La nouvelle compagnie aérienne thaïlandaise PC Air a réalisé vendredi son premier vol vers Hong Kong, avec des hôtesses de l'air transsexuelles. Si cette spécificité très médiatisée est perçue par certains comme une exploitation de l'image des "katoeys" pour faire du bruit autour de la compagnie, d'autres se réjouissent que le troisième sexe puisse accéder à la profession
Avec son uniforme parfait, son maquillage impeccable et ses cheveux balayés, Mew ressemble à n'importe quelle autre hôtesse de l'air, alors qu'elle est l'une des rares transsexuelles thaïlandaises à tracer son chemin dans le ciel. Le compagnie aérienne thaïlandaise PC Air, qui a procédé vendredi à son premier vol commercial reliant Bangkok à Hong Kong, a engagé quatre membres d'équipage transsexuels. "J'aime les emplois où je peux montrer mes qualités et j'adore porter de jolis costumes, indique Phuntakarn Sringern, surnommée Mew et âgée de 25 ans. C'est comme si mon rêve devenait réalité, c'est peut-être la première étape pour les transsexuels de pouvoir accéder à de bons emplois dans le futur." Portant un uniforme noir soigné et une écharpe orange ardent, Mew et ses collègues transsexuelles accompagnent les passagers à leur siège, procèdent aux démonstrations des consignes de sécurité, et servent des cafés. Aucune différence avec les hôtesses de l'air des autres compagnie n'est notable. Certains passagers, sans doute ceux ayant vu les publicités de PC Air mettant en avant la spécificité de son personnel, leur demandent tout de même de poser pour une photo. Mais la plupart ne semblent pas être au courant de leur particularité. "Je n'en avais jamais entendu parler jusque là, explique Bay, un passager thaïlandais. Elles sont vraiment jolies et gentilles, c'est plutôt cool." En dépit de l'opération qui leur a permis de changer de sexe, la loi ne reconnaît pas Mew et ses collèges en tant que femme, ce qui force PC Air à contacter à l'avance chaque pays où la compagnie se rend pour éviter les ennuis lors des contrôles de l'immigration. PC Air dispose actuellement de trois avions avec lesquels elle va opérer des vols bon marché vers Hong Kong et d'autres destinations en Asie.
Un métier jusqu'à présent fermé au troisième sexe
Le royaume thaïlandais est connu pour sa tolérance au sujet des orientations sexuelles et des changements de sexe. Les "katoeys" sont considérées comme un troisième sexe à part entière. Néanmoins, les membres les plus conservateurs de la société ont du mal à accepter le phénomène. Certaines familles envoient leurs enfants, qui se mettent très tôt dans la peau de l'autre sexe, dans des monastères pour être "rééduqués", et les transsexuels ont des difficultés à trouver du travail dans certains domaines. "J'ai toujours souhaité devenir une hôtesse de l'air mais j'attendais une opportunité, raconte Chayathisa Nakmai, 24 ans. Jusqu'à présent le métier n'était ouvert qu'aux hommes et aux femmes, pas aux transsexuels."
Très médiatisée, la campagne de recrutement de PC Air divise l'opinion qui se demande si ces embauches sont faites dans un esprit d'égalité ou d'exploitation. Cette initiative a été saluée par certains activistes qui ont applaudi la volonté de la compagnie aérienne de donner une chance aux personnes transsexuelles d'avoir un travail ordinaire. PC Air "aide à promouvoir une image positive des katoeys", explique l'avocate transsexuelle Prempreeda Pramoj Na Ayutthaya. D'autres sont plus sceptiques sur les motivations de la direction qui a énormément mis en avant ces employées dans ses campagnes de publicité. "Ils utilisent les côtés niais, outrageux et bizarres des transsexuels, indique Yollada Krerkkong Suanyot, présidente de l'Association des transsexuels de Thaïlande. Cela accentue la manière dont la société peut parfois percevoir ces personnes, comme si elles étaient étranges, spéciales, bizarres. Venez les voir, ce sont des hôtesses de l'air !".
"Devenir hôtesse de l'air ou Premier ministre"
La Thaïlande bouddhiste est épargnée par le "poids de la répression sexuelle judéo-chrétienne", mais elle a été influencée dans le passé par des idées occidentales qui ont présenté les transsexuels comme "souffrant de troubles mentaux", analyse Sam Winter, un psychologue spécialiste du genre à l'université de Hong Kong. D'après lui, il en a résulté "une intolérance pratique et bureaucratique" envers ce type de personnes. Avec peu d'opportunités sur le marché du travail, de nombreux transsexuelles se dirigent vers la prostitution, un moyen de gagner de l'argent et "une chance rare d'affirmer leur identité en tant que femme", explique-t-il.
Le patron de PC Air, Peter Chant, dont les initiales forment le nom de la compagnie, se considère fièrement comme un "pionnier", pour avoir ouvert le métier d'hôtesse de l'air au troisième sexe. Il dénie toute intention de vouloir utiliser son personnel transsexuel à des fins marketing et préfère évoquer les "droits de l'Homme" et des raisons venant du "c?ur" pour justifier sa décision. "Ce n'est pas une question d'argent," explique l'excentrique homme d'affaires de 48 ans avant d'entamer le titre My Way interprété par Frank Sinatra, comme pour appuyer ses propos. Le slogan "I believe it's 'my way'" se retrouve d'ailleurs sur les avions de PC Air. Mew, qui a changé de sexe il y a deux ans, souhaite, elle, que d'autres compagnies, que ce soit dans les airs ou ailleurs, vont suivre le mouvement initié par PC Air. "Peut-être dans le futur, tous les transsexuels pourront espérer devenir hôtesse de l'air ou Premier ministre", espère-t-elle.
mercredi 14 mars 2012