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Apostolos Apostolakis, le gourou des startups en Grèce

Apostolos ApostolakisApostolos Apostolakis
Écrit par Aurore Le Perff
Publié le 9 juillet 2019, mis à jour le 5 novembre 2021

Fondateur et partenaire de VentureFriends, un fonds de capital-risque, Apostolos Apostolakis est devenu en quelques années un des investisseurs les plus actifs en Grèce.

Venant du monde numérique en tant que cofondateur de nombreux commerces en ligne (e-shop, e-food, doctoranytime), le jeune quadragénaire Grec a montré que la crise n’était pas un obstacle à la réussite. Très impliqué dans Taxibeat (maintenant appelé Beat) en tant qu’investisseur providentiel de la société, il a commencé à soutenir de plus en plus d'entreprises en Grèce et à l'international, au point de créer VentureFriends, un fonds de capital-risque, avec un ami. LePetitJournal d'Athènes a décidé de rencontrer cet entrepreneur en série devenu gourou des startups pour nous en dire plus sur la situation de l'entrepreneuriat en Grèce.

LePetitJournal.com/Athènes : Pourquoi créer VentureFriends ?

apostolos apostolakis venture friends
Apostolos Apostolakis et George Dimopoulos, les fondateurs de VentureFriends

Apostolos Apostolakis : D'abord parce que j'aimais ça. C’était génial d'interagir avec les gens de notre écosystème, de voir comment ils fonctionnent. 

Puis, pour soutenir les fondateurs grecs qui étaient mal desservis. Il y avait une lacune sur le marché au cours des dernières années en termes de financement, en termes de personnes compétentes. C’est pourquoi, lors de la vente d’e-food, fin 2015, avec un ami, nous avons lancé VentureFriends. Le premier fonds a été lancé en janvier 2016 avec 20 millions d’euros. Il s’agissait du premier fonds privé en Grèce, composé uniquement d’investisseurs privés. 

Trois ans après, en 2018, le Fonds européen d’investissement (FEI) a lancé un appel de fonds parce qu'il souhaitait soutenir la Grèce et avait proposé de l'argent pour trouver des gestionnaires. 

Cette initiative a permis la création de 5 nouveaux fonds, ainsi que du second fonds de VentureFriends (le FEI étant un co-investisseur) s'élevant à 50 millions d'euros.

Lorsque l’on parle de fonds, que veut-on dire ?

C'est typiquement comme en France, en Allemagne et au Royaume-Uni. Il existe dans ces pays une communauté dynamique de capital-risque. En France, il y a 360 Capital, Partech, et beaucoup d’autres. Ils collectent des fonds auprès d'investisseurs privés, gèrent cet argent et choisissent des startups dans lesquelles ils investissent. Quand les investisseurs donnent l’argent, ils ne savent pas où il sera investi. Blablacar provient d'un capital-risque français et est devenu un grand succès européen. VentureFriends fait la même chose. Nous l’avons d’ailleurs fait avec Beat (anciennement Taxibeat), et Blueground maintenant. Les investisseurs nous font confiance et s’attendent à des rendements dans 8 à 10 ans.

En-dehors de la Grèce, nous investissons dans des startups grecques ou dans des équipes en Europe souhaitant intégrer la Grèce à ses activités. Nous leur donnons de l'argent et notre temps. Nous aidons de toutes les manières possibles, en les mettant en contact avec d'autres investisseurs, avec des employés, tout cela pour aller à l'international, s’agrandir le plus possible.

Qu'aimez-vous le plus dans ce travail ? Y a-t-il quelque chose que vous n'aimez pas ?

J'aime vraiment presque tout de mon travail : trouver de bonnes idées pour les fondateurs et les startups, puis trouver les startups, comprendre la logique, la stratégie et le plan. J'aime participer à cette phase. J'aime lorsqu’ils trouvent des fonds pour leur business. Je crois en ce que je fais, et j'aime convaincre d'autres personnes de nous faire confiance avec cet argent.

Bien sûr, parfois, il y a beaucoup de travail car il peut y avoir beaucoup de fondateurs qui veulent nous rencontrer et discuter avec nous. Nous devenons alors un peu désagréables parce que lorsque nous voyons en une semaine 40 plans d’affaires, il est évident que nous n’allons pas pouvoir leur répondre à temps. C’est donc parfois un peu frustrant, mais nous admettons simplement que cela ne peut pas être autrement.

