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L'INFIRMIERE POLONAISE - Une espèce en voie d’extinction

Écrit par Lepetitjournal.com Varsovie
Publié le 20 août 2012, mis à jour le 14 novembre 2012

(article publié le 30 mars 2011)

Les infirmières polonaises se mobilisent contre un projet de loi autorisant les hôpitaux à embaucher les infirmières exerçant en libéral. Elles craignent que cette mesure remette en cause la sécurité de leurs emplois et réduise encore leur pouvoir d'achat. Lepetitjournal.com revient sur le sort peu enviable de cette profession menacée.

Les 300.000 infirmières polonaises gagnent entre 350 et 750 euros par mois. 4 fois moins que leurs collègues européennes. Le salaire d'une infirmière en Pologne est d'ailleurs 1000 zlotys inférieur à la moyenne nationale. Leur situation est le reflet de la condition peu folichonne de tout le système de santé polonais. Balloté par des réformes à répétition, le milieu médical balance, au rythme des changements de gouvernement, entre la privatisation et le bon vieux système de gestion centralisée.

L'idée d'introduire les lois du marché dans le milieu médical - dont l'assurance complémentaire individuelle - n'est d'ailleurs pas bien vue par une large partie de la société, habituée à bénéficier des soins gratuits. Les mentalités communistes ont la vie dure : mieux vaut des soins médiocres pour tous que de créer des privilégiés.

L'image des professions médicales pâtit de ce manque de moyens. Surtout le métier d'infirmière. Profession dite "de confiance publique", elles n'ont justement plus vraiment confiance. Mal payées, non reconnues et frustrées, les infirmières polonaises ont une longue liste de doléances à faire valoir.

(Monument de Kolobrzeg pour les Sanitariuszki - Wikicommons)

Des hauts... et surtout des bas


Dans l'Entre-deux-guerres les débuts sont pourtant très prometteurs et la profession reconnue. On retient aussi de 39-45 la présence héroïque des infirmières auprès de la Résistance. Dès l'après-guerre, l'image se ternit : certes, on voit apparaître de nombreuses écoles d'infirmières, une augmentation du nombre des diplômées et enfin la création de formations de niveau universitaire. Mais déjà les perspectives professionnelles sont peu encourageantes. De nombreux postes restent vacants faute de revenus corrects.

Depuis 89, et malgré la création de syndicats infirmiers et l'adoption des standards européens, la profession est en crise. D'après les représentants du milieu, la mauvaise organisation, les réductions de personnel, l'impossibilité d'augmenter ses qualifications et la surcharge générale sont à l'origine de la dégradation de la qualité des soins.

Depuis 20 ans les conflits sociaux se succèdent d'ailleurs entre le pouvoir et les infirmières. L'épisode le plus marquant date de 2007 lorsque les dames en blanc campent devant l'Assemblée nationale pour réclamer une hausse des salaires et de meilleures conditions de travail. En un mois c'est un véritable "village blanc" composé de 150 tentes et 3000 personnes qui est créé. Le village avait sa cuisine et publiait même son propre journal. Refusant au départ de rencontrer les déléguées infirmières, Jaros?aw Kaczy?ski, alors Premier ministre, a finalement cédé après avoir d'abord tenté de faire évacuer le camp par les forces de l'ordre.

Un soutien populaire malgré tout


Dans la conscience collective, l'éthique du métier d'infirmière est basée sur la sensibilité, le respect de l'être humain et de sa dignité. Alors que les forums internet et les médias regorgent d'histoires qui remettent en cause l'image de l'infirmière, la majorité de la société reste encore acquise à leur cause.

D'après CBOS, si 18% des Polonais sont contre leurs récentes revendications, 67% les soutiennent. Par ailleurs, la même enquête montre que pour plus de la moitié des personnes interrogées l'amélioration des soins médicaux passe avant tout par une augmentation des salaires du personnel soignant.

Durant les événements de 2007 de nombreuses personnalités de la culture et des médias ont rendu visite au "village blanc", manifestant ainsi leur soutien à la cause (M. Kondrat, K. Janda, M. Seweryn, J. Kwasniewska, etc.). De leur côté, pour soigner leur image et faire preuve de bonne volonté, les infirmières offraient sur place des soins et conseils gratuits à la population.

 

L'exode
Depuis l'accession de la Pologne à l'UE de nombreuses infirmières polonaises tentent leur chance à l'étranger. Appâtées par des conditions de travail plus dignes et des salaires à la hauteur de l'effort demandé, près de 12.000 partent à l'étranger chaque année. En Suède notamment, en Grande Bretagne, en Italie et dernièrement en Norvège.

Avec entre 2.000 et 3.500 euros par mois à la clé, l'appre

ntissage de la langue ou les plus grandes responsabilités ne leur font pas peur. En plus, on leur assure parfois un logement et un accompagnement dans leurs démarches. La pénurie d'infirmière y est pris au sérieux.

En France, l'infirmière polonaise, à l'instar du fameux plombier polonais, a fait même l'objet d'une campagne publicitaire censée dédramatiser l'idée d'une ouverture du marché du travail à l'est. Depuis,  la France, souffrant elle-même d'une pénurie de personnel soignant, fait d'ailleurs régulièrement appel à la Pologne.

Une hémorragie
Les infirmières ne quittent pas seulement le pays, elles partent aussi en retraite. Leur moyenne d'âge est déjà de 45 ans. Et pour 8.000 départs en retraite, seulement 6.000 diplômées arrivent. Ce chiffre décroît d'ailleurs de 15% par an. Résultat : les conditions de travail et la sécurité des patients se dégradent d'avantage, une infirmière étant parfois seule avec 60 patients - 10 fois plus que les normes européennes.

Si rien n'est fait rapidement pour améliorer leurs conditions de travail et encourager les vocations, la pénurie d'infirmières se confirmera. Et tant qu'un consensus durable n'est pas trouvé entre les infirmières et le gouvernement, c'est d'abord le patient qui va en payer les frais.

Anna Riondet (www.lepetitjournal.com) mercredi 30 mars 2011


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Publié le 20 août 2012, mis à jour le 14 novembre 2012