Depuis son entrée dans l’Union européenne, la Grèce a connu une lente mais profonde désindustrialisation. Face à la concurrence étrangère, au manque de stratégie industrielle nationale et aux crises successives, l’économie s’est tournée massivement vers le secteur des services, avec le tourisme comme principal moteur. Cette transformation, pourtant fragile, soulève aujourd’hui de nombreuses inquiétudes sur la durabilité du modèle économique grec.


Une désindustrialisation progressive mais implacable
L’industrie grecque a connu son apogée dans la seconde moitié du XXe siècle, mais elle entame son déclin dès les années 1980, peu après l’adhésion du pays à la Communauté économique européenne en 1981. D’après un rapport de PricewaterhouseCoopers, en l’espace de deux décennies, plus de 26 000 entreprises manufacturières ont mis la clé sous la porte, entraînant la perte de 160 000 emplois.
Cette vague de fermetures n’a pas épargné les enseignes emblématiques du commerce grec : plusieurs grands magasins historiques d’Athènes, comme le Klaoudatos et le Dragonas ont été ravagés par des incendies dans les années 1980, incidents revendiqués par une organisation terroriste, mais qui ont nourri des soupçons de sabotage au profit d’intérêts étrangers.
La mondialisation, un choc fatal pour la production grecque
Dans les années 1990 et 2000, l’émergence de la Chine et d’autres pays asiatiques sur le marché mondial a bouleversé l’économie européenne. La production bon marché venue d’Asie a mis en difficulté les industries nationales, notamment en Grèce, où les coûts de production étaient bien plus élevés.
Les marques chinoises ont envahi le marché, et nombre d’industriels grecs ont délocalisé leurs usines vers des pays voisins comme la Bulgarie ou la Macédoine du Nord, séduits par une fiscalité plus favorable et une main-d’œuvre moins chère. À titre d’exemple, on comptait plus de 18 000 entreprises grecques actives en Bulgarie en 2023.
Crise économique et effondrement industriel
La crise de la dette de 2009 a porté un coup décisif à ce qu’il restait du tissu industriel grec. L’austérité imposée par les bailleurs internationaux a provoqué une chute de la consommation, une fuite massive des cerveaux et un effondrement du crédit bancaire. Plusieurs fleurons industriels grecs ont disparu, tels que Pitsos, DELTA ou encore Halyvourgiki. Parallèlement, des multinationales comme PepsiCo, Tupperware ou Goodyear ont fermé leurs usines grecques, préférant transférer la production vers des pays plus compétitifs comme la Turquie, la Pologne ou l’Inde.
Une industrie entravée par la bureaucratie et l’inaction politique
La Grèce souffre aussi d’un environnement peu favorable à l’investissement industriel. Bureaucratie, réglementation obsolète, infrastructures vieillissantes, énergie coûteuse : autant d’obstacles qui dissuadent les entreprises de produire localement. Depuis la chute de la dictature militaire en 1974, aucune stratégie industrielle cohérente n’a été mise en œuvre par les gouvernements successifs.
Les rares investissements étrangers se concentrent quasi exclusivement sur l’immobilier et le tourisme, laissant l’industrie sans soutien réel pour innover ou se moderniser.
Le refuge vers le tourisme, mais à quel prix ?
Face à l’effondrement industriel, la Grèce s’est tournée vers le tourisme, son atout naturel le plus évident. En 2024, le secteur a généré un chiffre d’affaires record de 21,7 milliards d’euros, soit plus du quart du PIB national, et fait vivre directement ou indirectement près de deux millions de Grecs.
Mais cette dépendance à un seul secteur inquiète. Le Défenseur du peuple grec alerte : sans réforme de fond, le modèle touristique actuel n’est pas viable à long terme. Le développement anarchique, la pression foncière et les effets du changement climatique pourraient vite fragiliser cette source de revenus devenue vitale.
Une économie en quête de rééquilibrage
La Grèce, désormais largement convertie aux services, a vu disparaître une part essentielle de son identité productive. Ce basculement vers le tourisme, bien qu’il ait permis d’éviter la faillite, ne saurait suffire à garantir un avenir économique stable.
Le redressement passe par une réindustrialisation ciblée, des politiques publiques volontaristes et une simplification des démarches pour les investisseurs. Faute de quoi, le pays risque de rester un « musée à ciel ouvert », dépendant d’un tourisme international imprévisible.




























