Édition internationale
Radio les français dans le monde
--:--
--:--
  • 0
  • 2

J. Kieusseian, celui qui aide les Birmanes à échanger entre elles

Jonathan Kieusseian BirmanieJonathan Kieusseian Birmanie
Écrit par Marie-Sophie Villin
Publié le 16 septembre 2018, mis à jour le 16 septembre 2018

Son passage en Birmanie ne devait être que temporaire. Trois ans après, il est toujours bel et bien là et dirige deux entreprises. Portrait d’un jeune entrepreneur français aux ambitions multiples.

Existe-t-il un gène porteur du don d’ubiquité? Si c’est le cas, Jonathan Kieusseian en possède indéniablement en quadruple brin. Voyez plutôt : CEO de deux entreprises en Birmanie, l’une de livraison, l’autre de média, manager de plus de 50 employés, créateur et animateur de "Birmafrog", communauté online à destination des Français en Birmanie, membre du comité des jeunes entrepreneurs de la Chambre de Commerce et d’Industrie France Myanmar, ancien moniteur et directeur de colo, ex artiste de rue … le trentenaire volubile et hyperactif est sur tous les fronts. "J’aime que les choses puissent bouger rapidement" justifie modestement l’entrepreneur. Deuxième d’une famille de 5 enfants ("oui ça existe encore"), élevé en banlieue parisienne par deux parents médecins, Jonathan avoue devoir son audace à la stabilité initiale apportée par ses proches. De cette vie au sein d’une famille nombreuse, il garde une carrure râblée, vestiges probables de batailles fraternelles victorieuses, une certaine agilité à trouver sa place quel que soit l’inconfort du contexte, et un sens aigu des valeurs familiales: "D’origine arménienne, la famille et le respect des anciens sont des valeurs fortes qui m’ont été inculquées. Au moins autant que la fête avec les repas interminables du dimanche après-midi à parler, crier, chanter, pleurer et rire." Des principes de vie, où l’émotion et la franchise priment, qui, encore aujourd’hui, marquent son style de management, en complément à son solide bagage universitaire. Avant d’atterrir en Birmanie, Jonathan s’est construit un parcours international. S’il commence ses études à l’école de management Léonard de Vinci à Paris en 2006, il fait ses premières armes dans une entreprise de médias à Londres pendant six mois, London Macadam. Sa mission : répertorier les bons plans et organiser des évènements ciblant la communauté française. Il s’envole ensuite pour Skövde, en Suède, pour une année d’échange Erasmus. Passionné de communication et de marketing, il crée sa première entreprise dans le secteur de l’évènementiel. Il y gagne ses premiers 10.000 euros en organisant des soirées "French Touch". Si cela était encore à prouver, Jonathan confirme son goût pour l’entreprenariat et rentre ensuite en France, où il termine ses Master en gestion des marques et marketing en ligne. Rapidement, Orange le recrute et, à la suite d’un stage de fin d’études concluant, l’envoie à Abidjan en Côte-d’Ivoire pour y développer du contenu innovant pour les utilisateurs. Cette expérience lui permet de voyager dans les 10 pays qui lui sont assignés dont le Sénégal, le Bénin, le Togo, la Guinée, le Cameroun, le Mali… 

Alors qu’il a déjà une solide expérience professionnelle, Jonathan reprend les études, à l’ESSEC, mais pas à Paris. Il rejoint le campus de Singapour pendant 10 mois avant de finir avec trois mois d’échanges à Mexico City, en stratégie de gestion en business international. C’est après cette année qu’il est recruté par Rocket Internet, qui veut l’envoyer en Afrique pour développer leurs start-ups dans des pays émergents. "Mais je ne voulais pas être stéréotypé Afrique. Donc je leur ai demandé l’Asie." C’est ainsi qu’il débarque en Birmanie. Il s’installe en septembre 2015, et reste sept mois chez Rocket Internet qui lui suggère ensuite de continuer au Bangladesh. "Je n’étais pas forcément en accord avec leurs valeurs, notamment en ce qui concerne la compréhension du marché local." De plus, il préfère rester en Birmanie : "J’aime beaucoup cette volonté de créer, de rattraper le temps perdu pour devenir enfin compétitif par rapport aux voisins." Après quelques mois de consulting en indépendant, il décide de se lancer lui-même dans l’aventure en créant sa propre entreprise. Ses entreprises, pour être plus précis.

