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SOCIETE – Les détenus pour lèse-majesté, parias des prisons

Écrit par Lepetitjournal Bangkok
Publié le 1 janvier 1970, mis à jour le 20 novembre 2012

En prison, les détenus condamnés pour insulte à la monarchie sont considérés comme des parias, qui se disent violentés par les surveillants comme par leurs codétenus. Si les autorités pénitentiaires réfutent ces accusations, les militants des droits de l'homme appellent à leur libération

"Certains gardiens m'ont emmené dans une autre partie de la prison et ont ordonné aux détenus de me frapper", raconte Thantawut Thaweewarodomkul, qui purge 13 ans de prison pour avoir posté sur Internet un contenu jugé insultant pour la famille royale. L'incident est intervenu juste après son incarcération et lui a valu deux yeux au beurre noir, a expliqué ce quadragénaire dans le quartier haute-sécurité du centre de détention de Bangkok. Ancien administrateur du site Nor Por Chor aux Etats-Unis, il était proche du mouvement des Chemises rouges, proche de l'ex-Premier ministre Thaksin Shinawatra. Il a été condamné en vertu de la loi sur les crimes informatiques et la lèse-majesté. Ils sont sept comme lui à purger une peine pour offense à la couronne, selon la Commission pour les droits de l'Homme en Thaïlande, qui a répertorié 241 dossiers de lèse-majesté depuis 2007 dont un nombre inconnu en cours de traitement. Certains sont jugés à huis clos sous couvert de protection de la sécurité nationale.

"Ce n'est pas très différent de la façon dont les pédophiles sont traités"
Car la famille royale est un sujet ultra sensible, même si elle n'a officiellement aucun rôle politique. Et le roi Bhumibol Adulyadej, 84 ans, plus vieux monarque en exercice dans le monde qui vit depuis septembre 2009 à l'hôpital, jouit auprès de certains de ses sujets d'un statut de demi-dieu. Les militants des droits de l'homme observent depuis quelques années une forte politisation de la loi alors que beaucoup de militants liés aux Chemises rouges sont poursuivis en justice. Leurs manifestations avaient déclenché en 2010 les pires troubles civils depuis des décennies, entraînant la mort d'au moins 90 personnes.
Le délit relève d'une "insulte à la société" et pas seulement aux individus que le texte est censé protéger (le roi, la reine, un héritier ou régent), analyse Benjamin Zawacki, pour Amnesty International. "Les autres détenus, les criminels de droit commun, les regardent comme s'ils avaient en quelque sorte commis un crime différent du leur, plutôt pire, estime-t-il. Ce n'est pas très différent de la façon dont les pédophiles sont traités"

La devinette avant le parloir
Les poursuites et condamnations pour lèse-majesté se sont multipliées depuis le coup d'Etat militaire de 2006 contre Thaksin, vu par les élites de Bangkok comme un danger pour la monarchie. Alors que beaucoup de Chemises rouges espèrent son retour, ce dernier est depuis exilé du pays pour éviter de purger une peine de 2 ans de prisons pour corruption. Et si sa sœur Yingluck a accédé au pouvoir il y a un an, la liberté d'expression n'a pas gagné de terrain pour autant. La chef du gouvernement a même déçu beaucoup de militants en faisant la sourde oreille en ce qui concerne une réforme de la loi.
Au moins les détenus jugent-ils que les conditions de détention se sont améliorées. Daranee Charnchoengsilapakul, une militante "rouge" qui purge 15 ans de détention pour avoir attaqué la famille royale dans des discours publics, n'a plus à deviner qui est son visiteur avant d'arriver au parloir pour avoir le droit de le voir, explique une de ses proches. "Mais elle m'a dit il n'y a pas si longtemps qu'elle était encore battue par des gardiens, regrette son frère Kittichai. Ils la persécutent".

La mort d' "Oncle SMS" a provoqué une émotion rare
En mai dernier Ah Kong, un grand-père de 62 ans est mort en détention alors qu'il purgeait une peine de 20 ans pour avoir prétendument envoyé des SMS jugés insultants envers la famille royale à un adjoint de l'ancien Premier ministre Abhisit Vejjajiva. L'autopsie du détenu montrerait que celui qui était surnommé en Thaïlande "Oncle SMS" souffrait en fait d'un cancer du foie. La mort d'un des condamnés pour lèse majesté les plus connus du pays a cependant suscité un véritable tollé pour les Thaïlandais, chose rare. Sa femme Rosmalin Tangnoppakun explique que la prison était "dure" pour son mari mais que ni les autorités ni sa famille n'étaient au courant de sa maladie et qu'Ah Kong n'évoquait jamais les conditions de détention. "Il ne m'en a pas vraiment parlé parce qu'il avait peur de je m'inquiète pour lui", ajoute-t-elle.
Sorasit Chongjaroen, à la tête du Centre de détention provisoire de Bangkok, nie toute violence dans son établissement. "Il n'y a rien de tel, pas de passages à tabac ici", a-t-il assuré. En ce qui concerne les soins médicaux des détenus, "il est évident qu'ils ne sont pas comparables à ceux qui peuvent être apportés par des hôpitaux à l'extérieur", ajoute Sorasit. Amnesty, de son côté, relève que ces détenus - qui peuvent encourir jusqu'à 15 ans de prison pour chaque chef d'accusation - sont des prisonniers de conscience. "Ils devraient être libérés. La question de leur traitement en prison ne devrait même pas être un sujet de conversation", martèle Benjamin Zawacki. Leurs familles se sont regroupées au sein d'un réseau pour faire connaître leur fardeau, espérant un jour une modification de la loi. Sukanya Pruksakasemsuk, dont le mari Somyot est poursuivi pour deux articles dans un magazine "rouge" aujourd'hui disparu, juge celle-ci inopérante : "Tu peux physiquement les mettre en prison, mais tu n'emprisonneras pas leur âme."
(http://www.lepetitjournal.com/bangkok.html - AFP) mardi 28 août 2012

Lire aussi :
Note article du 6 juin 2011 – L'ancien médecin chef de la Santé découvre les prisons thaïlandaises

Crédit photo : Larry Mulvehill/Corbis

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Publié le 28 août 2012, mis à jour le 20 novembre 2012

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