Rencontre avec Alexandre Najjar, auteur du Dictionnaire amoureux du Liban, avec lequel il a été question de littérature, Liban, Orient et Occident.
LPJ Beyrouth : Comment avez-vous été amené à écrire ce dictionnaire ?
Alexandre Najjar : J'avais un jour confié à mon éditeur chez Plon, Jean-Claude Simoën, que j'aimerais faire un jour un dictionnaire amoureux du Liban. Il m'avait répondu que c'était prématuré, que même si nous avions tendance à nous prendre pour le centre du monde, il fallait laisser la place à d'autres pays plus importants, mais que ça viendrait. Effectivement, lorsque, quatre ou cinq ans plus tard, j'ai relancé l'idée, il a estimé que le temps était venu et m'a donné carte blanche.
Ce qui est intéressant aussi dans ce dictionnaire, c'est le mot ?amoureux'. Il permet de procéder par coup de coeur. J'ai par exemple finalement choisi de ne pas parler d'hommes politiques. J'avais écrit une notice sur Pierre Gemayel que j'ai soumise à des amis, et ils ont fini par se disputer. Je me suis dit : ?si quatre amis, qui sont plus ou moins du même bord politique, se disputent sur cette notice, qu'est-ce-que cela va être quand je vais parler d'autres hommes politiques encore moins consensuels ?' Je voulais que ce soit un livre qui rassemble les Libanais et non pas qui les divise.
Il vous a fallu deux ans pour écrire ce livre?
Oui, et il m'a fallu deux ans pour me remettre à écrire. C'est le genre de livre qui vous vide. Vous avez tellement dit de choses?c'est comme un verre qui se vide et que l'on doit remplir à nouveau. Aussi, il faut lire énormément pour faire quatre pages sur un sujet. Il y a une certaine crédibilité à avoir. Par exemple, j'ai fait valider l'entrée « gastronomie » par une spécialiste de la gastronomie libanaise. On ne peut pas tricher avec ces choses là.
Y a t-il eu une entrée plus fastidieuse qu'une autre ?
Non. Si l'une d'elles l'avait été, elle ne figurerait pas dans cet ouvrage. Je m'étais promis de retirer les notices qui m'ennuyaient. Et c'est tout l'intérêt du dictionnaire amoureux.
A contrario, y a t-il eu une entrée que vous avez plus appréciée que d'autres ?
J'ai aimé l'Hippodrome. J'y suis allé, un dimanche. C'était hallucinant, surréaliste, absurde, comique, fascinant et beau en même temps. Entre deux courses qui se déroulent sous leurs yeux, les spectateurs parient en direct sur une course à Longchamp. Vous voyez des gens, qui ne parlent même pas français, qui cochent des noms de chevaux français et qui se mettent à fêter leur victoire, ou à pleurer leur défaite, sur une course qui se passe dans un autre pays, à 3000 km d'ici. Et lorsqu'un cheval gagne, la manière dont ils envahissent le circuit est très haute en couleur. Etonnamment, ils respectent les rites des hippodromes de réputation internationale. Les traditions y sont scrupuleusement respectées avec le folklore autour.
Le dictionnaire amoureux va-t-il être traduit en arabe ?
Oui, la traduction sort bientôt. Moi qui croyais que ce serait simple, finalement, il m'a fallu supprimer quelques entrées et en ajouter d'autres afin de rendre ce livre plus cohérent pour un public arabophone. Elia Abou Madi, par exemple, est un poète que j'adore mais qui n'est pas traduit en français. Chaque public perçoit le livre différemment.
On observe, chez les jeunes libanais, une envie de quitter le pays. Et, à côté de cela, il y a aussi une fascination des étrangers pour le Liban. Comment expliquez-vous cela ?
Cette fascination n'est pas nouvelle. Dans l'entrée Ecrivains-voyageurs, je parle des nombreux écrivains qui sont venus ici et ont retranscrit ce qu'ils ont dit à propos du Liban. C'est impressionnant.
Georges Duhamel dit que le Liban est la preuve que Kipling s'est trompé lorsqu'il affirmait que l'Orient sera toujours l'Orient et l'Occident sera toujours l'Occident et que rien ne pourra jamais les réunir.
Ce qui est intéressant, pour un étranger, c'est de voir cette harmonie, cette fusion entre Orient et Occident. C'est aussi un pays extrêmement riche, dix-sept civilisations se sont succédé sur ce sol. Ce n'est pas un pays artificiel. C'est un pays qui a une histoire. Et en même temps, il y a ces clichés, mais qui sont vrais, de la montagne et de la mer qui cohabitent, du climat, de l'hospitalité. C'est aussi un pays qui bouge, les jeunes talents sont très dynamiques.
Pour vous, qu'est-ce qu'être libanais ?
Etre libanais, c'est être un arabe ouvert sur le monde, attaché à la liberté et au vivre ensemble.
Mariam SERHAN (www.lepetitjournal.com/Beyrouth) jeudi 19 janvier 2017