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LESE-MAJESTE - Une troupe de théâtre dans le viseur de la junte pour diffamation contre la monarchie

Exilés à l'étranger pour éviter la prison pour diffamation envers la monarchie, des membres d'une troupe de théâtre dénoncent une chasse aux sorcières instaurée en Thaïlande par la junte militaire ayant pris le pouvoir par un coup d'Etat, laquelle multiplie les procès pour lèse-majesté.

Deux acteurs sont déjà derrière les barreaux pour leur rôle dans la pièce «La fiancée du loup», visée par une série de plaintes au motif qu'elle calomniait la famille royale sous couvert d'être une satire ancrée dans un royaume fictionnel.

Six autres artistes de cette troupe engagée («Prakai Fai», «Mettre le feu» en thaï) sont recherchés, en vertu de l'article 112, qui prévoit jusqu'à 15 ans de prison pour quiconque se rendrait coupable de lèse-majesté envers le roi, sa femme et leurs descendants, mais aussi ses aïeux.

Sur les six artistes recherchés, au moins deux d'entre eux ont déjà fui le royaume, se joignant à un flot de plusieurs dizaines d'intellectuels ou opposants politiques, en exil pour fuir des affaires de lèse-majesté ouvertes en cascade par les militaires depuis le coup d'Etat de mai dernier.

«Il y a une nappe de brouillard au-dessus du royaume», critique, sous couvert de l'anonymat un membre de la troupe, interrogé depuis son exil par l'AFP.

«Mais nous devons accepter que la Thaïlande a toujours des lois qui bloquent les opinions critiques, des lois qui ferment la bouche des gens», dit-il.

«La fiancée du loup» avait été jouée en octobre 2013 dans la prestigieuse université Thammasat de Bangkok pour le 40e anniversaire d'une révolte étudiante, réprimée dans le sang par l'armée. Le verdict est attendu le 23 février.

Les deux membres du groupe interpellés, l'étudiant Patiwat Saraiyaem, 23, et Porntip Mankong, 26 ans, ont tous deux plaidé coupable lors d'une audience la semaine dernière à Bangkok.

En multipliant les affaires de lèse-majesté, censées protéger le roi Bhumibol Adulyadej, 87 ans, la junte au pouvoir est accusée de vouloir remodeler le paysage politique en profondeur, afin de se débarrasser durablement de l'influence de l'ex-Premier ministre Thaksin Shinawatra, lui-même en exil pour échapper à une condamnation pour malversations.

Dans la perspective de la succession du roi, malade, la loi de lèse-majesté «est utilisée comme un outil pour se débarrasser de l'opposition», dénonce le membre de la troupe de théâtre interrogé par l'AFP.

Appels à la dénonciation

Et la dénonciation de tout crime de lèse-majesté est encouragée, avec des patrouilles renforcées de «cyber-scouts» traquant les contrevenants sur internet.

Des groupes de volontaires ultra-royalistes comme l'Organisation de collecte des ordures ont des numéros spécialement dédiés à ces dénonciations.

Selon la Fédération internationale des droits de l'Homme (Fidh), basée à Paris, 18 personnes ont été interpellées depuis le coup d'Etat.

A cette liste, s'ajoutent plusieurs arrestations de hauts-responsables de la police accusés de lèse-majesté, dont des proches de la princesse Srirasmi, femme du prince héritier, déchue depuis de son titre et séparée du prince.

Parmi les anonymes tombés sous le coup de l'article 112, figure un chauffeur de taxi condamné à deux ans et demi de prison après que son passager a enregistré ses propos sur son téléphone. Un historien de premier plan a quant à lui fait l'objet d'une plainte pour avoir critiqué un roi dont le règne remonte à plus de 400 ans.

David Streckfuss, rare analyste basé en Thaïlande à accepter de commenter le sujet, s'attend à voir émerger «de plus en plus d'affaires», avec ces recours aux dénonciations par des informateurs au sein de la population.

Les affaires ouvertes après le coup sont désormais jugées devant des tribunaux militaires, compliquant encore la couverture de ces procès par les médias locaux et internationaux, soumis à une forte auto-censure sur le sujet.

Impossible par exemple de citer quelles scènes de la Fiancée du loup sont jugées diffamatoires au risque d'être également poursuivis. La police elle-même ne le précise pas.

Un intellectuel proche des Chemises rouges (puissant mouvement pro-Thaksin), Jaran Ditapichai, est à l'origine de la participation de la troupe Prakai Fai aux commémorations à l'université Thammasat. Il est lui aussi poursuivi pour «lèse-majesté» et vient de recevoir le statut de réfugié politique en France.

Etre poursuivi pour lèse-majesté étant un marqueur à vie très handicapant dans la société thaïlandaise, le message lancé par les militaires aux dissidents en exil et plus largement à la population est clair. «Quand vous êtes accusé de l'article 112, vous ne pouvez jamais revenir en Thaïlande», dit-il.

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