La première, Amyanpoh – traduisez "livraison rapide" en birman – dont le projet débute en 2016 "dans un petit appartement au nord de Yankin" et consiste à faciliter la dernière étape de la livraison, le "last mile" (dernier kilomètre) comme il le dit en jargon des affaires. A l’époque, le défi est de taille : "J’ai passé 6 mois à parcourir la ville en vélo, en bus, en taxi, à pied pour comprendre les enjeux de la livraison sur Yangon - avec les contraintes qu’on connaît : pas de moto, pas de système d’adresse, transactions en cash uniquement... Et des nuits à développer un algorithme pour automatiser les livraisons." Jonathan investit toutes ses économies pour payer un bureau et les premiers salaires de ses employés. En 2017, la société s’est suffisamment développée et il peut en déposer les statuts. Depuis, l’entreprise affiche une croissance de 400% depuis sa création, livre dans 10 villes en Birmanie pour plus de 50 clients. "J’ai créé Amyanpoh en pensant que l’e-commerce allait exploser. Il s’est développé mais il n’a pas explosé. Il y a encore des problèmes de confiance : est-ce que le produit va être conforme, est-ce qu’il va arriver…" analyse l’entrepreneur.

For Her Myanmar
En parallèle, il lance For Her Myanmar, avec ses deux partenaires Nilar Myint et Jasmine Khin Hnit Oo. Il les rencontre sur des projets en 2016 alors qu’il travaille chez Rocket Internet. Au départ, les trois développent des liens amicaux. Puis, au fil des discussions, les filles, alors à peine vingtenaires se confient : choix de carrière, d’université, relations avec leurs parents… "Ce qui m’a marqué, et me marque encore c’est cette fatalité qu’elles ont quand elles racontent leur histoire. Il y a un gap générationnel immense entre leurs aspirations et celles que leurs parents ont pour elles. Elles ont l’impression d’être les seules à vivre cela et l’acceptent comme tel."  C’est ainsi que naît For Her Myanmar : un espace de discussion sans jugement et de conseils, au départ à travers une simple page Facebook. "Mon idée, c’était vraiment de pouvoir les aider à s’exprimer sur leurs problématiques au quotidien." Et ça marche. Au bout de trois mois, après publication d’une cinquantaine d’articles, déjà 100.000 personnes suivent la page. D’autres femmes se portent volontaire pour partager elles aussi leur quotidien et rejoindre leur équipe qui grandit doucement. Au bout de six mois, il y a 200.000 abonnés. Aujourd’hui, ce chiffre est de plus de 475.000.

En 2017, Héloïse de Montety, journaliste française, rejoint l’équipe et reprend la gestion de l’édition. For Her Myanmar passe de un à deux articles par semaine à cinq à sept articles par jour. La même année, le site est récompensé du prix du jeune Entrepreneur par la Fondation Japonaise "Takeda" qui le distingue comme "média de référence pour les jeunes femmes Birmanes" et le site franchit une nouvelle étape en proposant d’étendre ses services "offline" grâce au For Her Myanmar Club. Au programme : pour 9.900 ks/mois chaque abonné bénéficie d’un accès à du contenu exclusif, des invitations à des évènements ainsi que des "gift box  surprises", des boîtes remplies de produits de santé ou de cosmétiques, de livres, ou de tout autre produit qui "vont avoir un impact positif sur leur vie." Le Club compte quasiment 1.000 membres aujourd’hui. Prochaine étape : proposer aux adhérents la possibilité d’acheter directement les produits en question chez For Her, et donc de "créer un écosystème où les deux boîtes s’aident l’une et l’autre."
En reliant Amyanpoh et For Her Myanmar, il espère dynamiser l’une comme l’autre de ses entreprises. L’homme orchestre l’admet : malgré toute la ténacité dont il fait preuve, avoir créé seul ces deux structures était une "difficulté supplémentaire". "Aujourd’hui, j’essaie de trouver un équilibre en responsabilisant davantage mes manager et co-fondateurs". Idéal pour se consacrer à sa priorité : lever de fonds pour ses boîtes respectives."Quoiqu’il arrive, je pense que rien n’est impossible. J’adore fédérer les gens autour des idées, même les plus folles" lance-t-il. "C’est inscrit dans ma personnalité… petit j’écrivais "PDG" dans les cases demandant ce qu’on voulait faire plus tard." s’esclaffe-t-il. Dans l’ADN, on vous dit.

Note : Si vous souhaitez soutenir ses projets, vous pouvez parrainer une Birmane afin de lui permettre de s’abonner à For Her Myanmar Club. (lien ici)

photo moi
Publié le 16 septembre 2018, mis à jour le 16 septembre 2018

Flash infos

    Pensez aussi à découvrir nos autres éditions

    © lepetitjournal.com 2024