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De Pompéi à la Médina par Fatimata Diallo Ba

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Écrit par Béatrice Bernier-Barbé
Publié le 22 mai 2018, mis à jour le 6 janvier 2021

Cette semaine, se tiendra la journée internationale de l’Afrique. A ce titre, nous avons demandé à de talentueuses littéraires, d’origine sénégalaise, tout âge confondu de participer via des nouvelles et poèmes à l’expression de la beauté de l’Afrique.

 

Focus sur Fatimata Diallo Ba

Fatimata est une quinquagénaire franco-sénégalaise, née de parents enseignants d’origine Peulh.

Elle a grandi à Dakar et a effectué ses études de Lettres Classiques en France, à Poitiers et Paris.

Depuis douze ans, elle enseigne le Français et le Latin au lycée français de Dakar. Auparavant, elle a enseigné dix-sept ans en banlieue parisienne avant de revenir au Sénégal. Elle est également chroniqueuse littéraire pour la télévision sénégalaise.

Fatimata est passionnée de lecture, d’écriture et espère pouvoir un jour s’y consacrer totalement. En attendant, elle écrit depuis quelque temps des nouvelles et publiera bientôt son premier roman, « Des cris sous la peau ». Lorsque l’on plonge dans le monde littéraire de Fatimata, on effectue un voyage intemporel en terre africaine. On retrouve les effluves et les couleurs, la vie et l’effervescence, cette énergie si particulière, ressentie nulle part ailleurs.

Son Amour pour l’Afrique est viscéral. Il coule de source. Pour en avoir longtemps été séparée, elle aspire à y vivre le plus longtemps possible.

Pour Fatimata, l’Afrique, c’est sa grand-mère Deffa, « belle est très noire dans son boubou immaculé bien raide qui porte un parfum qui n’appartient qu’à elle », l’Amour fait Femme.

Ce qu’elle souhaite pour l’Afrique, c’est « que cette dernière profite de son potentiel humain et matériel afin d’apporter au Monde sa part d’humanité respectée ».

Nous vous laissons apprécier la nouvelle « De Pompeï à Medina » qu’elle a accepté de bien vouloir écrire pour notre média dans le cadre de la journée mondiale de l’Afrique, le 25 mai 2018.

 

De Pompéi à la Médina.

 

C’est par un clair après-midi d’avril que Pompéi la mystérieuse souhaita la bienvenue à une joyeuse bande d’enseignants et d’élèves venus du lycée français de Dakar, sens en alerte, rires sonores et portable à la main.

Cela faisait déjà plusieurs années que j’effectuais ce voyage scolaire, que ce fût avec des petits Parisiens ou des petits Sénégalais. Nous n’avions jamais eu la chance de visiter les majestueuses ruines par temps ensoleillé. C’était à croire que nous avions emmené avec nous le beau soleil d’Afrique.

Cette année-là, l’organisme que nous avions choisi pour organiser le voyage nous avait gratifié d’une flamboyante guide italienne dont l’abondante chevelure rougeoyait au soleil et dont l’accent chantant illuminait les commentaires. Francesca semblait fascinée par la variété de nos teints et par la grande culture de nos élèves qui, il est vrai, étaient particulièrement heureux de reconnaître des lieux qu’ils n’avaient jusque-là visités que par les pages dédiées à la civilisation romaine de leurs manuels de latin.

Steven était exceptionnellement en verve ce jour-là. Steven était un de ces élèves auquel on s’attachait naturellement car il associait un handicap linguistique certain en latin à une curiosité insatiable des civilisations anciennes et une affection sans bornes à son professeur.

Ce voyage, Steven l’avait longuement préparé, négligeant les autres matières au grand dam de ses parents. Il revêtait pour lui une importance certaine car il y voyait une occasion de se venger de toutes les brimades subies au cours de sa scolarité. Oui, il allait leur montrer à eux tous de quoi il était capable. Cela avait déjà commencé sur les ruines du forum romain sur lesquelles  il marchait, impérial et dont il connaissait intimement la signification.

