Le 19 janvier 2021, U Myo Thant, l’ambassadeur birman en Chine, s’est rendu dans les zones frontalières entre les deux pays, au moment même où des voix s’élèvent à Nay Pyi Taw contre la construction de barrières de séparation par Pékin entre la Birmanie et la Chine. Si les tenants et aboutissants de cette visite ne sont pas connus, il est certain que ces barrières ont occupé une bonne partie des conversations.
En effet, depuis octobre 2020, Pékin construit des « murs » séparant son territoire des états frontaliers birmans de Shan et de Kachin. Or, les autorités birmanes n’ont pas été consultées sur l'installation de ces barbelés, ce qui va à l’encontre d'un traité bilatéral signé en 1961. Le gouvernement birman affirme ainsi que huit portions de la nouvelle clôture violent l’accord dans l'état de Shan. « Ni la Chine ni la Birmanie n’ont le droit de construire des infrastructures permanentes à moins de 10 mètres de la frontière de chaque côté », rappelle le porte-parole du gouvernement birman, U Zaw Htay. Pourtant, fin décembre, Pékin avait déjà construit 650 kilomètres de frontière physique. Les premiers pas d’un projet qui devrait être achevé en octobre 2022.
« Nous allons délimiter la frontière et la Chine doit s'assurer que sa clôture n'empiète pas sur le territoire neutre, à moins que cela ne soit que temporaire. Nous allons négocier pour cela », déclare U Zaw Htay. Le ministère des Affaires étrangères birman se déclare prêt à ouvrir des discussions tout en assurant qu’il autorisera seulement les barrières temporelles. « La question est de savoir si ces clôtures sont permanentes », affirme son porte-parole. Certaines barrières étant en barbelés et non faites de béton, les autorités birmanes les considèrent d’ailleurs comme provisoires. Pourtant, à travers le monde d’autres exemples démontrent que des barbelés peuvent avoir une belle longévité, comme c’est le cas depuis plus de 20 ans entre le Maroc et l’Espagne, à Melilla.
Des raisons floues pour la construction de ces barrières
Selon le gouvernement chinois, les murs récemment installés s’inscrivent dans le cadre de sa lutte contre la propagation du Covid-19. Les aménagements étant prévus jusqu’en 2022, le motif laisse plus que sceptique le journaliste spécialiste de l’Asie, Bertil Lintner. Selon lui, il s’agit surtout d’une volonté de Pékin de limiter l’arrivée d’individus portant des « idées réactionnaires ». Par ailleurs, d’autres interprétations circulent, comme le besoin d’empêcher des dissidents de quitter la Chine, puisque par le passé les frontières birmanes et vietnamiennes ont permis à des citoyens chinois de fuir des persécutions, ou comme la volonté de limiter les migrants illégaux, dans un sens ou un autre, ou encore la crainte de la Chine quant à un changement d’alliance de la Birmanie, qui réorienterait sa diplomatie plus en faveur de l’Inde.
Pour Priscilla Clapp, une diplomate américaine passée par l'ambassade des États-Unis en Birmanie, les inquiétudes chinoises pourraient être sécuritaires : « Beaucoup de violence criminelle se déroule dans la zone administrative spéciale (zas) de Kokang, qui est vraiment sur la frontière avec la Chine, laquelle cherche à fermer ce point de passage frontalier ». De fait, toutes ces zones frontières où pullulent les groupes de combattants armés sont également connues pour abriter des activités illégales en tout genre. Les casinos étant officiellement interdits tant en Birmanie qu’en Chine, certains voient d’ailleurs la zas de Kokang devenir le prochain Macao, cette région autonome chinoise souvent surnommée le Las Vegas asiatique.
Nombre de groupes armés dissidents locaux contrôlent des portions de territoires et beaucoup entretiennent des liens avec le gouvernement chinois. Dans l’état de Shan, la National Democratic Alliance Army (NDAA) et la United Wa State Army (UWSA) administrent leurs propres zones frontalières. Et l’UWSA est régulièrement citée par les experts de la lutte contre la drogue comme étant un acteur majeur de ce trafic. C’est aussi la plus puissantes des milices birmanes. Selon un haut responsable de Laukkai - une ville située dans la zas de Kokang – ces barrières conçues pour être des frontières physiques se concentrent sur les zones habitées les plus gangrenées par les trafics : êtres humains, animaux, matières premières…
Malgré des tensions, le traité de 1961 perdure
Fin 2020, les autorités de Kokang ont contesté auprès du gouvernement chinois plusieurs installations sur des portions de la frontière. Depuis, les constructions non voulues auraient cessé et la cohabitation retrouvée de son calme. Malgré un certain flou, le secrétaire général du Parti démocratique de Kokang tient un discours plutôt apaisé : « Je ne sais pas quelles sont les intentions des Chinois et nous n'avons rien à contester s'ils respectent le traité frontalier, quelles que soient ces intentions ». De toute façon, il est compliqué voire impossible pour l'État birman d’établir une surveillance réelle dans les zones sous contrôle des milices locales, même si le général Zaw Min Tun certifie que « la Tatmadaw [l’armée régulière birmane] coopère avec les comités frontaliers pour inspecter les clôtures ».
Ce n’est pas la première fois que le traité de 1961 fait parler de lui ces derniers temps. Depuis 2018, de nombreux litiges frontaliers ont eu lieu dans l'état de Shan, notamment déjà à cause de constructions de barrières frontalières sans consultation des autorités birmanes. En 2019, des gardes-frontières chinois ont retiré un drapeau birman placé à cinq mètres de la frontière dans la zone autogérée de Kokang. S’il est encourageant que la même année les deux pays ont convenu de revoir le tracé de leur frontière officielle, cette coopération demeure depuis lettre morte et les murs se dressent de plus en plus nombreux entre la Chine et la Birmanie.