Varsovie - Installation de Vava Dudu « Caresse » à Gunia Nowik Gallery
Gunia Nowik Gallery a le plaisir de présenter une première exposition de Vava Dudu en Pologne. Son installation est basée sur les œuvres créées spécialement pour l'espace de la galerie à Varsovie, s'inscrivant dans le modèle spontané de la pratique de l'artiste.
L’artiste pluridisciplinaire Vava Dudu refuse de se conformer aux codes : elle pratique aussi bien le dessin que la poésie, réalise des vêtements et des accessoires, fabrique des meubles comme des guitares. Elle revendique sa position d’outsider de l’art contemporain en affirmant « préférer les extrêmes aux milieux ». Son métier de styliste indépendante côtoie son activité de chanteuse au sein de La Chatte, groupe d’électro-zouk punk new wave fondé en 2013 avec Stéphane Argillet et Nicolas Jorio dit « Nikolu ». Son univers artistique underground qui mêle joyeusement texte et image se décline ainsi sur divers supports.
Vava Dudu est née en 1970 à Paris, où elle vit et travaille. Avec Fabrice Lorrain, elle a obtenu le prix de l’Association nationale pour le développement des arts de la mode (ANDAM) en 2001. Elle a collaboré avec Bjork, Lady Gaga, Marilyn Manson, Neneh Cherry, Kate Moss ou John Galliano. Son travail a été présenté dans de grandes expositions et performances, notamment au Palais de Tokyo (FR), au Musée d'Art Moderne de Paris (FR), à la Fondation Galeries Lafayette (Fr), au Confort Moderne (FR) ou à Komplot (BE).
Partenaire d'exposition: Institut Français de Pologne
Vava,
La nuit, chez toi, des étincelles jaillissent sur les rails. Des hommes corpulents soudent le métal, en cadence, devant nos yeux. Nous sommes dans ton atelier, adossé à la Gare Montparnasse, ta fenêtre donne sur la voie ferrée. C’est cette dernière justement que les hommes réparent, lampe torche au front, lunettes de soudure et tenues orange fluo à bandes réfléchissantes. Les trains se sont arrêtés pour laisser place aux ouvriers, et nous les observons.
Nous sommes au sous-sol, au-dessous du niveau du chemin de fer. De l’autre côté de la baie vitrée, face à la digue qui nous protège des trains. Dans cette pièce on enjambe des boîtes de vêtements, des archives en tissu, témoignant de toutes les époques de 1980 a aujourd’hui. Des choses sublimes telles que ton sac perfecto de Moschino, ou le sac Kodak en forme de pellicule; tous les objets que tu vas revisiter. Les caisses grimpent au mur, elles tapissent la pièce. Il y a un vaisselier type années 1960 en marqueterie laqué, et ce magnifique tapis en pure laine que Léontine t'a ramené en offrande pour tes pieds soyeux. C’est comme ça que j’ai compris que « Léontine, la réponse et oui *», il t'offre tapis doux, ou des jus d’oranges pressées pour ta concentration du matin. J’aime bien tes pieds, Vava. Ils sont capables de porter du 36 comme du 44. Si ton classique est la cuissarde, une sorte de porte-jarretelle pantalon botte, dernièrement tu as opté pour quelque chose de plus technique, la basket Instapush Adidas Reebok des années 1990. Elle a une petite pompe sur le dessus du pied, il faut la gonfler pour fermer la chaussure. Fermer une chaussure ne t’intéresse pas vraiment, tu as donc découpé une grande partie de la basket tout en gardant la mécanique.
Les caisses ont remplacé les sacs Tati. C’est-à-dire que tu as été obligée d’investir dans des rangement pour tes archives, mais, fut un temps, tout était pêle-mêle dans ces grands cabas. Ces fameux sacs d’infortune qui représentent l’instabilité. Ce sont les sacs des gens qui s’enfuient ou qui voyagent avec pas beaucoup de moyens. En France on les appelle vulgairement les sacs Barbès, non seulement parce que le grand magasin Tati qui les offrait aux consommateurs était situé dans le quartier Nord de Paris, Barbès; mais aussi parce que ce quartier est un endroit où vivent les Franco-maghrébins, les Algériens, les Afro-européens, les nouveaux arrivants et les réfugiés sans refuge… les migrants. Tous vivent dans ces sacs, qu’on cache dans les bouches d’égout. Ce sont les sacs à trésors pour les vendeurs à la sauvette. L’été, ce sont aussi les sacs dont on remplit les voitures, chargés de cadeaux fantastiques pour prendre la route du soleil qui mène de l’autre côté de la Méditerranée.
