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Kastellórizo : La plus turque des îles grecques

Kastellorizo ile Grecque turquieKastellorizo ile Grecque turquie
GNTO
Écrit par Noé Kolanek
Publié le 18 janvier 2021, mis à jour le 18 janvier 2021

Son allure de pince de homard lui donne un air craquant pourtant, lorsque l’on se met à décortiquer sa carapace, l’île de Kastellórizo nous révèle une histoire bien moins tendre que son apparence. En réalité, le charme que revêt l’île est devenu son défaut tant sa position géographique séduit son voisin turc. D’autant plus depuis que Recep Tayyip Erdogan, en dragon éminent, a soufflé sur les braises du conflit gréco-turc… et que peut donc faire un simple crustacé face à la volonté d’une telle créature ?

Tout simplement rien, et c’est bien ce qui inquiète sa population. A Kastellórizo les esprits s’échauffent. La réputation d’havre de paix tenue par l’île semble de plus en plus reléguée au rang de mirage, de lointain oasis tant les échanges diplomatiques gréco-turcs semblent désertiques. Et pour cause des navires de forage venus d’Ankara explorent sans autorisation les eaux grecques avoisinant la côte de Kastellórizo depuis l’été dernier. La Grèce apprendra plus tard que le président Erdogan leur a donné l’ordre de sillonner la Méditerranée en quête de précieux gaz.

La tension est donc palpable dans le Dodécanèse. Cela se ressent si bien que sur terre, la vie a un goût différent. L’amertume qui s’en dégage est plus perceptible encore que les déclarations du chef de l’Etat turc lorsqu’il prétexte « qu’Athènes veut nous enfermer sur nos côtes avec une île de 10 km2 » pour justifier ses ambitions expansionnistes. Le calme presque paradisiaque dont bénéficiait Kastellórizo n’est donc plus. Surtout depuis que dans les airs, le gris des avions de chasse tâche le bleu silencieux du ciel.

Une petite île aux grands enjeux

Mais est-ce que ce gros caillou constitue-t-il vraiment une menace pour la Turquie comme le laisse sous-entendre M.Erdogan ? Comment un simple îlot situé à un jet de pierre du géant turc peut-il empêcher Ankara de dominer son littoral ? Cela semble dérisoire. Seulement ce n’est pas complètement faux. Selon le droit de la mer, la Grèce possède grâce à Kastellórizo une Zone  Économique Exclusive (ZEE) de 40.000 km2. C’est-à-dire qu’au sein de cette aire, Athènes est seule souveraine et peut décider d’ouvrir et d’exploiter ses eaux comme bon lui semble.

ZEE Framacarte

Cependant, l’espace maritime détenu par la propriété grecque empiète sur les revendications de son rival. Elle ne permet donc pas à la Turquie d’être la seule amirale de son rivage. Sans doute est-ce pour cela que tant de voix s’élèvent contre Kastellórizo à Ankara. Au-delà de Recep Teyyip Erdogan, Ismail Hakki Musa, ambassadeur de la Turquie en France conteste également la situation de Kastellórizo : « Avec la logique de nos amis grecs, on devrait reconnaître à cette île de 10 km2 une zone économique exclusive de 40 000 km2 ! C'est inacceptable et même absurde » défend-t-il au micro de France Culture le 5 octobre dernier.

Un face-à-face interminable

Et ce n’est pas encore une fois complètement faux. Dans le cas d’îles étrangères se situant à proximité des terres d’un autre pays, c’est la ZEE du pays continental qui prime selon le droit de la mer. Par exemple Saint-Pierre et Miquelon, possession française, est comprise au sein de la ZEE canadienne. C’est-à-dire que son aire maritime est en réalité détenue par le pays continental situé aux abords de l’île, et non pas à la France.

La Grèce ne bronche pas pour autant. D’ailleurs, le pays a décidé le 14 janvier 2021 d’appliquer un nouveau projet de loi visant à étendre sa ZEE de 12 miles (19,3km) en Grèce et en Crète. Cette décision ne concerne, pour l’heure, aucune des autres îles occupées par la nation si ce n’est la Crète. Néanmoins, le gouvernement se réserve le droit d’appliquer des dispositions identiques pour l’ensemble de son territoire. Cela pourrait donc renforcer la mainmise de Kastellórizo sur son littoral même si l’île ne possède pas, selon la Turquie, de l’autorité légitime pour disposer de cet espace maritime.

Pour autant, Ankara a tendance à ne considérer aucune des ZEE possédées par les îles habillant la Mer Egée. Que ce soit Kastellórizo, Crète, ou même dans le cas de Chypre, un pays de plus d’un million d’habitants, M.Erdogan réfute toute souveraineté maritime. Il est donc compliqué d’accorder raison à un camp plutôt qu’à un autre. D’autant plus que les deux nations « refusent toute discussion » comme l’explique le premier ministre grec Kyriákos Mitsotákis, du moins tant que « les conditions [d’échange] ne sont pas acceptables. » De nouvelles négociations des instances internationales devraient débuter sous peu pour inviter les deux rivaux à échanger. Reste à savoir si elles aboutiront mais pour l’heure, Kastellórizo demeure la plus turque des îles grecques.

 

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