Au lycée, il était souvent moqué, voire méprisé pour ses tics et ses insuffisances à la fois par ses camarades et par certains professeurs bien souvent indélicats. Là, sur les antiques vestiges, il planait, étalant  une culture qui n’en finissait pas de ravir les professeurs, les élèves et Francesca.

Au lycée, Steven marchait toujours le dos voûté, le regard plongé dans ses chaussettes. Là, sur le mystère de ces restes prestigieux, son regard était précis, il buvait avec satisfaction l’admiration du groupe et petit à petit, comme sous l’effet d’un fil redresseur magique, son dos se dépliait et cela lui donnait l’air d’un héros hors du temps. Il observait, réfléchissait, dessinait, se permettait même de se laisser aller à la rêverie sans provoquer le rappel à l’ordre de ses professeurs.

Notre groupe est arrivé à Pompéi en début d’après-midi. Le soleil était déjà haut et dardait ses rayons sans complaisance. De longues minutes d’attente devant la grille d’entrée avaient rendu les élèves fébriles et même un peu agités, sauf Steven qui, crayon à la main et sourire aux lèvres, s’amusait à imaginer ses camarades dans des postures antiques et croquait malicieusement leurs expressions. Francesca a décidé que  nous commencerions la visite par la zone des ruines pour éviter les autres groupes scolaires qui se jetaient tous sur l’amphithéâtre au début.

La guide avait exigé d’emblée le tutoiement de la part des élèves. Elle était originaire de la région de Naples dont elle maîtrisait l’histoire dans ses plus petites anecdotes. Dans le car déjà, elle nous en avait  raconté  quelques-unes et la liquéfaction miraculeuse du sang de San Gennaro, partie intégrante de l'âme de Naples et devenue l'un de ses symboles les plus connus, avait impressionné les élèves.

La voix chaude et chantante de Francesca est le fil qui nous rattache à la ville de Pompéi.

La fatigue des dernières nuits sans sommeil, l’odeur des ruines grillées par un soleil de plus en plus brutal me font flotter dans un délicieux vertige auquel j’ai de plus en plus de mal à résister.

« Les enfants, laissez les pierres vous parler. Tendez l’oreille et vous entendrez leurs histoires. » La voix de Francesca est de plus en plus lointaine. Seuls les aigus de Steven me retiennent encore devant la maison cossue des frères Vetii, richissimes affranchis de Pompéi.

Le groupe entre et je m’éloigne.

J’ai quinze ans et je marche sur des pierres chaudes qu’il me faut franchir pour avancer.  Le sable est brûlant et le soleil sans pitié. Je viens de descendre d’un car rapide aux couleurs guimauve et j’ai hâte de retrouver ma grand-mère dans ce bruyant quartier de la Médina.

Dominée par le minaret de la Grande Mosquée, la Médina de Dakar est le quartier le plus africain de la capitale. Les rues sont enchevêtrées et envahies par de petits commerces.

Le marché Tileen est au cœur de ce quartier populaire et vivant où l’animation est incessante.

Des tailleurs de rue sont à l'ouvrage dans l’espace qui leur est dédié et le bruit des machines vous empêche d’entendre les battements de votre propre cœur. Le bruissement des marchandages et le vacarme des déballages créent une atmosphère très particulière. Les couleurs éclatent sur le marché. On passe en quelques secondes du rouge vif des tomates, des carottes et du piment à la chemise bariolée du vendeur, avant d’être plongé dans l’arc-en-ciel d’un étal de tissus. On peut toucher tout ce qu’on achète dans ce marché sans que le vendeur s’en offusque.

Quant aux odeurs ! Il faut avoir de la volonté pour en saisir toutes les subtilités envoûtantes par-delà les mélanges audacieux. L’encens fauve domine. Les épices poivrées se mêlent à l’odeur âcre du poisson séché.  Le plus étonnant c’est lorsqu’on est pris à la gorge par les fumées des poissons qui grillent ou par les effluves cruels d’un égout bouché.

