Lors de sa présentation au dernier Festival de Cannes, tout le monde n’avait d’yeux que pour elle. Couronné par la prestigieuse Caméra d’Or (mais aussi une ribambelle d’autres prix et nominations), ‘Girl (Κορίτσι)’ le premier long-métrage du Belge Lukas Dhont, est dans les salles de cinéma athéniennes depuis le 22 novembre. Il raconte l’histoire de Lara, une jeune danseuse née dans un corps de garçon. Derrière ce film bouleversant, il y a une histoire vraie. Son réalisateur nous l’a racontée.
‘Girl’ de Lukas Dhont en Grèce : un premier film bouleversant
Elli Mastorou : Comment est née l'histoire de 'Girl' ?
Lukas Dhont : « Il y a plusieurs années, quand j'étais encore étudiant en cinéma en Belgique, je suis tombé sur cette histoire dans le journal. L'histoire de cette fille transgenre de 15 ans qui se battait pour devenir ballerine m'a immédiatement touché. J'ai tout de suite su que ce serait le sujet de mon premier film. J'ai pris contact avec elle, je lui ai parlé du projet. Elle a refusé. Mais un an plus tard, je l’ai recontactée, et là elle a accepté de me confier son histoire. »
Vous lui avez proposé le rôle ?
« Il y a cette scène dans le film, où Lara dit à son père : ‘Je ne veux pas être un exemple, je veux juste être une fille’. C’est une phrase qui vient directement d'elle. Elle ne voulait pas être sous les feux des projecteurs, donc elle ne voulait pas jouer le rôle. (NB – il s’agit de la danseuse Nora Monsecour, qui a depuis fait des apparitions publiques pour la sortie du film). Mais elle a lu toutes les versions du scénario, et avec mon scénariste Angelo Tijssens, elle nous a accompagnés dans la construction du film. Elle était aussi au Festival de Cannes lors de la première... mais ça, personne ne le savait (rires). »
Vous avez finalement choisi le jeune danseur Victor Polster, 16 ans, qui est épatant dans le rôle...
« On avait commencé par un casting non genré : on a vu des centaines de filles et de garçons. Mais c’était un rôle compliqué : il fallait quelqu'un d'adolescent, d’assez à l'aise avec son corps, et idéalement qui savait danser... personne ne correspondait. Et puis un jour, Victor est arrivé : il est danseur de formation, donc il venait pour les petits rôles de figuration. Quand on l'a vu, on a directement su. Pour moi c'était la seule personne que je sentais capable de jouer ce rôle. Il est Lara. Il n'est peut-être pas transgenre, mais comme elle, il a ce mélange de douceur et de détermination. »
Pourquoi le rôle de Lara n’est pas interprété par une actrice transgenre ?
« Je comprends la question, et je trouve complètement légitime qu'on me la pose, parce que je suis sensible à la question de comment représenter les ‘minorités’ au cinéma, de manière respectueuse et juste. Mais en même temps, pour moi le cinéma c’est aussi l’empathie, la comédie. Par exemple, personnellement, en tant qu'homme homosexuel, ça ne me dérange pas de voir un hétéro jouer un homo, si c'est fait avec respect, avec amour, et si c'est une représentation qui pour moi, est juste. Quand j’ai choisi Victor, je savais qu’il y aurait ce débat, mais ce qu’il me montrait était si puissant, si fluide, si juste, que j’étais confiant qu’il incarnerait l’histoire de Nora avec amour, avec respect, et avec justesse. »
Est-ce que la Lara du film ressemble à la vraie Nora ?
« Oui, beaucoup. J'ai une photo des deux ensemble, prise pendant le tournage. Elles se ressemblent physiquement, mais aussi pour moi parce qu’elles sont toutes les deux des exemples de courage, et de détermination. Mais le parcours de Lara dans le film, est complètement différent de celui de Nora en vrai. Disons que l'histoire vraie est plus une histoire d'une élève contre une école. Une personne contre le monde qui l'entoure, et qui ne l'accepte pas. Mais ce n’est pas de ça que je voulais parler dans le film. »
Votre film c’est plutôt le chemin inverse : tout le monde autour d'elle accepte Lara en tant que fille… sauf elle.
« Oui. Son père, son psy, tous lui disent : tu es une fille. Mais dans son corps, ce n’est pas ce qu’elle ressent. Ça m'a beaucoup touché, quand j'en ai parlé avec des jeunes, cette impossibilité d'être soi-même dans le corps dans lequel tu es né. Je voulais parler de ça, et du lien entre le corps et le genre. »
Critique : ‘Girl (Κορίτσι)’
Il était une fois une fille qui rêvait de devenir danseuse étoile. Lara, 15 ans, vient d’être acceptée dans une prestigieuse école de danse, et son rêve est sur le point de se réaliser. Mais elle devra se dépasser pour y arriver, car elle devra soumettre son corps à une discipline exigeante, et Lara est née dans un corps de garçon. Inspiré d’une histoire vraie, ‘Girl’, le premier long-métrage du gantois Lukas Dhont, est un surprenant mélange. A la fois sensible et intelligent, son scénario ficelé (malgré quelques petites longueurs) laisse toute la place aux personnages pour exister. Et en premier Victor Polster, simplement bouleversant dans le rôle de Lara. La force de ‘Girl’, c’est qu’il aborde avec sensibilité des questions complexes comme le genre, et en évitant le récit classique du ‘seul(e) contre tous’. C’est un film qui passe par un triple rapport au corps (adolescence, danse, transidentité), mais l’histoire qu’il raconte est avant tout celle d’un chemin intérieur. Un combat intime et personnel, raconté avec une intelligence du cœur : celle qui allie maîtrise cinématographique et empathie.
Un film de Lukas Dhont. Avec Victor Polster, Arieh Worthalter… Durée: 1h40.
Langues du film : Français, Néerlandais.
Sortie Grèce : 22 novembre – Athinorama