Des centaines de soldats en costumes traditionnels multicolores avançant au chant des moines devant une foule en pleurs: la Thaïlande a célébré jeudi avec faste les funérailles de son monarque, au statut de demi-dieu.
Palanquin doré surmonté d'une urne funéraire en bois précieux, sujets agenouillés... Les funérailles hors normes orchestrées jeudi du roi de Thaïlande Bhunibol Adulyadej s'inscrivent dans une tradition ancienne.
Ni la junte aux manettes du gouvernement ni la monarchie, une des plus riches au monde, n'ont lésiné sur les dépenses: la cérémonie et la construction du site de la crémation est estimée à 90 millions de dollars (plus de 76 millions d'euros).
Les meilleurs artisans du pays ont travaillé pendant des mois pour construire le site de la crémation, sculptant des créatures des mythologies hindoues ou bouddhistes: au total, plus de 500 de ces créatures et animaux entourent le site, censé représenté le mont Meru, passage entre le monde des vivants et des morts pour les bouddhistes.
Y sont aussi placées, au sommet, deux statues des chiens préférés du roi, eux aussi décédés.
Le corps du roi Bhumibol Adulyadej, décédé le 13 octobre 2016 à 88 ans, était conservé depuis au palais, entouré d'un constant cérémonial bouddhique, régulièrement diffusé en direct à la télévision.
Jeudi matin, une immense procession emmenée par le nouveau roi Maha Vajiralongkorn, en costume militaire d'apparat rouge, a permis d'amener l'urne royale jusqu'au gigantesque site de la crémation.
"Je n'ai jamais vu une cérémonie aussi spectaculaire de ma vie", confie Sripipha Dowsuk, une Thaïlandaise de 60 ans, en larmes.
Les Thaïlandais se sont rassemblés en grand nombre jeudi pour rendre un dernier hommage à leur roi, formant de longues files d’attentes sous le soleil de plomb comme ici près de la salle du trône Ananta Samakhom pour accéder à l’une des 85 répliques du bucher miniature installées un peu partout dans le royaume (Photo Marie DARONDOVAS) |
Plus de 300.000 Thaïlandais étaient massés, selon les autorités, le long du tracé du convoi funéraire sous un soleil de plomb, et des dizaines de milliers d'autres dans le pays se sont rendus dans les temples formant d’impressionnantes files d’attentes pour lui rendre un dernier hommage.
Après les premiers chants des moines bouddhistes, le nouveau roi a présidé aux rituels, ses sujets rampant devant lui comme le veut la tradition, avant de prendre place dans la procession.
Cérémonial pour demi-dieu
Près de 1.000 soldats en costumes traditionnels multicolores, contrastant avec une foule tout en noir, ont pris place dans le cortège funéraire, qui devait aller du palais vers le crématorium, une distance de moins de trois kilomètres qui a leur a pris plusieurs heures à parcourir, le cérémonial impliquant une marche très lente.
Au centre du cortège: un palanquin doré, porté par plusieurs dizaines d'hommes en costumes orange, avec au sommet l'urne funéraire royale de bois précieux dans lequel les corps des rois sont traditionnellement conservés.
De chaque côté de l'urne, deux hommes en blanc, portant de longs chapeaux pointus: il s'agit des médecins personnels du roi Bhumibol, qui a été hospitalisé pendant des années avant de mourir en octobre 2016.
Un peu plus tard, l’urne devait être transbordée sur le chariot royal doré tiré par des dizaines d’hommes. En tête de convoi, sur un autre chariot doré, se trouvait le Patriarche Suprême.
Ce cérémonial s'inscrit dans la lignée des crémations royales et fournit l'occasion de réaffirmer la place centrale de la monarchie.
En costume d'apparat militaire rouge, le nouveau roi a pris part à la procession. Se trouvaient également la princesse Sirindhorn, sa sœur, mais aussi le fils du roi, Dipangkorn Rasmijoti.
Agé de 12 ans, il vit avec son père en Allemagne la plupart du temps et est rarement visible dans le royaume. Mercredi, le palais a diffusé des photos de lui distribuant des vivres à la population massée dès la veille pour voir passer le convoi, un contact avec le peuple rarissime et très mis en scène.