Ce sac est un vrai sujet qu’on retrouve chez de nombreux artistes, de Matali Crasset, à Azzedine Alaïa en passant par Azzedine Saleck, ils accompagnent tout les déménagements catastrophe.
Je me demande si les Ukrainiennes arrivant à Varsovie, enfant sous le bras, ont des sacs Tati. Mon amie Agnieszka, bénévole à la frontière, m’a dit que les femmes qu’elle loge dans son appartement ont les ongles soignés, sont magnifiquement coiffées et gardent leur apparence afin de rassurer leurs enfants. Elles ont pour uniques affaires quelques objet d’extrême nécessité dans des sacs plastiques. Tu sais, ma grand-mère rescapée du goulag, était obsédée par les sacs plastiques. Elle les collectionnait et les rangeait tel des vêtements précieux. Fut un temps elle les vendait sur le marché. Ou alors était-ce la grand-mère de quelqu’un d’autre? Ou était-ce une des tantes? Je ne me souviens plus de qui exactement vendait les sac poubelles pour se faire un peu d’argent. Les grands-mères polonaises ont également survécu à une guerre, une autre guerre mais un peu la même quand même.
Retournons chez toi, au bord des voies ferrées, là où les vêtements et les dessins dégringolent du plafond au sol. Tu avais pour projet de mettre une baignoire en bas dans la cuisine avec vue imprenable sur les transports ferroviaires. On ouvre la porte vitrée ; on s’installe rhum a la main, pailles en palmier et piques parasol à cocktail. ça nous monte à la tête et le cœur palpite, il est bercé par le bruit des wagons et les légers tremblements à répétition que font les trains à leur passage. Léontine rigole comme un bébé. Il me semble que tu nous as tout.es habillé.es en soudeurs de chemin de fer, dans des jaunes fluorescents type gilets jaunes, des orange haute visibilité, genre combinaison ignifugée. D’ailleurs quand je porte tes vêtements dans l’espace public, je me fais régulièrement arrêter pas les passants qui me demandant des directions, des informations sur les trains ou les métros.
Enseveli sous les sacs ou les caisses il y a un escalier. Aujourd’hui il a quasiment disparu. Tu ne l’empruntes plus, ni pour monter ni pour descendre. Le sous-sol est fermé, il est habité par tes dessins, tes vêtements, tes poèmes. Nous n’avons plus accès à la voie. Nous sommes en haut de l’escalier au rez-de-chaussée, dans ta chambre, ouverte. C’est un petit loft spacieux cette fois, en face à face avec les train. Trône au milieu de cette pièce ton lit rond emblématique. Celui où les draps tournent quand on y dort. J’imagine que les pieds de Léontine dépassent même lorsqu’il y est couché en « i » en plein centre, entre minuit et 6h, comme les aiguilles d’une montre.
Sur la droite tu as installé un tableau que je t’ai offert. Il représente deux jeunes hommes, des afro-punks de Baltimore en posture mélancolique, chemise blanche à la Malcolm X sur fond pourpre. Il date de l’époque où j’étais à Brooklyn; les garçons en avaient assez des violences policières. C’était le moment d’une énième tentative d’un soulèvement Black Lives Matter, en 2015. Le tableau repose sur la fenêtre, tu y accroches des objets, peut être un sac, une ceinture ou un collier. En arrière-plan on voit les trains et c’est une parfaite composition.
