La principale limite du « plan complet de stimulation de l’économie » présenté par le gouvernement le 27 avril dernier est d’être flou. « Un cadre et des grandes lignes d’action qui résume surtout les résultats que veut le gouvernement. J’attends de voir comment il va mettre réellement en œuvre tout cela. Ce qui est positif dans tous les cas est de gonfler le fonds pour les prêts jusqu’à un montant de 500 milliards de kyats (de l’ordre de 340 millions d’euros) », juge l'économiste U Khin Maung Nyo. La question du financement de ce programme trouve déjà quelques réponses dans l'avant-propos du document écrit Daw Aung San Suu Kyi : « L'importance des déficits de recettes fiscales induits par le Covid-19 ne peut pas être minimisée. Nous anticipons une sous-performance des revenus, ce qui nécessite des réaffectations des dépenses publiques pour créer un espace pour les dépenses et politiques liées au Covid-19 ». En gros, des coupes budgétaires - jusqu’à 10% du montant alloué pour 2019-2020 - seront effectuées dans chaque « entité gouvernementale », comme le mentionne le document, et l’argent sera réaffecté au « fonds Covid-19 » créé en mars. Mais comme il faut malgré tout maintenir certaines dépenses publiques, comme des investissements essentiels dans le secteur de l’énergie, et que les rentrées fiscales vont donc baisser, il reste évident que les finances birmanes vont être sous pression.
Heureusement, la Birmanie possède un ratio dette-produit intérieur brut (PIB) assez faible, de l’ordre de 17%, très inférieur à ceux de beaucoup de pays émergents (l’Indonésie est à 34% par exemple), ce qui se traduit par de bonnes capacités d’emprunt sur les marchés extérieurs, nonobstant certaines limites dues aux sanctions internationales toujours existantes contre le pays. Pour Andrew Bauer, consultant pour le Natural Resource Governance Institute, « le gouvernement dispose de beaucoup d'espace budgétaire. Le niveau de la dette publique est faible par rapport aux normes régionales et le service de la dette représente un modeste 7% des recettes publiques. Cela signifie qu'il y a une marge importante pour emprunter temporairement afin de financer une relance économique et couvrir le manque à gagner provoqué par la crise mondiale ».
« Plus nous aurons d’argent, plus ce sera facile »
Le plan prévoie aussi une augmentation de la capacité d’emprunt du gouvernement birman auprès de sa propre banque centrale, le gouverneur de laquelle a annoncé que l’institution préparait une demande d’assistance adressée au Fond monétaire international sous la forme d’une facilité rapide de crédit. La Banque asiatique de développement (BAD) propose pour sa part des prêts pouvant atteindre 20 milliards de dollars pour soutenir les économies nationales de la région Asie-Pacifique, y compris en Birmanie, a annoncé la présidente de la banque Masa Asakawa au début du mois. Et la banque a d’ailleurs annoncé la semaine dernière un premier prêt « d'urgence » de 50 millions de dollars en réponse à la pandémie. « Nous devons acheter des masques […] et d'autres équipements, et nous devrons acheter ces fournitures pour aussi longtemps que nous testons les gens pour le Covid-19. Plus nous aurons d’argent, plus ce sera facile », a déclaré le député Dr San Shwe Win, président de la commission parlementaire de la Santé et des Sports.
Cependant, ces mesures ne lèvent pas vraiment le flou qui dérange tant les entrepreneurs, ceux qui vivent dans le concret et qui trouvent que ces mesures sont insuffisantes et incomplètes. « Un premier fonds de 100 milliards de kyats semble être élevé mais ce n’est rien comparé au PIB du pays », déclare Naung Naung Han, le président de l’Association birmane du voyage (UMTA - Union of Myanmar Travel Association). « Cette somme ne représente que 0,1 % de notre PIB, ce qui fait pâle figure comparé aux 8,9 % de PIB que la Thaïlande a alloué pour soutenir son économie ou au 8 % de PIB que Singapour a mobilisé ».
