Édition internationale
Radio les français dans le monde
--:--
--:--

L'Art du cuivre, "Notre art reflète notre culture dans sa diversité"

Yasmine Bourahli, Younes Kouider, Merouane MezaliYasmine Bourahli, Younes Kouider, Merouane Mezali
©Hadia Beghoura pour lepetitjournal.com/L'Art du cuivre, Alger
Écrit par Hadia Beghoura
Publié le 10 décembre 2020, mis à jour le 12 avril 2021

Yasmine Bourahli, Younes Kouider, Merouane Mezali, trois interviews de trois jeunes artistes algériens en art moderne, contemporain et atypique nous ont fait voyager dans leurs univers artistiques.

Cette fois-ci, lepetitjournal.com est allé à la découverte d’un art typiquement algérien mais avec une touche de modernité qui lui donne ce côté atypique et qui est le travail du cuivre. Ce n’est pas un mais deux artistes que nous présenterons. Hafid et Celia Belabbas, aussi bien unis dans la vie que dans leur art. Ils nous feront connaitre « L’Art du cuivre », une entreprise à deux où l’art de l’un complète celui de l’autre.

Pouvez-vous vous présenter chacun à nos lecteurs ?

Hafid Belabbas 43 ans, artisan d’art en cuivre repoussé. J’ai commencé à pratiquer cet art en 1995 à Alger. Mon atelier s’appelle « L’Art du cuivre ». Actuellement nous sommes deux, mon épouse et moi.

Célia, architecte et artiste autodidacte. Je pratique l’art plastique depuis toujours. J’exerce en tant qu’architecte et designer d’intérieur. J’ai rejoint mon époux dans son atelier il y a 4 ans.

Comment se fait le travail à deux ?

Célia : Hafid travaille le repoussé sur cuivre et moi je peins. Les œuvres que nous faisons sont réfléchies. La conception se fait à deux et nous discutons beaucoup entre nous. C’est un travail d’équipe. L’idée peut émaner de l’un et de l’autre. Quand les idées se décuplent, au lieu d’en choisir une, on dédouble l’idée ou on mixe les deux.

Comment avez-vous atterri dans le travail du cuivre et pourquoi ce choix ?

Hafid : Je me suis retrouvé dans le cuivre par hasard. En 1994, j’avais un voisin qui s’appelait Momoh ici à Alger, à Hydra. D’ailleurs, c’est à Hydra que le cuivre repoussé a commencé. A l’époque, il faisait des Casbahs ou plus globalement des classiques. Un jour il m’invite dans son atelier et je vois son tableau en cuivre repoussé. J’étais intrigué par sa technique de travail et le relief qu’il donnait à ses œuvres. Il m’a par la suite demandé de lui faire un dessin et qui était une simple corbeille de fruits. Je l’ai dessinée et j’ai observé sa façon de reprendre mon dessin en cuivre repoussé et c’était pour moi fascinant. J’ai appris la technique avec lui. Quelques années plus tard, j’ai commencé à réaliser quelques œuvres chez moi, à la maison. Je le faisais que pour offrir. Un jour je me suis dit pourquoi ne pas avoir mon propre atelier. Mon oncle et ma tante, chez qui j’habitais, m’ont encouragé à le faire. Après une année de travail chez eux, j’ai décidé d’ouvrir mon atelier à Hydra. Et depuis quelques temps, je travaille chez moi.

Atelier l'art du cuivre
©Hadia Beghoura pour lepetitjournal.com/ Hafid Belabbas dans son atelier "L'Art du cuivre", Alger

D’où viennent vos inspirations ?

Celia : Ce que nous réalisons ce sont des œuvres qui nous ressemblent. Nous n’utilisons pas trop le mot influence car nous faisons toujours évoluer les choses. La création commence parfois par des incidents d’atelier. Par exemple, la Khamssa « Pop'icha » a vu le jour suite à un incident en atelier. Nous avons démarré par l’arrière-plan. Hafid était fatigué et l’a ratée. Ne sachant pas quoi faire, je lui ai dit de la laisser de côté et que nous réfléchirons à quelque chose. Une semaine plus tard, je lui suggère de d’inclure un côté pop. C’est de là que l’idée a démarré et que nous en avons fait une collection.

Nos œuvres sont un « one shot ». Nous n’avons pas droit à l’erreur. Une fois que c’est gravé, c’est trop tard.

L'art du cuivre
© L'Art du cuivre/ Oeuvre : Pop'icha

Pouvez-vous nous décrire vos Khamssettes et les personnages qui y figurent ?

Hafid et Celia : Ce sont des personnages créés à l’exception des visages connus, tel que celui de Frida qui sort un peu de la série pop. Une œuvre qui a été réalisée dans le cadre de l’octobre rose.  

