L’histoire birmane nous a transmis de nombreux contes, issus de tout le pays, qui transmettent une morale au travers d’une courte histoire. Guillaume Rebière, auteur passionné de la Birmanie, en a fait la traduction depuis l’anglais. Lepetitjournal.com Birmanie vous propose de découvrir: Maître Po et le Tigre.
Il était une fois un jeune garçon du nom de Maître Po, qui quittait son village tous les jours pour aller se promener dans la forêt. Il devint peu à peu ami avec tous les animaux, en particulier le Tigre, avec lequel il avait l’habitude de faire de longues marches. Maître Po ressentait une réelle tendresse pour son ami, mais le Tigre avait une autre motivation : il était impatient que Maître Po l’emmène dans son village afin de pouvoir s’enfuir avec une ou deux vachettes volées parmi le bétail des villageois. Un jour, il demanda finalement à Maître Po : “mon ami, veux-tu bien me conduire à ton village ?”. “Je ne peux pas faire cela, gentil Tigre”, répondit Maître Po, “car tous les villageois te détestent. Tu dois reconnaître que tu as souvent bondit sur leur bétail lorsqu’ils les faisaient paître hors du village”. “Si tu ne m’y emmène pas, et bien j’irai moi-même”, répliqua le Tigre irascible. Le soir même, le Tigre alla flâner à la porte du village. Maître Po le vit et lui dit : "Gentil Tigre, ne vient pas flâner ici, car les villageois sont très rusés et ils vont t’attraper". Mais le Tigre se contenta de rire, en se moquant de cet avertissement. Maître Po demeura près de la porte et essaya de convaincre son ami, sans succès. La nuit finit par tomber et alors que ses parents l’appelaient, Maître Po avertit son ami une dernière fois puis rentra chez lui. Le Tigre attendit que les villageois s’endorment puis entra dans le village et parvint à tuer une vachette qu’il traîna avec lui dans la forêt.
Le lendemain de bonne heure, Maître Po se rendit dans la forêt et y trouva le Tigre. “Tigre”, déclara-t-il, “nous sommes amis depuis longtemps déjà, aussi je te conjure de bien m’écouter. Les villageois construisent en ce moment même des pièges pour t’attraper ce soir. Ne reviens pas au village ce soir, je t’en supplie”. Mais, le Tigre se contenta de rire à cet avertissement, comme il l’avait fait auparavant. Cette nuit-là, le Tigre pénétra une nouvelle fois dans le village et se prit dans un piège, ainsi que l’avait prévenu Maître Po. Les villageois le découvrirent le matin et décidèrent de le laisser mourir de faim et d’épuisement dans sa cage. Pendant six jours, le Tigre rugit et tourna comme un enragé dans le piège. Maître Po était triste pour son ami, mais il n’osait le libérer de crainte de se faire battre par ses parents. Le septième jour, cependant, Maître Po se dit que sauver la vie de son ami valait bien une bastonnade et il alla ouvrir le piège. “Enfuis-toi maintenant, gentil Tigre”, dit Maître Po, “et tant pis si je dois subir la colère de mes parents et des villageois pour sauver notre amitié”. “Je te remercie”, répondit le Tigre, “mais je dois te manger, car je suis trop éreinté pour pouvoir chasser”. Maître Po plaida que l’animal avait envers lui une dette de gratitude puisqu’il lui avait sauvé la vie et qu’il ne pouvait donc pas le manger. Le Tigre répliqua qu’une dette de gratitude n’existait pas. Maître Po persuada finalement le Tigre de faire appel à un jugement extérieur pour trancher leur désaccord.
Ils se rendirent donc ensemble dans la forêt pour y trouver un juge et ils finirent par croiser le crâne d’un bœuf mort. Après avoir écouté les arguments de chacun, le crâne rendit sa décision : “une dette de gratitude n’existe pas. Par exemple, mon maître m’a fait travailler la terre pendant des années, mais il me tua et me mangea quand je devins trop vieux pour le servir. Ainsi, le Tigre devrait manger Maître Po”. “Je vais te dévorer maintenant”, rugit le Tigre. Mais Maître Po réclama le droit de faire appel à un autre juge. Ils continuèrent donc à marcher dans la forêt jusqu’à ce qu’ils rencontrent un banyan. L’arbre écouta les arguments avancés par chacune des parties et rendit sa décision : “une dette de gratitude n’existe pas. Par exemple, les humains se protègent de la chaleur à l’ombre de mes ramages, et pourtant ils cassent mes branches et volent mes fleurs. Le Tigre devrait donc manger Maître Po.” “Je vais te dévorer maintenant”, rugit le Tigre. Mais Maître Po réclama une nouvelle fois le droit de faire appel à un autre juge. “Souviens-toi que c’est ta dernière chance”, l’avertit le Tigre, “car une personne n’a le droit de faire appel au jugement que de trois courts différentes pour la même querelle”. Ils continuèrent tous deux leur chemin et finirent par tomber sur le Lapin.
“Sage Lapin”, dirent-ils, “tranche notre dispute s’il-te-plait”. Le Lapin écouta les arguments de chacun. Il leur demanda de l’emmener au lieu d’origine de leur différend. Une fois arrivés devant le piège, le Lapin demanda au Tigre : “maintenant, Tigre, explique-moi où tu te trouvais quand Maître Po est venu te délivrer”. “J’étais dans la cage”, répondit le Tigre. “Montre-moi exactement tu te tenais dans le piège”, ajouta le Lapin. Le Tigre alla donc se placer dans le piège. “Maintenant, Maître Po”, continua le Lapin, “ferme la cage et montre-moi comment tu t’y es pris pour libérer le Tigre”. Dès que Maître Po eut refermé la porte, le Lapin s’écria : “Stop ! Ne délivre pas le Tigre !”. Puis, il leur expliqua : “J’ai maintenant rétabli le status quo. Le Tigre est de retour à sa place, de même que Maître Po. La dispute est maintenant terminée.” Sur ces mots, le Lapin retourna dans sa forêt et Maître Po s’en alla en courant chez ses parents. Le Tigre mourut de faim et de soif quelques jours plus tard.
Traduction: Guillaume Rebière