Toi, Vava, tu as la frénésie de l’artiste qui ne dort jamais. Tu travailles sans relâche, il n’y a aucune dichotomie entre toi et ton art. Ça me semble naturel chez les grandes artistes, d’ailleurs je n’ai jamais compris pourquoi certaines personnes cherchent à dissocier « l’homme de l’artiste ». N’est-ce pas justement le rôle de l’artiste que d’être un tout absolument inséparable ?
Sur ce lit rond, assise, tu écris, tu tisses, tu découpes, tu couds. Le Japon t’attend, tu termines un petit paquet après l’autre, que Léontine s’en va poster pour toi, ces colis de trésors. Tu ries fort, mais aussi, c’est une machine infernale celle d’exister pleinement uniquement par la poésie. Je sais que nous partageons le sentiment, de parfois préférer ne pas avoir de corps afin de pouvoir être uniquement poème, uniquement peinture. C’est ce que Jonathan Meese appelle être sous la dictature de l’art. C’est une tyrannie excessive où nous devenons l’outil de quelque chose de plus grand, quelque chose de transcendant. Toujours sur la tangente d’une extrême a l’autre, lorsqu’on se réveille de ce tourbillon de folie, tels des chevaux fous en pleine course avec le temps, on en revient toujours à l’évidence; l’artiste à besoin de son corps pour créer. l’artiste à besoin de son dos, de ses jambes, de ses mains, de ses seins de ses fesses, de ses yeux, de sa tête, et des langues dans les seins, des genoux sur la tête, des pieds sur le bidon. Léontine est ton amour et tu le retrouves là sur le lit rond entre minuit et midi, minuit et 6 h. Tu retrouves ton esprit, quand tu deviens dessin et que tu arrêtes enfin de dessiner, juste un peu. Tu deviens caresse. Tu retrouves la valeur de la personne*.
C’est le moment de quitter ta chambre, cette fois par la porte d’entrée. On découvre cette superbe cité ou les enfants jouent dans la cour, où les familles sont bruyantes. Trottinettes, ballons de foot, odeurs de plats venant de pays où la France à mis les bottes, et les armes. Qui aurait pensé que dans les cave des cités résidentielles œuvraient des artistes géniales, habitant leurs lits à la Tracey Emin, accrochées au mur telles des papillons de nuit type Francesca Woodman, rampant au sol, telles des limaces de Pina Bausch tissant des cocons sublimes de corps qui s’enchevêtrent.
Lorsqu’on prend le train à la gare Montparnasse, au tout démarrage quand le rythme saccadé est encore doux, on passe devant ton atelier. Dans le paysage on voit défiler de grands tissus à ta fenêtre comme des voiles de bateau couvertes de peinture, des langues léchant des crânes, des doigts dans des trous.
Tu es dans le train à côté de moi, Léontine est en face, Azzedine à sa droite; et là entre deux mots tu prends des ciseaux et coupes un cœur entre tes seins. Ton t-shirt se transforme en une robe de soirée que tu confectionnes à même le corps, assise dans ce parfait salon, un compartiment. Un train mène vers un autre, de la Gare du Nord à la Hbf de Berlin, et de Berlin à Varsovie.
On peut lire partout dans la presse que tu as commencé très jeune, avec une collection de vêtements faite à partir de déchets, tu as gagné des prix prestigieux; que tu as travaillé avec Jean-Paul Gaultier, que tu habillé Bjork, Gaga et j’en passe, que tu es la reine de l’underground. Ton groupe s’appelle la Chatte, car de la chatte tout découle, tout dégouline. Tu cries à ceux qui courent après les trains dans lesquels tu n’es pas*. Régulièrement tu exposes dans les top institutions du Berghain au Musée d’art Moderne. D’un train raté à l’autre; tu course l’Europe afin d’honorer des rdv avec des enfant qui t’attendent pour workshops upcykling et autres activités. Tu fais des robes de bal à partir de sacs poubelles, ceux que ma grand-mère, ou la grand-mère d’une autre je ne sais plus, prenait pour des tissus précieux.
Apolonia Sokol
Informations pratiques2juil.10sept.
Du 2 juil. à 15:00
Jusqu'au 10 sept. à 18:00
Adresse
rue Bracka 18/62
00-028 Varsovie