L'arrestation vendredi de deux jeunes birmans pour le meurtre de deux Britanniques à Koh Tao en septembre laisse perplexe une partie de l'opinion, des organisations de défense des droits de l'homme et même les autorités birmanes.
Depuis vendredi, les réactions fusent sur les réseaux sociaux et dans la presse en langue anglaise à propos du double meurtre de Koh Tao. Certains évoquent une farce policière destinée à boucler sans plus attendre une affaire devenue embarrassante en présentant deux bouc-émissaires devant la justice.
Les corps de David Miller, 24 ans, et Hannah Witheridge, 23 ans, avaient été découverts nus, le 15 septembre à l'aube sur une plage de Koh Tao, petite île d'ordinaire tranquille. Ils avaient été frappés à mort avec un bâton et un ustensile de jardin, retrouvés ensanglantés sur place.
Après trois semaines d'enquête infructueuse suscitant de vives critiques, notamment des Britanniques, deux travailleurs immigrés birmans confondus, selon la police, par des analyses ADN, ont été inculpés vendredi.
Ils ont été "officiellement inculpés pour meurtres, viol en réunion et vol" d'un téléphone portable, a indiqué vendredi le colonel Prachum Ruangthong, commandant de la police de Koh Phangan. Ils sont passibles de la peine de mort.
Plus tôt vendredi, le chef de la police nationale Somyot Poompanmoung avait annoncé que les deux hommes avaient "avoué les avoir tués".
"Les résultats de tests ADN ont confirmé qu'il s'agissait des mêmes ADN que ceux retrouvés dans le corps" de la femme, violée, avait-il précisé.
Les deux suspects, identifiés sous les noms de Win et Zaw, portant gilet par balles et casque, ont été conduits vendredi sur la scène de crime pour une reconstitution.
Un troisième Birman nommé Mao qui a affirmé avoir quitté les lieux avant les meurtres était vendredi sous protection de la police qui le considère à ce stade comme un témoin, selon un autre responsable policier.
L'affaire a fait les gros titres de la presse britannique, qui s'était déplacée en nombre en Thaïlande pour suivre l'enquête.
La police, critiquée pour les lenteurs de son enquête, avait réalisé des tests ADN sur des centaines d'habitants, notamment des travailleurs immigrés birmans, en vain jusqu'ici.
Néanmoins, selon le Bangkok Post, un communiqué envoyé aux ambassades de Birmanie et du Royaume Uni semble indiquer que la police aurait tenté d'interpeler neuf Birmans le 27 septembre alors qu'ils jouaient au takraw (sorte de tennis-ballon local). Trois d'entre eux, Win, Zaw et Mao, auraient pu s'échapper dans la jungle, tandis que les six autres auraient été arrêtés. De ces derniers, trois auraient été battus et brulés avec de l'eau bouillante pour leur extirper des informations sur leurs trois comparses en cavale. Des photos des blessures infligées auraient été envoyées à l'ambassade de Birmanie.
La police a dit avoir interpellés Win et Zaw le 2 octobre. Après plusieurs heures d'interrogatoire, les deux sans papier auraient avoué.
Des aveux obtenus sous la torture?
Certains groupes de défense des droits de l'homme ont exprimé leurs craintes en voyant la hâte avec laquelle la police à annoncé l'affaire comme étant classée, dans un pays ou les travailleurs migrants, en particulier les Birmans, sont souvent pris comme des bouc-émissaires dans des affaires de vols ou de meurtre.
"Nous ne croyons pas que ces deux hommes sont coupables", a déclaré le Président de l'association des ouvriers migrants birmans (Myanmar Migrant Labour Association), Aung Kyaw, au journaliste spécialiste des meurtres d'étrangers en Thaïlande, Andrew Drummond, qui consacre plusieurs articles sur le sujet sur son site Internet.
"Nous avons demandé à l'ambassade de Birmanie de demander une enquête indépendante et aussi que les échantillons d'ADN soient vérifiés indépendamment de la police thaïlandaise".