Celia : Nos personnages portent tous des lunettes. Nous avons fait ce choix pour pouvoir écrire des messages dessus.

Hafid : Chaque œuvre porte un nom propre à elle. Le choix des noms se fait sur les réseaux sociaux. Nous invitons nos fans à proposer des noms. Celia et moi –même faisons le choix d’en sélectionner un chacun. Nous publions les deux noms de notre choix et nous faisons un sondage en ligne. C’est donc le public qui a le dernier mot.

Il y a aussi un personnage masculin, « Frishka Man » qui boit une bouteille de Hamoud. Pour le moment il n’y a qu’un homme mais viendra une série masculine prochainement.  

Chaque tableau a son certificat et est numéroté. Même si deux Khamssettes ont l’air de se ressembler, ce n’est pas tout à fait le cas. C’est donc une série limitée.

L'art du cuivre
© L'Art du cuivre, une partie de la série des "Khamssettes pop"

Vous arrive-t-il de recevoir des commandes spéciales ?

Celia : Oui, il nous est déjà arrivé de recevoir une commande particulière qui consistait à reprendre une œuvre de l’artiste Sciortino qu’on ne connaissait pas. C’est un artiste contemporain espagnol exerçant dans l’art abstrait. Alors que notre art est plus dans le figuratif, repousser une œuvre de l’art abstrait était un vrai challenge à relever. C’était un cadeau d’anniversaire de mariage qu’une dame voulait offrir à son époux. Ainsi, nous avions une deadline à respecter. Il nous fallait un mois pour le faire. Ça parait beaucoup mais en vrai ça ne l’est pas. On doit voir l’œuvre finie pour savoir si c’est réussi. Challenge relevé, le couple était très content et stupéfait.

Le challenge aussi est le fait de reproduire une œuvre de maitre sur du cuivre et d’être deux à le faire.  Il y a la touche de Hafid pour le repoussé et la mienne pour la peinture. C’est assez atypique car au final l’œuvre originale n’a été peinte que par une seule personne. C’est un travail à quatre mains sur une seule et même œuvre d’autant plus qu’il fallait respecter les couleurs de l’œuvre originale. Mais le plus important pour nous c’est la perspective et d’ailleurs je pense que c’est ce que nous avons en plus par rapport aux autres et qui s’ajoute à notre créativité notamment avec les Khamssettes pop.

Hafid : J’ai déjà réalisé des reproductions sur cuivre de tableaux de maitres comme ceux de Picasso, d’Etienne Dinet, de Mohamed Racim. J’ai reproduit plusieurs œuvres connues de Picasso.

L'art du cuivre
© L'Art du cuivre/ Reprise sur cuivre de l'oeuvre "Premiers pas" de Pablo Picasso

Quelles sont les étapes du travail sur le cuivre repoussé ?

Hafid : En premier lieu, je prépare un rouleau de cuivre très fin d’une épaisseur d’1/10ème que je découpe selon la dimension souhaitée. Ensuite, je trace mon dessin à l’aide d’un pointeau, je retourne la feuille et je retrace mon dessin mais à l’intérieur pour faire ressortir le relief. Je commence à repousser à l’aide de poussoirs. Je travaille à l’endroit et à l’envers, tout cela à la main, sans machine. La seule machine que j’ai c’est celle qui sert à découper le bois.

Après avoir fini le repoussé, je rembourre le creux que j’ai créé avec du mastic spécial. Je nettoie le surplus de mastic. Je colle la feuille de cuivre sur un châssis en bois. Je repasse mon poussoir pour que le cuivre adhère bien au châssis. Je nettoie mon cuivre à l’aide de laine d’acier. Je mets un peu d’encre de chine pour faire ressortir plus le relief en créant des ombres. Je nettoie une nouvelle fois. Et enfin, je passe une couche de vernis. C’est après toutes ces étapes que Célia intervient pour peindre. La couleur est protégée grâce à de l’émail à froid, c’est ce qui va la figer. Quant à la conception des personnages, elle se fait sur ordinateur via un logiciel.

L'art du cuivre
© L'Art du cuivre/ Des symboles berbères

Y'aura-t-il des collaborations prochainement ?

Hafid : Maintenant que notre art prend de l’ampleur il y aura des collaborations. Nous avons déjà commencé à travers nos œuvres où les bijoux portés par les personnages sur les Khamssettes sont des bijoux d’artisans algériens et maitres bijoutiers qui nous ont autorisés à les intégrer dans nos œuvres.

Auparavant, les artistes et artisans n’étaient que des collègues. Maintenant nous échangeons avec eux des idées.

