Pourquoi les Grecs s’habillent-ils en noir ?

C’est certainement ce que vous vous êtes demandé depuis que vous êtes en Grèce. Que ce soit en été ou en hiver, dans les rues d’Athènes ou le long des plages de Mykonos, il est certain que vous vous êtes posé au moins une fois la question. Ceci est pour le moins compréhensible. Surtout lorsque le thermomètre affiche plus de 30 degrés et qu’autour de vous, vous ne voyez que des locaux vêtus de noir… Mais alors pourquoi ? Pourquoi les grecs portent-ils autant cette couleur ?

Pour le savoir il faut remonter dans le temps et revenir au VIIIème siècle. A cette époque, le christianisme rayonne sur toute l’Europe. Les chrétiens ne sont enfin plus chassés par le système en place en raison de leur appartenance religieuse. Ils font d’ailleurs partie de la société en possédant une influence grandissante par l’intermédiaire du clergé. Seulement, il est difficile de s’en apercevoir réellement puisqu’il n’existe aucun moyen pour l’Eglise de distinguer les croyants des laïcs. C’est alors que certains païens décident de créer un moyen de différenciation, un uniforme, permettant de reconnaître les fidèles. Il s’agit en fait d’une longue robe colorée de noir. Les chrétiens la nommeront « raso » en latin qui se traduit en grec par le mot : Ράσο. Cette dernière prendra à travers le temps la valeur de costume religieux. Si bien qu’elle demeurera un symbole du christianisme après le grand schisme d’Orient de 1054.

Noir et religions

Ce grand évènement sonnera le glas de la relation entre l’Eglise d’Occident et d’Orient. Celui-ci intervient d’ailleurs à la suite de nombreuses querelles christologiques et incarne la rupture des deux camps. Grâce à son avènement, le christianisme se décompose désormais en deux branches religieuses. A l’Ouest les chrétiens et à l’Est les orthodoxes. Tous deux ont depuis emprunté leur propre chemin cependant, ils se rejoignent toujours sur une même chose : la raso, qui est restée le costume officiel des prêtres comme des popes (nom des prêtres orthodoxes.)

Au-delà de cela, le vêtement noir symbolise également une appartenance au clergé orthodoxe chez les croyants. Ce qui notamment explique en quoi cette couleur est si commune en Grèce. Au sein du pays, 97% de la population est considérée orthodoxe de facto et selon plusieurs études locales, 8 grecs sur 10 s’accordent à dire qu’ils sont de croyance orthodoxe. Et cette relation religieuse est on ne peut mieux exprimée par le noir des vêtements des fidèles. Néanmoins, cela n’explique pas tout. De nombreux jeunes grecs portent encore aujourd’hui du noir de manière fréquente. Pourtant, la nouvelle génération s’accorde elle-même à se considérer comme de moins en moins croyante. Alors pourquoi une telle affiliation vestimentaire au noir ?

Le noir, une couleur de vêtement privilégiée à tous les âges mais pour des raisons différentes

Avant de s’attarder davantage sur la question, il est important de comprendre la signification même du coloris noir sur un vêtement pour les grecs. Et contrairement aux idées reçues, cette couleur n’incarne pas la même idée de pessimisme qu’en France. En Grèce, le noir représente l’espoir alors que le blanc, lui, projette le désordre si ce n’est l’inachèvement. Cette inversion entre le mode de pensée occidental, sinon français, et grec survient dès l’Antiquité. La Grèce Antique a alors l’allure d’une « cité blanche » mais celle-ci cherche cependant à s’élargir davantage dans le monde. L’idée de « cité blanche » qu’elle représente donc ne lui convient pas car elle cherche à quitter sa cité pour aller en conquérir d’autres. Et c’est ainsi que, par opposition, le noir deviendra signe d’espoir en de conquêtes futures.

Des temps modernes, le noir a conservé cette connotation. Il est symbole de lutte envers la liberté au niveau national. Notamment grâce à la Guerre d’Indépendance de la Grèce l’opposant à l’Empire Ottoman de 1821 à 1829. Lors de ce conflit, un bataillon sacré, originaire de Crête et vêtu de noir, avait pris les armes durant la bataille de Drăgăşani contre les forces ottomanes. Plus tard, le courage et la résistance dont on fait part ces soldats sont venus accentuer la symbolique positive du noir que se faisaient les grecs jusqu’alors. 

A tel point qu’en 1973, les étudiants grecs de l’école Polytechnique d’Athènes à l’initiative du soulèvement national contre la dictature des colonels ont choisi de porter du noir pour représenter leur cause. Aujourd’hui encore, le noir s’associe à l’idée d’espoir que défendaient les étudiants de l’école Polytechnique lorsqu’ils se barricadaient dans leur propre établissement afin de protester. Beaucoup de jeunes grecs portent depuis du noir pour rendre visible leur soutien envers le mouvement étudiant de 1973 ou pour caractériser leur désaccord avec le gouvernement actuel… Cela est d’ailleurs ce qui rend cette couleur aussi universelle pour les grecs. Néanmoins cette dernière, malgré sa forte symbolique, n’est pas toujours porteuse d’espoir ou d’indication liée à une appartenance religieuse.

Une couleur obligatoire pour tous les endeuillés

En effet en Grèce comme partout ailleurs, le noir demeure avant tout la couleur des morts. En Crète, la majorité des locaux, quel que soit leur âge, portent d’ailleurs une chemise noire depuis les vendettas du XVIIIème siècle recouvrant la région et toute l'île comme un nuage noir.

Le remplacement du blanc par la chemise noire commence donc à cette date mais se démocratise entièrement lors du décès de Eleftherios Venizelos en 1936. La légende qui accompagnait la mémoire de l’ancien premier ministre originaire de Crète a très vite établi la chemise noire comme vêtement quotidien (des crétois). Ce qui, bien sûr, contribue un peu plus encore à la popularité du noir auprès de la population grecque. De plus, une tradition ancestrale du pays veut que chaque femme soit vêtue de noir pendant trois ans lorsque la mort touche l’un des membres de sa famille. Comme si le noir ne manquait pas de raisons d’être porté…

Au final, tout cet amas de significations et de connotations a contribué à la notoriété nationale du vêtement noir. Si bien qu’aujourd’hui, il est l’un des étendards les plus répandus sur son territoire après son drapeau national bleu et blanc. .