« L'argent ne suffit pas. Il faut une stratégie dans tout cela »
Rien que dans le secteur du tourisme, si l’on en croit l’UMTA, il faudrait environ 200 milliards de kyats afin que l'industrie hôtelière et touristique reste solvable au cours des trois prochains mois puisque presque tout le secteur est inactif. Car, explique Naung Naung Han, « les pays voisins avec de grandes industries touristiques, comme la Thaïlande, la Malaisie et Singapour, seront en concurrence entre eux et avec la Birmanie pour regagner des parts de marché [après la pandémie]. Ils vont réduire les prix et proposer des forfaits attractifs, et nous devons être en mesure de rivaliser avec cela. Si nous ne pouvons pas ... ce sera très difficile pour nous à long terme ». La durée du prêt – remboursable sur un an - est également problématique lorsque l’activité reste quasi-inexistante et ne devrait pas reprendre avant le dernier quart de l’année, estime Khin Aung Tun, vice-président de la Fédération birmane du tourisme.
Pour U Ye Myint Maung, secrétaire général de l’association des producteurs et exportateurs de produits alimentaires, les prêts, les exonérations ou report de taxes ne suffisent pas car, au final, les entreprises devront quand même payer quelque chose et elles ne le pourront pas, vu qu’elles ne retrouveront pas leur niveau normal d’activité avant un moment. « Ce que j’espérais du plan, c’était avant tout de l’aide pour maintenir les investissements et les activités. Si nous parvenons à conserver un certain dynamisme, nous pourrons payer nos impôts et tout rentrera dans l’ordre. L’agriculture, c’est 50% des emplois du pays. Daw Aung San Suu Kyi a dit que le gouvernement allait aider tout le monde mais cela n’a pas de sens. Il faut hiérarchiser et établir des priorités afin que cela soit efficace ». Le Dr Zaw Oo, directeur exécutif du Centre pour le développement économique et social, juge que le système de subventions au développement économique que d'autres pays ont utilisé offrent une solution à long terme plus efficace : « Il ne s'agit pas seulement de prêter de l'argent. Il doit y avoir une stratégie dans tout cela ». Il déplore aussi l'accent mis au départ par le gouvernement sur trois secteurs seulement : « Il ne suffit pas de se concentrer uniquement sur le tourisme et les petites et moyennes entreprises. Le COVID-19 affecte l'ensemble de l'économie ». Dans l’ensemble, le regret le plus souvent formulé par les acteurs de l’entreprise et du monde des affaires est que « ce plan n’a pas été élaboré en consultation et beaucoup de chose ne seront pas efficaces car elles sont trop loin de la réalité. Le gouvernement devrait nous consulter un peu car nous savons ce qui est possible, ce dont nous avons besoin et comment le mettre en place », comme le dit U Aung Thein, président de l’association des industriels de Birmanie.
Un chiffonnier mort de faim à Pakkoku
Au final, c’est un ensemble de mesures sans précédent que le gouvernement birman a décidé de mettre en place pour atténuer les conséquences économiques, humaines et matérielles de la pandémie de Covid-19. Mais avec près de 40 % des ménages vivant près du seuil de pauvreté et pour qui la perte d’un travail seraii difficile à assumer financièrement, beaucoup de Birmans choisissent de continuer à travailler plutôt que de rester dans l’attente d’une aide gouvernementale qui pourrait ne jamais arriver. « J'ai plus peur de mourir de faim que d'attraper une maladie infectieuse », reconnaît le vendeur de noix de coco Kyaw Min, qui a une famille de quatre personnes à charge. Kyaw Min n’a pas reçu les colis de nourriture promis par le gouvernement pendant Thingyan. Selon lui, ces denrées ont été uniquement distribuées aux conducteurs de trishaw ne pouvant plus travailler. Soe Min, un vendeur de poulet rôti, fait le même constat : « Je fais cela pour gagner ma vie. J'ai peur du virus, mais aussi de la faim. Si je ne suis pas autorisé à vendre, je dois trouver un autre travail ». Voilà quelques jours, la police de Pakkoku a trouvé le cadavre de Po Kyaw, un chiffonnier de 42 ans mort de faim après que les fermetures de nombreux commerce qui lui racheté ses déchets récupérés l’ont privé de son maigre revenu. Comme l’explique un de ses anciens clients, « il n’allait déjà pas bien avant le début de la crise alors nous lui rachetions plein de petites choses pour l’aider un peu. Et puis nous avons dû fermer notre boutique pour un moment et nous l’avons perdu de vu ». La crise économique qui arrive pourrait malheureusement multiplier les cas de la sorte.