En dehors de cela, c’est vraiment très excitant. Vous entendez parler de nouvelles tendances, vous rencontrez de nouvelles personnes, vous êtes poussés à développer et à comprendre rapidement de nouveaux concepts, vous établissez constamment de nouveaux liens et vous réfléchissez à la manière de les aider. C’est un travail très intéressant.

Avec la crise, n’était-il pas risqué d’investir en Grèce ? Pourquoi ne pas aller à l’étranger ?

En fait, j'ai pensé que c'était une opportunité incroyable de faire quelque chose en Grèce. Il y avait un vide évident. Regardez : Beat et e-food, ces deux grands succès auxquels j'ai participé ont été lancés en 2011, en période de crise. Mais il y avait un vide tellement flagrant pour le consommateur que c’était évident. Ce n’était pas agréable de voir ce qui se passait, mais pour moi, il s’agissait d’exécution, de quelque chose de très clair à faire, même si c’était beaucoup de travail.

Comment choisissez-vous les startups qui vont bénéficier de fonds ?

Nous recherchons un potentiel mondial dans un grand marché et une équipe très forte. 1, 2 ou 3 personnes qui sont vraiment très bonnes et passionnées dans ce qu'elles font, et qui ont la capacité de créer une entreprise mondiale.

En ce qui concerne les domaines, nous suivons de près les logiciels, les Saas, nous aimons aussi le B2C, la Proptech (= technologie immobilière comme Blueground), la Fintech (= technologie financière) et la traveltech (= le tourisme électronique).

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Apostolos Apostolakis, speaker à un événement Orange Grove, communauté et espace de travail pour les jeunes entrepreneurs.

Les Grecs ont beaucoup de compétences mais pour être de bons entrepreneurs, que leur manque-t-il ?

Ce qui fait flancher, c’est la mentalité, cette culture peu orientée vers la prise de risque. Les Grecs ont une aversion pour le risque. Je pense que c’est une affaire européenne, mais nous le voyons encore plus dans le sud. Les gens ont peur d’échouer. C'est ce qui manque : le dynamisme de l'entrepreneur, l'ambition de créer quelque chose d'international et de grand, car il n’y a pas eu de modèle pour prouver que c'était possible.

Cela a à voir avec le système éducatif et aussi avec les circonstances auxquelles nous avons été exposés. Avant la crise, la plupart des gens avaient une vie confortable. Tout le monde se disait que l’on pouvait gagner notre vie sans trop travailler, sans faire de gros efforts. Je suppose que c'était la mentalité générale de la société. Cela change maintenant. Ils n’ont pas le choix et se rendent compte que cela doit être méritocratique : travailler dur pour obtenir ce qu'ils veulent.

Maintenant que la crise a pris fin (officiellement), peut-être ont-ils plus confiance en eux pour prendre des risques ?

Grâce à Beat, e-food, Skroutz, etc., on commence à voir des succès réalisables, des entreprises qui sont devenues grandes. Les gens commencent à se dire que ce n’est pas impossible. Donc la mentalité change progressivement. 

Par le passé, personne ne disposait de l'argent nécessaire pour investir en vous et vous aider à établir les liens. Maintenant, il y a tout un écosystème là pour soutenir ces personnes. Elles ont plus d'armes.

Parmi les 5 autres fonds résultant de l’initiative du FEI, quatre d’entre eux investissent même avant le produit. Si vous avez une idée, vous pouvez en consulter un et s'ils croient en votre idée, ils vous aideront à travers toutes les étapes. Mais cela doit être une opportunité mondiale et internationale.

La fuite des cerveaux a été inversée l'an dernier. Maintenant les gens restent parce qu'il y a plus d'opportunités. Ce ne sont pas seulement les startups, mais aussi les scaleups. Beat, devenu scaleup, recrute 500 ingénieurs en Grèce dans un espace de 10 000 mètres carrés. Blueground, c'est 300 personnes. Les Grecs ont donc la possibilité de rester ici et de travailler pour des sociétés grecques qui s’internationalisent. Les dernières années, les Grecs allaient étudier à l'étranger, mais y restaient. Nous investissons donc dans la fuite des cerveaux et nous en gagnons vraiment parce que les gens reviennent.

