Entrainée par un dynamisme croissant depuis le début des années 2000, la coopération universitaire franco-chinoise s’exprime sous de multiples formes : accords d’échanges, programmes de double diplômes, campus délocalisés et « instituts sino-étrangers ». Cette dernière est la forme de coopération la plus aboutie dans laquelle des établissements d’enseignement supérieurs français se sont lancés. Nous avons rencontré Jacques, Nicolas Zied et Frédéric, qui interviennent dans des domaines aussi différents que la chimie, les beaux-arts, la gestion ou la mécanique pour nous en parler. Plongée dans la coopération franco-chinoise au quotidien.
De futurs diplômés chinois francophiles
Pourriez-vous vous présenter ?
Jacques : Je suis le directeur français de Chimie Shanghai, institut franco-chinois spécialisé en génie des procédés et chimie. Cet IFC a été fondé entre l'ECUST (East China University of Sciences and Technology) et la FGL (Fédération Gay-Lussac) qui regroupent les écoles françaises de chimie et de génie des procédés.
Nicolas : En 2020, au démarrage à Shanghai de l'IFC avec l'Académie centrale des beaux-arts (IFC CAFA), j'y ai pris un poste de directeur exécutif de la partie française, tout en conservant mes fonctions à l'université Renmin de Chine. Depuis février dernier je suis de retour à plein temps sur Renmin comme directeur de la partie française de l'IFC.
Zied : Je suis le doyen français de SPEIT (École d’ingénieurs Paris SJTU) et Professeur à l’ENSTA-Paris. SPEIT est le fruit de la collaboration entre quatre partenaires français, classées comme les meilleures Grandes Écoles en France : l’École Polytechnique, l’ENSTA Paris, TELECOM Paris et MINES Paris et l’une des meilleures universités chinoises, l’université Shanghai Jiao Tong. Je suis titulaire d’un doctorat en mécanique non linéaire de l’École Polytechnique et d’une Habilitation à Diriger la Recherche (HDR) de l’université Pierre et Marie Curie. Je suis spécialisé en science des matériaux et en mécanique des matériaux.
Frédéric : Je suis le directeur français de ZFAI (ZhongFa Aviation Institut), l’institut sino-français d’Aviation Civile créé en collaboration entre l’ENAC en France et l’Université Beihang en Chine sur le nouveau campus international de l’Université Beihang à Hangzhou.
Chimie, aviation, mécanique...
Comment fonctionne votre IFC ?
Jacques : L'IFC - Chimie Shanghai - est une école interne de notre université chinoise. Après 3 années passées dans une sorte de classe préparatoire avec un intense apprentissage du français, les élèves poursuivent leurs études dans le cycle ingénieur. Chimie Shanghai a une particularité, c'est qu’une part des étudiants va le quitter au bout de 3 années pour aller dans l'une des 20 écoles du réseau (la FGL) dont elle ou il sortira diplômé au bout de 3 ans passés en France. Les autres étudiants vont rester dans un master à Shanghai spécialisé en Génie des procédés et matériaux polymères. Ce master vise l'accréditation par la Commission des Titres d'Ingénieur (CTI) française, ce qui permettra aux diplômés d'avoir la reconnaissance par l'État français de leur titre d'ingénieur.
Nicolas : L'IFC Renmin est situé à Suzhou. Les 7 parcours de spécialités que comporte l'institut sont : administration économique et sociale, gestion des ressources humaines, langues médias communications, finance, langues étrangères appliquées, sciences du langage et mathématiques appliqués.
Zied : SPEIT propose des programmes conjoints au cours desquels les étudiants acquièrent une expertise technique de haut niveau tout en développant une compréhension des contextes industriels chinois et européens ainsi que les enjeux liés à la globalisation et la protection de l’environnement. Les collaborations avec les industries locales et internationales basées à Shanghai permettent d’appliquer la recherche directement à différents secteurs industriels.
Frédéric : L’IFC ZFAI a été créé en 2023. Il s’agit donc d’un institut jeune en plein développement. L’institut ZFAI propose ainsi 3 programmes: un programme de formation d’ingénieurs en 6 ans, un programme de double Masters internationaux en 3 ans dispensé en anglais et un programme d’Advanced Masters (Mastères Spécialisés) en anglais. Actuellement, les étudiants qui ont été recrutés sont uniquement chinois mais l’ouverture du recrutement à des étudiants non-chinois anglophones et/ou francophones est prévu d’ici 2 ans.
Des centaines d'étudiants chaque année
Combien d’étudiants participent aux cours et quel est leur origine ?
Jacques : Tous les étudiants de Chimie Shanghai sont des élèves chinois recrutés après le Gaokao. Ils viennent de différentes provinces de Chine. Nous avons actuellement environ 350 élèves et nous avons pour objectif d'en recruter une centaine par an.