Il semblerait que l'appel de l'association ait été entendu, puisque les autorités birmanes ont annoncé que le Ministère birman du Travail enquêtait et avait demandé à son ambassade à Bangkok de fournir l'aide nécessaire à leurs trois ressortissants. ?Nous sommes maintenant en train de mener une enquête sur l'incident,? a déclaré l'attaché au Ministère birman du Travail à l'ambassade de Birmanie en Thaïlande, Thein Naing, au journal Eleven Myanmar. "Nous avons demandé aux locaux si les accusations (contre les trois Birmans) étaient correctes ou non. Certains nous ont dit que les travailleurs birmans n'étaient pas impliqués dans les meurtres", a-t-il poursuivi.
Alerté lui aussi par les rapports de tortures policières, le militant des droits de l'homme, Andy Hall, a lui aussi fait savoir via Twitter qu'il avait envoyé une équipe d'avocats pour représenter les deux jeunes birmans. De leur côté, les autorités birmanes ont-elles aussi dépêché un avocat.
"Nous avons envoyé une équipe légale et allons tenter d'obtenir l'accès aux accusés pour les conseiller sur leurs droits dans le cadre de la loi thaïlandaise et leur faire bénéficier d'une traduction crédible", a-t-il dit.
"Les accusés sont détenus sans représentation légale. Nous n'avons toujours pas d'avocat observant directement l'affaire," a déclaré le militant Pornpen Khongkachonkiet à l'agence Reuters dans le journal The Guardian. "Par conséquent, nous sommes suspicieux de la procédure légale vis-à-vis des confessions".
Mais le général de police Somyot Pumpanmuang affirme dans le Belfast Telegraph que les deux accusés n'ont pas demandé d'avocat...
Des éléments peu concordants
Parmi les premiers facteurs de soupçons vis-à-vis des résultats de l'enquête, la police a révélé avoir trouvé le téléphone portable de Hannah Whiteridge sur l'un des prévenus. Pourtant, le témoignage d'une amie de voyage de la victime assure avoir remis aux policiers le dit téléphone le lendemain du meurtre, avant de quitter l'ile.
Une autre source de doutes vient des tests ADN, menés selon le Bangkok Post en un temps record - en seulement quelques heures contre plusieurs jours d'habitude - pour corroborer les "aveux" des deux suspects.
Le journal birman Eleven Myanmar s'étonne d'ailleurs que la police, après avoir fait savoir dans un premier temps que les examens ADN sur quelque 200 personnes dont la majorité parmi la communauté birmane, n'avaient rien donné, a soudainement annoncé que les tests effectués sur les deux Birmans confirmaient leurs aveux obtenus la veille selon lesquels ils avaient violé Hannah Whiteridge avant de la tuer ainsi que David Miller.
Cité par le Bangkok Post, le Général Somyot a expliqué que des prélèvements ADN avaient été collectés sur des suspects birmans depuis le début, mais que les résultats des tests avaient pris beaucoup de temps en raison de leur nombre. Dans ce cas, d'aucuns s'étonnent que les deux meurtriers présumés jouaient tranquillement au ballon sur la place publique s'ils savaient que leur ADN était sur le point de les trahir.
?Il suffit de vivre un petit peu en Thaïlande pour savoir qu'en général, les migrants birmans vivent dans la peur de la police, interpellations et fouilles sont choses communes... Et il y a peu de chance qu'ils se permettent le meurtre de "farangs" (i.e. occidentaux) [au statut considéré comme élevé]", commente un internaute sur le site d'Andrew Drummond.
Le 30 septembre, les enquêteurs disaient rechercher des suspects mesurant dans les 1,70m et chaussant du 40, des mensurations qui semblent très éloignées de celles des deux jeunes birmans arrêtés au profil pour le moins juvénile.
Enfin, The Nation rapportait la veille de l'inculpation, que des policiers proposaient de fortes sommes d'argent pour acheter des faux-témoignages.
Une pétition en ligne intitulée Independently investigate the horrific murders of Hannah Witheridge and David Miller postée le 4 octobre a déjà reçu 25.000 signatures.
Lire aussi du Bangkok Post Confessed Koh Tao killers re-enact British backpackers' final minutes
P.C. lundi 6 octobre 2014