Celia : Nous nous sommes renseignés sur leurs techniques. A présent, nous connaissons le travail des uns et des autres. Cela nous facilite la tâche pour nos futures collaborations.

Quelle est votre plus belle œuvre à ce jour ?

Hafid et Celia : c’est notre fils, Samy. Venu au monde ce 20 octobre 2020.

Comment décririez-vous votre art ?

Célia : Notre art reflète notre culture dans sa diversité. Il nous ressemble. L’Algérien n’est pas un moule. Il suffit de voir dans la rue, il n’y a pas d’Algérien type. C’est ce que nous essayons de montrer à travers nos œuvres. D’ailleurs nos Khamssettes pop sont un clin d’œil à cette jeunesse très diversifiée. Nous portons nos racines et nous avançons.

D’un autre côté, nous rendons hommage à de grands maitres comme Picasso, Decker, Etienne Dinet et il y en aura d’autres. Notre symbolique berbère aussi est mise à l’honneur. Nos œuvres petits formats ont voyagé partout dans le monde. Nous mettons aussi des explications au dos des tableaux qui permettent au public de mieux comprendre les messages véhiculés à travers nos œuvres.  

Jusqu’où vos œuvres ont-elles voyagé ?

Hafid : Nos œuvres ont été exposées en Ouzbékistan lors du premier « Festival International des Arts Manuels ». Je suis parti pour 10 jours où on a été très bien accueilli et bien pris en charge. Il y avait 88 pays présents au festival. J’en ai gardé un très bon souvenir. C’était en septembre 2019.

Nous avons été contactés via internet. C’est une association qui prend en charge les exposants et qui aide à la promotion des artisans du monde entier.

Quelles difficultés avez-vous rencontrées depuis la propagation du Coronavirus ?

Célia : Habituellement, les commandes se font en fin d’année. Bon nombre de personnes offrent des cadeaux durant cette période, notamment ceux qui voyagent. En ce moment, ce n’est pas le cas. Nous sommes maintenant paralysés. Surtout que pour un artiste, il ne peut pas créer quand il est angoissé et doit avoir l’esprit libre. C’est compliqué surtout quand on vit de ça et ce qui est notre cas à Hafid et moi-même.  Beaucoup ne savent pas s’ils doivent continuer de créer ou pas. Nous, nous avons décidé de continuer.

Hafid : Il y a aussi un manque de matières.

Célia et Hafid : On a eu le soutien de plusieurs personnes essentiellement une, Mouloud, qui a un magasin au Monument. Il aide beaucoup d’artisans afin que ces derniers ne s’arrêtent jamais. C’est une chaine. Chacun a besoin de l’autre et on se soutient entre artistes et artisans.

Quels sont vos futurs projets ?

Célia : Actuellement, Hafid incruste du cuivre dans des meubles. D’ailleurs il a commencé au niveau de la Cour suprême d’Alger où il a rénové tout le cuivre du salon d’honneur. On nous a aussi sollicités pour d’autres projets notamment sur des tables.

Hafid : On a d’ailleurs fait appel à moi pour refaire toutes les tables d’un hôtel à Alger en incrustant du cuivre.

Celia : Pour ma part, je souhaite pousser au recyclage et sortir le cuivre de son cadre habituel. Nous avons beaucoup d’idées

Que souhaitez-vous pour l’avenir ?

Hafid : Nous avons un projet d’ouvrir notre atelier au public pour donner des cours mais cela ne se fera qu’une fois que la situation sanitaire s’améliore. Nous donnerons des cours de cuivre repoussé.

Celia : Hafid souhaite avoir des apprentis. Il en a un en ce moment qui apprend mais en général, ceux qui s’initient au travail du cuivre repoussé ne se rendent pas compte de la masse de travail. Ils travaillent avec des masques et des gants car ils sont souvent en contact de produits chimiques.

Hafid : Il y a des étapes à suivre et surtout il faut prendre son temps et ne jamais se précipiter, là est la difficulté.  

Où pouvons-nous acheter vos œuvres ?

Hafid : Nous les exposons et les vendons chez nous, dans notre salon. Il nous arrive souvent de demander à nos clients de nous dire où l’œuvre a été accrochée chez eux. Nous allons même jusqu’à se renseigner sur leur façon de l’entretenir. A force de voir nos œuvres accrochées aux murs de notre maison, c’est une part de nous qui se trouve chez les autres.

Pour retrouver toutes les œuvres de « L’Art du cuivre », il suffit de se rendre sur leurs pages : 

Leur compte Instagram

Leur page Facebook

 

L'art du cuivre

 

Flash infos

    Pensez aussi à découvrir nos autres éditions