Nicolas : Nous comptons cette année au sein des quatre années du parcours de l'institut environ 1200 étudiants au total. Les étudiants passent les deux premières années de leurs études en Chine, puis vont en France et sont intégrés en 3e année de licence au sein d'un des établissements partenaires (Sorbonne Université, Université Paul Valéry Montpellier 3, KEDGE Business School) et y partagent les mêmes cours que les étudiants français. Ils rentrent ensuite en 4e année en Chine pour obtenir leur licence chinoise, puis ont l'option de retourner auprès des établissements français en master.
Zied : Nous accueillons généralement une centaine d’étudiants par promotion, au total plus de six cents, avec une composition très internationale. La majorité des étudiants sont chinois, mais nous avons également des élèves venus de France, ainsi que d’autres pays, notamment grâce à des programmes d’échanges internationaux.
Frédéric : Pour le programme ingénieur en 6 ans, il y a 180 étudiants par promotion. Les étudiants sont recrutés en fonction du score qu’ils ont obtenu au GaoKao. Le nombre d’étudiants en provenance du Zhejiang reste le plus important. Les étudiants du programme de double Masters internationaux sont recrutés après Bachelor. ZFAI a accueilli la première promotion de ce programme en septembre 2023 (13 étudiants pour IATOM et 3 étudiants pour IATSED). Ces étudiants proviennent de 14 universités différentes en Chine (y compris Beihang). Il y aura également 30 places par an par programme d’Advanced Master (Aviation Management ou Airport Management).
Un parcours international passant par la France
Quels sont les avantages de cette formule pour vous et les élèves ?
Jacques : Nous essayons de donner à nos élèves une formation en lien avec l'industrie par l'intermédiaire d'enseignements donnés par des partenaires, de conférences, de visites d'entreprises, de stages. Le but est ainsi de favoriser l'accès à l'emploi et l'intégration en entreprise.
Nicolas : Pour les établissements français partenaires, c'est la possibilité d'accueillir des étudiants chinois d'excellence car l'université Renmin étant une des toutes meilleures du pays. Pour l'université Renmin, c'est la possibilité d'offrir un parcours international à plus de 300 de leurs étudiants chaque année (soit plus de 10% de leur recrutement total en licence).
Zied : Cette formule est bénéfique tant pour les élèves que pour les enseignants.
Avantages pour les élèves : une formation biculturelle et bilingue, l’accès à des réseaux internationaux, le double diplôme et une approche pratique permettant d’appliquer leurs connaissances dans des contextes réels. Avantages pour moi en tant qu’enseignant : un environnement international, la recherche collaborative et les échanges culturels.
Frédéric : La création de l’institut ZFAI permet à l’ENAC de contribuer à la formation de nouveaux professionnels en aviation civile internationaux et multiculturels, avec une connaissance plus particulière de la France et de l’Europe, capables d’assurer une collaboration aussi bonne et efficace et d’agir comme des ambassadeurs pour une meilleure communication et une meilleure compréhension mutuelle. Au cours de leurs études, les élèves ont également l’opportunité de devenir multiculturels et d’avoir une vision plus globale du monde et de leur futur environnement professionnel.
Contribuer à la coopération économique franco-chinoise
Comment les Instituts Franco-chinois contribuent-ils au rayonnement de la France en Chine ?
Jacques : Outre l'apprentissage du français à un bon niveau pour tous nos élèves, l'IFC a pour but de faire reconnaître la grande qualité des ingénieurs formés à la française. Une chose dont nous sommes fiers, c'est que nous contribuons à former des cadres pour les entreprises françaises et européennes qui souhaitent s'implanter et se développer en Chine. C'est ainsi que nous avons des ingénieurs chinois passés par nos écoles en France dans des entreprises comme Arkema, Air Liquide, Syensqo, BASF, Totalenergies, BP, Clarins, etc.
Zied : En promouvant l’excellence académique, la recherche collaborative et les échanges culturels. Les diplômés de SPEIT sont des futurs leaders en Chine. Le fait de recevoir une formation « à la française » aidera non seulement à travailler dans les entreprises françaises installées en Chine mais également de nouer des liens avec la France, ce qui est indéniablement bénéfique pour la France sur les plans politique, économique et social.
Frédéric : Par son programme de formation en français, couplé à un programme d’apprentissage de la langue et de la culture française, le programme ZFAI contribue également à la reconnaissance et à la promotion du modèle de formation des ingénieurs « à la française » en Chine. De tels ingénieurs qui, pour certains d’entre eux, peuvent trouver une place au sein des grandes entreprises internationales françaises et européennes qui ont des activités en Chine contribuant par la même au développement et au succès de ces entreprises à l’étranger et plus particulièrement en Chine.
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