

Un employé des impôts qui accorde une « remise » en échange d’un « petit cadeau », un policier qui arrête un véhicule fautif mais laisse partir le contrevenant contre « un peu d’argent pour le thé », un « agent de facilitation » qui s’assure contre 10 000 kyats que votre demande de passeport reste au sommet de la pile… La petite corruption est partout en Birmanie, si ancrée dans les mœurs que bien des citoyens du pays ne perçoivent pas la pratique comme répréhensible... Ce que tous rejettent en revanche est l’extorsion : un fonctionnaire de l’agriculture qui laisse faire une saisie de terre parce qu’il a été payé par l’accapareur pour cela, une institutrice qui harcèle un enfant parce que la famille ne lui a pas donné assez « d’étrennes » pour Thadingyut ou Thingyan, un médecin ou une infirmière qui exige « un petit plus » pour le traitement nécessaire… Trois cas forts communs parmi bien d’autres.
Parce que l’extorsion est considérée comme un fléau social et économique et une limite majeure au développement d’un pays - l’ancien président la Banque mondiale James Wolfensohn la comparaît à un cancer – la lutte contre la corruption a été renforcée par l’actuel gouvernement de la Ligue nationale pour la démocratie, qui a fait passer le 21 juin 2018 un amendement à la loi Anti-Corruption de 2013, amendement ouvrant la possibilité de prévention des actes de corruption. Et c’est dans ce cadre de prévention/répression que la commission Anti-Corruption (CAA) a mis en place, avec l’aide de la Banque mondiale, une boîte à outil de prévention de la petite corruption, qui a officiellement été présentée le 9 octobre dernier à Nay Pyi Taw.
Ce kit de prévention de la petite corruption repose sur l’utilisation des nouvelles technologies, à savoir le téléphone portable et les SMS. Ainsi, U Aung Kyi, président de la CAA, a déclaré que « ce kit permettra de faire remonter les témoignages d’expérience sur les échanges entre les citoyens et les fonctionnaires ou responsables de département ». Grâce au kit, un enquêteur de la CAA pourra contacter par SMS n’importe quelle personne ayant eu recours à un service du gouvernement, s’enquérir de la manière dont le service a été fourni, apporter une assistance si nécessaire et signaler le cas s’il y a des soupçons d’extorsion. Comment tout cela fonctionne a été montré aux participants de la réunion du 9 octobre à travers une vidéo de démonstration du kit.
Maintenant, ces boîtes à outils et les procédures inhérentes vont être essayées dans dix ministères et institutions publiques en contact fréquent avec la population civile et concernant les secteurs suivants : la police, les pompiers, l’administration générale, les transports routiers, l’immigration, l’état civil, le travail, le commerce, l’école primaire, les services médicaux, les impôts, les douanes et le tourisme. La CAA va aussi commencer ses prises de contacts aléatoires avec les personnes ayant eu recours à des services administratifs. Le déploiement du kit dans tous les ministères et départements sera la prochaine étape, prévue prochainement, d’après U Aung Kyi.
La lutte contre la petite corruption est devenue une priorité affichée du gouvernement - lors de la célébration de la Journée des Forces de Police de Birmanie, le vice-président U Myint Swe a appelé les policiers à se débarrasser de la corruption dans leurs rangs afin de regagner la confiance du public – et il existe aujourd’hui 37 unités de prévention de la corruption (UPC) au sein de 17 ministères et de 5 institutions fédérales. La corruption mineure représenterait environ 75% des plaintes reçues par la CAA, ce qui explique l’apparente focalisation des moyens de la Commission au détriment de la corruption à grande échelle, d’après U Thant Zaw, l’enquêteur en chef de la Commission.
De leur côté, des observateurs notent que les moyens de la CAA, notamment humain, sont très limités et ne permettent pas à l’instance de mener autant d’enquêtes que nécessaires au vu du nombre de plaintes (en 2018, la CAA a reçu 10 543 plaintes du public, dont 7 945 contre des fonctionnaires, 1 888 contre des hommes politiques et 710 contre le secteur privé). De plus, le nouveau budget extrapole d'importantes ressources collectées en termes de taxes et d’amendes, ce qui poussent des administrations comme les impôts ou la police à prendre des libertés avec la loi afin de remplir leurs objectifs.
Enfin, comme le confiait le journaliste U Thiha Thwe à l’Irrawaddy le 23 septembre dernier, il est beaucoup plus facile d'obtenir des preuves lorsque c’est un fonctionnaire subalterne qui viole le code de conduite. Contre des personnalités importantes, « les plaignants ont habituellement peu de preuves car les accusés de haut niveau peuvent se préparer avec soin et se débarrasser des preuves en fonction de leur degré de pouvoir. Ils ont normalement de bonnes chances de s’en sortir ». Il n’empêche que plusieurs gros poissons sont pris dans les filets de la commission, qui n’a pas hésité à s’attaquer à l’ancien Avocat général de Yangon, U Han Htoo, à des juges et des officiers de police et, en mars dernier, à mettre sur la sellette la Première ministre de la région de Tanintharyi, Daw Lei Lei Maw, membre de la LND, au point que la politicienne a été forcée de démissionner par son parti.
Selon le « Worldwide Governance Indicators » de la Banque mondiale, la lutte contre la corruption s’est bel et bien considérablement renforcée en 2016 avec l’arrivée de la LND au pouvoir, avant de commencer à se tasser en 2018.