Il n’était pas rare d’entendre des femmes exaspérées hurler en battant leurs enfants désobéissants ou s’invectiver entre coépouses jalouses. Et les maris, pauvres pingouins bancals prennent parti. Je me dépêchais toujours de franchir ce périlleux carrefour de bruit et de poubelles décomposées.

Mame est devant la porte de sa maison et j’ai la faiblesse de penser qu’elle m’attend. Nous sommes vendredi, donc jour de mosquée. Elle est belle et très noire dans son boubou immaculé bien raide qui porte un parfum qui n’appartient qu’à elle. Mame est souriante et silencieuse. Elle m’accompagne dans sa chambre. Les bruits de la rue sont happés par la douceur bienfaisante de l’endroit. Seul le chant des perles de son chapelet qui s’entrechoquent délicatement rythme la paix  de la pièce. J’éprouve un bien-être et un réconfort que seul son lit massif de bois sombre est capable de m’offrir. Je m’y plonge délicieusement. Mame suspend son chapelet pour s’occuper de moi. Elle tient à cœur son rôle de grand-mère et ne manque pas une occasion de nous transmettre ce qu’elle sait et ses connaissances sont remarquables. Le vendredi est l’occasion des récits coraniques. Les troupes de Pharaon malgré sa grandeur sont avalées par la mer et j’aperçois les derniers lambeaux dorés de sa

gloire déchue. Je ne vois pas le temps passer et l’air transparent semble me sourire. Jamais je ne me suis sentie aussi bien.

C’est déjà l’heure du repas et la coépouse de ma grand-mère a posé un énorme plat bien garni de riz au poisson écarlate qui achève de me donner le paradis. La coépouse, c’est mon autre grand-mère. Jamais je n’ai entendu la moindre polémique entre elles. J’en ai toujours été très étonnée et en ai déduit que mon grand-père était l’homme le plus juste de la terre.

Ma grand-mère partage le riz en trois parts inégales. Une toute petite portion pour son faible appétit et  les deux autres portions pour les gens de la maison et pour ceux qui inévitablement venaient déjeuner après la grande prière du vendredi. Du reste, comme la mosquée est tout près de la maison, elle ne manque jamais de s’y rendre. Dans son voile blanc et chaussée de ses petites babouches argentées, elle se hâte de ses petits pas pour répondre à l’appel du muezzin.

À son retour, je suis affalée sur son lit, plongée dans une grande discussion littéraire avec ma petite tante qui était aussi mon amie. Ma grand-mère est passée par la boutique du maure et tient dans ses mains la meilleure boisson du monde, un jus frais d’ananas, juste divin.

Au moment de nous quitter, ma grand-mère qui a plus d’un tour dans son sac, sort un van en osier et ses cauris qui servent à prédire l'avenir. Ma grand-mère n’est pas une cauriste professionnelle mais cette activité ludique et distrayante était devenue un de ses passe-temps favoris car elle devine notre intérêt bien humain envers les mystères de l’avenir et c’est sa façon à elle de nous retenir encore un peu.

Bientôt, captivée par le bavardage des cauris, je me réinstalle dans le grand lit. « Je vois arriver une lettre, petite fille. Tu t’envoleras au-delà des mers et des océans mais un jour, tu reviendras, Inshallah. » Mes yeux absorbent ceux de ma grand-mère pendant un temps infini.

Puis les lèvres de Mame se ferment par un baiser sur mon front comme se ferment les portes de ma mémoire pendant que j’ouvre les yeux, légèrement désorientée par ma subite solitude dans ces ruines disertes.

Lointaine, la voix de Francesca murmure : « Alors, les enfants, les pierres vous ont-elles parlé ? »

La voix stridente de Steven me ramène définitivement à la réalité. « Oh madame, jamais je n’ai été aussi content de vous retrouver ! »

 

Fatimata Diallo Ba

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