Propulsée sur le devant de la scène lundi avec sa nomination en tant que tête de liste du parti d'opposition Puea Thai pour les élections législatives du 3 juillet, Yingluck Shinawatra est considérée comme trop inexpérimentée en politique et bien trop proche de son frère Thaksin, à qui l'on reproche de tirer les ficelles depuis l'étranger. A l'approche des élections, il lui reste en effet encore beaucoup à prouver afin de séduire le maximum d'électeurs
Yingluck Shinawatra a d'ores et déjà sa place dans l'histoire de la Thaïlande en tant que première femme à s'être présentée pour le poste de Premier ministre. Mais pour l'heure, l'opinion s'intéresse à elle plus pour ses liens de parenté avec Thaksin que pour sa condition de femme ou ses qualités propres. Avec encore peu d'expérience en politique, sa nomination par le parti d'opposition Puea Thai montre l'influence que son frère, l'ex-Premier ministre Thaksin Shinawatra, continue d'exercer en Thaïlande, même en vivant en exil depuis presque 3 ans.
Une femme d'affaire
Cette femme de 43 ans, mariée et mère d'un enfant, actuellement à la tête de la société immobilière SC Asset Corp, a toutefois décroché un diplôme en sciences politiques avant d'obtenir une maitrise en administration des affaires à l'université d'état du Kentucky aux Etats-Unis.
De retour en Thaïlande au début des années 90, elle entre comme stagiaire dans l'une des entreprises de son frère. A partir de là, elle gravira les échelons au sein de l'empire familial. Elle a été la présidente de Shin Corp, le géant des télécommunications fondé par Thaksin, dont la revente en 2006 à un conglomérat singapourien par la famille Shinawatra, sans payer de taxes, avait déclenché un scandale en Thaïlande, et relancé la campagne de grogne menée par Sondhi Limthongkul, débouchant sur le coup d'Etat la même année.
L'ombre de Thaksin, avantage ou inconvénient
Nombreux sont ceux qui ne voient en Yingluck que l'ombre de Thaksin Shinawatra, certains espérant le meilleur, d'autres craignant le pire. Et si elle veut prouver qu'elle est autre chose que la "marionnette" de son grand frère de 18 ans son ainé, la jeune femme va devoir batailler ferme. "Yingluck ressemble plus à l'aîné des enfants de Thaksin que sa jeune soeur. Elle est la deuxième personne en qui Thaksin a le plus confiance, après son ex-épouse Pojaman", déclarait en mars le magazine d'information Matichon Weekly dans un portrait. "Yingluck est vraiment la protégée de Thaksin et peut avoir accès à lui quand elle le veut".
Les analystes suggèrent que, même si Yingluck sera sans doute bien accueillie par les fans de son frère, elle devra lutter pour séduire les électeurs en-dehors de ses fidèles de la classe ouvrière rurale. "Il pourrait y avoir les habitants de Bangkok qui apprécient la ligne pro-démocratie du Puea Thai, mais le fait qu'elle porte le nom de Shinawatra pourrait les faire fuir", estime Pavin Chachavalpongpun, expert en politique thaïlandaise a l'Institut des Etudes du Sud-Est Asiatique à Singapour.
"Le peuple aime toujours notre famille et reste inquiet pour nous. Nous sommes redevables envers notre peuple," déclarait Yingluck hier dans une interview donnée à la télévision thaïlandaise.
S'il gagne, son parti envisage d'amnistier les politiciens condamnés ou seulement inculpés, y compris Thaksin.
Mais Yingluck assure que son frère ne recevra pas de traitement de faveur.
"Je ne veux pas que les gens focalisent seulement sur l'amnistie. Je veux qu'ils comptent en priorité sur la réconciliation et la justice," dit-elle. "Tout doit être fait dans les règles, de manière équitable pour tous."
Question de stratégie
Le Parti Démocrate, pour sa part, ne semble pas s'inquiéter de la candidature de Yingluck face au Premier ministre actuel, Abhisit Vejjajiva. Pour le vice-Premier ministre, Suthep Thaugsuban, Yingluck n'est "qu'une marionnette de Thaksin et n'a que très peu d'expérience en politique".
Bien qu'elle ait été élue à l'unanimité par le Puea Thai pour être tête de liste, Yingluck Shinawatra a des détracteurs au sein de son propre parti. En plus de son inexpérience, certains voient d'un mauvais œil l'emprise continue de Thaksin. Des poids lourds comme Mingkwan Sansuwan ou encore Chalerm Yubamrung, qui se voyaient candidats numéro un, ont même de quoi entretenir une certain rancœur vis-à-vis de Thaksin et sa protégée.
Les récents propos de Thaksin décrivant sa sœur comme son "clone", n'arrangent en rien l'image que l'opinion publique a de la jeune femme. Pour enfoncer le clou, un édito publié hier dans le Bangkok Post décrit Yingluck comme une femme d'affaires brillante dans son domaine mais qui n'a jamais réellement brillé. Une femme discrète qui a finalement peu fait parler d'elle et qui, si elle a gravi un à un les échelons des entreprises de l'empire familial au mérite, l'a fait sans apporter de réelles innovations.
Néanmoins, si la stratégie de Thaksin consiste à simplement miser sur une bonne gestion d'une popularité déjà acquise par le parti et sur son nom, ce qui est décrit comme des défauts se trouvent être des qualités. En 2007, la formation politique de Thaksin avait remporté, sous un autre nom, le scrutin en frôlant la majorité absolue dans un contexte électoral régenté par les putschistes. Aussi, face à Abhisit et sa "pretty face" qui fait craquer les jeunes femmes de la classe moyenne de Bangkok, le style glamour de la femme active et mère de famille que symbolise Yingluck peut être un atout non négligeable.
M.B. (http://www.lepetitjournal.com/bangkok.html avec AFP) jeudi 19 mai 2011
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Notre article du 18 mai 2011, Yingluck, marionnette de Thaksin, par Stephff
Notre article du 17 mai 2011, Yingluck Shinawatra sera la candidate du Puea Thai
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