

La sortie dans les salles françaises, ce mercredi 7 juin, du film documentaire ?Le Vénérable W? de Barbet Schroeder, est précédée par un goût amer, né de sa présentation, le mois dernier, au Festival de Cannes, en sélection officielle (séance spéciale).
Car déjà, le mois dernier, à Cannes, le film du célèbre réalisateur suisse a fait son petit effet et suscité de nombreuses réactions. Et pour cause : il se fonde en grande partie sur un paradoxe. Comment, du sein même de la religion bouddhiste, peut naître un mouvement qui se révèle, à force d'insinuations et d'apologie à peine voilée du racisme, une véritable machine à nourrir l'intolérance raciale et les pires exactions ?
Autre paradoxe : Barbet Schroeder a lui-même embrassé la religion bouddhiste depuis qu'il a vingt ans. C'est peut-être aussi pour cela qu'après avoir eu connaissance des frasques et de la montée en puissance du moine bouddhiste Ashin Wirathu, 48 ans, il a voulu en avoir le c?ur net. Et aller à sa rencontre, au gré d'interviews, à la source du "Mal", là où est né ce mouvement à la fin des années 1990, à Mandalay, en Birmanie. À la rencontre aussi de ses critiques.
Pour mieux décortiquer la rhétorique de ce moine atypique, sorte d'extrême-bouddhiste populiste. À demi-mots, insidieusement, malgré ses sourires de façade, le message de ce religieux pénètre les esprits d'une population birmane en très large majorité bouddhiste (90 pour cent). Un message fait de racisme, d'exclusion, avec une cible privilégiée : la minorité musulmane, à peine cinq pour cent de la population de Birmanie. Et en particulier les Rohingyas, une minorité persécutée. Le message, en substance : supprimer les Musulmans de ce pays.
Et il fonctionne : au cours de ces cinq dernières années, drapées de tunique safran, ces incantations à la haine raciale, ces graines semées dans les esprits, ont déjà germé à plusieurs reprises. Plusieurs fois, elles ont débouché sur des passages à l'acte : exactions, incendies volontaires, meurtres, lynchages sur des Musulmans. Comme le souligne le documentaire, le "Vénérable W" (dont Schroeder lui-même déclare ne pas vouloir, par peur, prononcer le nom, d'où le titre), bien qu'il ait fait l'objet de condamnations passées, semble pouvoir compter sur une passivité complice des autorités. Frappé d'une interdiction de prêche, il semble depuis narguer les sanctions et a tout récemment trouvé une parade : comme, depuis fin mai, son mouvement Ma Ba Tha est frappé de bannissement et que ni son nom, ni ses insignes, ne peuvent plus désormais être utilisés, désormais, ce mouvement changera de nom.
Revue de presse des critiques
Du point de vue des critiques, les réactions, le mois dernier, à Cannes, ont été fournies.
"Le Vénérable W démolit le cliché du pacifisme bouddhiste", estiment Les Échos.
"Quand le bouddhisme confine au fascisme", écrit Frédéric Strauss dans Télérama.
"Sans nécessairement connaître de près le bouddhisme, on pouvait avoir l'impression que cette religion sans dieu échappait à la maladie de la vérité et de l'intolérance qui ravage plus ou moins sourdement une grande partie des monothéismes constitués. Hélas, à compter d'aujourd'hui, tous ceux qui découvriront le nouveau documentaire-choc du réalisateur suisse Barbet Schroeder devront se départir de cette impression", estime Jacques Mandelbaum dans Le Monde.

Jordan Mintzer, dans Hollywood reporter, parle quant à lui de "terreur sainte" et estime que sa projection à Cannes a donné à ce documentaire "vital" "toute l'attention qu'il mérite". "À un moment où l'islamophobie monte en Europe, aux États-Unis et ailleurs, ce film vient nous rappeler que même les plus paisibles des doctrines religieuses peuvent, si elles sont détournées de la mauvaise manière, être utilisées comme une véritable source malfaisante."
Le Vénérable W., de Barbet Schroeder (France, Suisse, 1h40).
Les Films du Losange/ Bande à Part
Sortie en salles en France le 7 juin 2017
Patrick-Antoine Decloitre (www.lepetitjournal.com/Birmanie) Mercredi 7 Juin 2017







