedagon, de pagodes de Bagan ou de Palais Royal mais beaucoup d’ateliers de gemmes et bijoux, d’échoppes de tissus et vêtements comme d’enseignes de souvenirs multiples, magasins qui dans ce cas partagent tous les mêmes caractéristiques : prix élevés des produits pour une faible qualité. Les achats se font à travers des plates-formes de paiement comme Alipay ou WeChatPay, détenues par des entreprises... chinoises. Bien entendu, les diverses boutiques visitées paient en retour une commission à l’agence de voyage. Ajouter à cela que si ces agences de tourisme sont locales du point de vue juridique - dûment enregistrées en Birmanie - elles sont presque toutes financièrement détenues par des entrepreneurs chinois, tout comme d’ailleurs le réseau de boutiques associées. Au mieux, l’aubaine se transforme vite en piège à dépenses ; au pire, ce sont de véritables arnaques dont les touristes naïfs sont victimes. Ce procédé commercial s’est rapidement répandu en Thaïlande, en Corée du Sud, au Cambodge ou en Indonésie, notamment à Bali. Évidemment, le système ne profite guère au pays d’accueil et même souvent lui nuit, l’essentiel des flux transitant par les plates-formes ne générant aucun revenu pour le gouvernement local, les bénéfices restant dans un cercle limité, les populations locales ne profitant pas de la manne. En outre, quand les touristes sont victimes d’arnaques évidentes, ils en veulent avant tout au pays visité et le dénigre fortement à leur retour en Chine. Enfin, les grands groupes de touristes chinois suscitent parfois de vives réactions de la part d’autres touristes, avec là encore des retombées négatives pour l’image du pays d’accueil. Les effets pervers sont tels que les autorités thaïlandaise ont fini par interdire ce type d’opération et au Népal, ce sont les applications AliPay et WeChatPay qui ont été bannies. En Birmanie, les professionnels du tourisme qui ne pratiquent pas ces tours “zéro dollar” appellent désormais les autorités à réagir et à y mettre fin car ils considèrent que cette pratique est l’une des causes principales, à côté des nombreuses agences illégales, du marasme relatif du secteur touristique birman où malgré un nombre de visiteurs en hausse, à peine une centaine des quelques 2 000 opérateurs de tourisme officiellement enregistrés parviennent à tirer leur épingle du jeu, selon un rapport de l’Union des agences de tourisme de Birmanie. Si aucune étude ne chiffre encore le manque à gagner pour la Birmanie, ce manque est certain au vu des mauvaises expériences des pays voisins, notamment la Thaïlande, face au “zéro dollar”. Pour la Birmanie, le sujet est sensible. L’un des facteurs qui ont facilité le travail des opérateurs “zéro dollar” est l’octroi de visa à l’arrivée pour les citoyens chinois depuis octobre dernier, et ce pour une durée de 1 an. Cette mesure a entraîné une hausse de 30% des visiteurs venant de l’Empire du milieu dont le nombre s’élève à 650 000 sur les 4 premiers mois de l’année 2019. Ils ne sauraient tous être des voyageurs “zéro dollar” et le problème est donc désormais de trier le bon grain de l’ivraie. Dans le même temps, là encore pour faciliter les échanges avec le voisin géant de l’Est, en avril dernier la banque centrale de Birmanie a autorisé pour une période d’essai de 3 mois l’application WeChatPay à opérer dans 14 zones touristiques. Pour les autorités birmanes il devient donc urgent de faire la part des touristes chinois réellement désireux de visiter et connaître la Birmanie, et ils sont bien sûr nombreux, comme des hommes d’affaires chinois en continuant de leur faciliter la vie, et d’empêcher les abus de marchands de rêves qui exploitent tant les visiteurs que les visités, au grand dam d’une industrie touristique birmane mal structurée et mal préparée à une concurrence parfois déloyale dans un pays dont chacun s’accorde à reconnaître le fort potentiel d’attraction et qui va donc susciter de plus en plus de convoitises.