Selon vous, quelles sont les startups ayant un bel avenir dans le futur ?

Les choses ont changé et il y a maintenant beaucoup de startups qui vont très bien. Certaines d'entre elles sont très connues comme Blueground, Welcomepickups, Stasher. Ce sont des startups dont l'équipe principale est en Grèce (blueground, welcomepickups) et sont présentes sur le marché international.

Ensuite, nous avons quelques entreprises grecques qui se développent très bien mais qui sont uniquement en Grèce à l’heure actuelle : doulevtaras, pour vous aider à trouver un plombier (ou tout autre métier manuel); spotawheel, pour vous aider à acheter une voiture d'occasion; e-table, pour réserver une table; nannuka.com, pour trouver une nounou.

Nous avons des entreprises qui se portent bien mais qui sont basées hors de la Grèce, et utilisent la Grèce comme plaque tournante. Par exemple, avec Instashop à Dubaï, dont un des fondateurs est Grec, vous pouvez acheter vos courses en ligne en Égypte, au Liban et au Qatar. C’est une très grande entreprise, un grand succès. L'équipe technique est en Grèce, mais la plupart des gens sont à Dubaï. Ensuite, il y a Stasher, société de stockage de bagages, qui est une équipe britannique avec du personnel en Grèce et le service existe aussi à Athènes. Puis, Plum, qui est une fintech, dont le fondateur est Grec, ne propose ses services qu'à Londres pour le moment, mais l’équipe est en Grèce. Nous avons 25 investissements au total et beaucoup d’entre eux existent à l’échelle mondiale, alors que d’autres se développent seulement en Grèce, mais avec un très fort potentiel. Notre objectif est de les aider à s’internationaliser.

Que pourrait faire l'État pour améliorer la situation et favoriser l’entrepreneuriat chez les jeunes ?

L'État grec devrait éliminer tous les obstacles pour inciter les jeunes à entreprendre. Si nous commençons par les aspects positifs, l’un des obstacles levés avec l’aide de l’Union européenne et de l’État grec était le manque de financement. Le programme Equifund, qui a permis le lancement de 6 nouveaux fonds de capital-risque, dispose désormais de fonds supplémentaires, avec un financement disponible de 250 millions d'euros pour les startups.

Toutefois, ce financement n'est disponible que pour les nouvelles entreprises technologiques à vision globale, alors qu'il reste un obstacle majeur pour tous les futurs entrepreneurs en Grèce dans tous les types d'entreprises. Cet obstacle est lié au coût très élevé de la sécurité sociale. Lorsqu'une entreprise embauche une personne, le coût total de l'employé est très élevé et au moins le double de ce que l'employé reçoit réellement. Ainsi, si une entreprise souhaite indemniser un employé avec un salaire de 1 000 euros par mois, le coût réel pour l'entreprise est de plus de 2 000 euros.

L'inefficacité du système public d'assurance sociale augmente considérablement le coût de l'emploi, créant un obstacle au démarrage et au maintien d'une entreprise en Grèce.

L’autre point à changer concerne la culture et l’éducation. Il s’agit donc d’un programme à long terme. Comme je l’ai dit avant, culturellement, la société grecque craint le risque. Nous sommes une société qui n'encourage pas la prise de risque et n'accepte pas l'échec. De plus, le système éducatif en général n'enseigne ni ne favorise l'esprit d'entreprise. Nous devrions commencer dès le début à fournir une éducation qui soutienne l’esprit d’entreprise et la pensée entrepreneuriale. Cela signifie que dans 5 à 10 ans, il y aura plus de personnes prêtes à créer de nouvelles entreprises. Et même celles qui ne le feront pas seront de bien meilleurs employées et citoyennes. Elles auront l'esprit d'entreprise inspiré par la méritocratie, une éthique de travail rigoureuse et un désir d'amélioration constante, indispensables pour une société qui souhaite s'améliorer.

Aurore Le Perff
Publié le 9 juillet 2019, mis à jour le 5 novembre 2021

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