Inattendue fin de crémation à huis clos
Mais après cette journée de cérémonies millimétrée avec grande anticipation, les Thaïlandais ont été surpris de constater que l’incinération du roi s’est finalement déroulée à huis clos.
Le roi Vajiralongkorn devait allumer le bucher à 22h, un événement qui était censé être diffusé par les médias thaïlandais pour poser une conclusion à un peu plus d’un an de deuil national d’un peuple qui avait un lien intime avec le roi Bhumibol.
Mais cette décision d’effectuer la crémation en privé a pris les gens à contre-pied.
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De la fumée s’échappe du bucher funéraire royal jeudi soir alors le corps du roi Bhumibol est incinéré (Photo AFP-STR) |
"Le roi (Bhumibol) a été incinéré mais aucune diffusion télévisuelle n’a été autorisée," a fait savoir un responsable du Palais, tandis que les médias étaient soudainement écartés de la zone proche du bucher royal.
Pour le peuple, ce fastueux événement était l’occasion de dire adieu au défunt souverain considéré comme le "père de la nation".
"J’ai été surprise qu’ils ne diffusent pas la crémation," a déclaré Nuttidar Bangsri, 52 ans, qui a dormi sur le trottoir pendant cinq jours, bravant la pluie et le soleil de plomb pour se réserver une place près du site.
Têtes couronnées
Outre la famille royale de Thaïlande, des représentants de plusieurs familles royales du monde entier doivent participer à la cérémonie, en fin d'après-midi, pour la crémation elle-même.
Le prince Andrew représente la Couronne britannique. Le Japon est représenté par le prince et la princesse Akishino. La reine Maxima des Pays-Bas est aussi présente, ainsi que la reine Sofia d'Espagne et la reine Mathilde de Belgique, parmi les quelques membres de premier plan de familles royales à avoir fait le déplacement.
En bonne place dans le cortège a marché le chef de la junte, le général Prayuth Chan-O-Cha, auteur du coup d'Etat de mai 2014, réalisé au nom de la défense de la monarchie, à une époque où l'état de santé du roi Bhumibol s'était déjà dégradé.
Le quartier historique de Bangkok, comptant de nombreux palais, musées et temples, est habituellement très fréquenté par les touristes. La zone autour du site de la crémation était interdite aux personnes non munies d'une accréditation.
Dans Bangkok, hors du circuit de la procession des dizaines de temples accueillaient des Thaïlandais, qui se pressaient par milliers pour rendre un dernier hommage à Bhumibol.
Il est difficile d'évaluer la popularité de la royauté thaïlandaise, protégée par une loi de lèse-majesté très stricte ayant pour conséquence une très forte autocensure. Ces dernières années, de nombreux Thaïlandais ont été condamnés à de lourdes peines pour avoir diffamé le roi.
Mais pour les nombreux Thaïlandais massés dans l'attente du convoi, après avoir passé la nuit dans la rue pour nombre d'entre eux, le roi Bhumibol était le Père de la Nation.
"Il était parfait. Il a tant fait pour le pays et le peuple de Thaïlande. Soixante-dix millions de Thaïlandais sont unis dans leur amour pour lui", a assuré à l'AFP, dans la foule, Wacharadej Tangboonlabkun, 65 ans, brandissant un portrait du roi.
Comme la plupart des Thaïlandais, il n'a vécu que sous le roi Bhumibol, qui détenait le record mondial du plus long règne, ayant passé plus de 70 ans sur le trône.
"La crémation représente la fin d'une histoire bien organisée" par les élites royalistes, analyse l'historien David Streckfuss, spécialiste de la monarchie thaïlandaise interrogé par l'AFP.
"Les militaires sont arrivés au pouvoir en 2014 en se proclamant les protecteurs de la monarchie. Ce n'est donc pas une surprise qu'ils s'assurent que tout le monde soit bien respectueux" du deuil collectif, souligne-t-il.
La plupart des magasins et des restaurants étaient fermés jeudi après-midi et le jour a été déclaré férié.
Le seul activiste ayant osé envisager une provocation (mettre une chemise rouge, symbole de l'opposition, quand tout le monde est habillé en noir depuis un an) a été exfiltré hors de Bangkok le temps des funérailles, ont dénoncé ses avocats.