

A l'occasion de la sortie en salles demain de Niepokonani (Invincibles), lepetitjournal.com revient sur l'histoire qui a inspiré le film, celle de Slavomir Rawicz : une folle évasion à travers l'Asie où la réalité dépasse la fiction, au point de soulever la controverse.
Le film est réalisé par l'australien Peter Weir, à qui l'on doit Le Cercle des poètes disparus et The Truman Show. Pour son nouveau long-métrage, il a choisi d'adapter sur grand écran le récit autobiographie A marche forcée (The Long Walk). Le narrateur est un dénommé Slavomir Rawicz, officier polonais de vingt-quatre ans déporté en Sibérie en 1941. Il y raconte sa détention et son incroyable évasion d'un goulag près du cercle polaire, qui le mènera jusqu'aux Indes.
| (Slavomir Rawicz en 1942) |
Un destin polonais?
Le récit débute lorsque la Pologne est envahie conjointement par la Wehrmacht et l'Armée Rouge. L'officier Rawicz est arrêté par le NKVD, la police politique soviétique. Il est interrogé et torturé durant près d'un an avant d'être transféré en Sibérie, condamné à 25 ans de détention pour espionnage. En avril 1941, après six mois d'incarcération, il comprend que pour espérer survivre, il doit quitter le camp.
Slavomir se regroupe avec des compagnons d'infortune eux aussi déterminés à tenter une évasion au péril de leurs vies : deux autres polonais, un letton, un lituanien, un yougoslave et un ingénieur américain. Sans véritable idée de leur position, ils n'ont qu'un vague objectif : regagner l'Inde, et leur liberté, en piquant plein Sud. Ils ignorent alors que pour cela il leur faudra parcourir à pied près de 6.500 km et traverser les espaces parmi les plus sauvages et les plus inhospitaliers de la planète : les bords du lac Baïkal, le désert de Gobi et l'Himalaya. Après les juges-bourreaux de Staline, c'est une autre justice impitoyable qu'ils affrontent : la nature elle-même, surnommée par les évadés le procureur vert. Ils parviennent finalement en Inde après un effort surhumain. Mais certains de leurs compagnons payent de leurs vies leur soif de liberté et le refus de l'arbitraire.
Publié en 1956 en Angleterre, The long walk devient rapidement un immense succès avec près de 500.000 exemplaires vendus à travers le monde. Le témoignage de Slavomir Rawicz est bientôt traduit en près de 25 langues, dont le français (A marche forcée : à pied du cercle polaire à l'Himalaya).
Comment expliquer un tel raz-de-marée ? Le jugement sur le livre du légendaire écrivain-voyageur Nicolas Bouvier peut apporter un début de réponse : « Ce n'est pas de la littérature, c'est peut-être mieux que ça? Certains livres sont assez forts pour se passer des secours du style ». L'?uvre de Rawicz se distingue par son écriture épurée et la force du récit.
Elle constitue aussi l'un des premiers témoignages décrivant l'horreur du système carcéral soviétique, dix-sept ans avant la publication de L'Archipel du Goulag d'Alexandre Soljenitsyne. Dès les premières pages sont évoqués la longue détention de Slavomir dans les geôles de la Lubianka, siège moscovite de la police politique de Staline, et ses terribles interrogatoires à répétition. Le transfert en Sibérie et l'arrivée au camp comptent également parmi les scènes les plus poignantes du livre.
Un ouvrage controversé
Dès sa publication, The Long Walk fait débat et défraie la chronique. Certains ont pointé du doigt de nombreuses imprécisions sur l'itinéraire suivi par les évadés, des erreurs grossières (les dunes de sable dans le désert de Gobi, où elles sont très rares) et une description jugée peu crédible durant la traversée de l'Himalaya d'un groupe de mystérieux "Mi-hommes mi-singes". Pour les détracteurs du livre, si cet extrait a été inventé, pourquoi croire le reste ? Après la fin de la guerre froide, l'ouverture de certaines archives soviétiques relance le débat : il est clairement stipulé que l'officier Rawicz a bien été détenu en Union Soviétique en 1940 mais pour le meurtre d'un agent du NKVD. De plus, il aurait été relâché en 1942 suite à l'amnistie des soldats polonais prévue par les fameux accords Sikorski-Maisky?
On s'éloigne un peu plus de l'histoire contée par Rawicz. Selon ces mêmes archives, il aurait ensuite regagné directement l'Iran pour rejoindre l'armée polonaise de W?adys?aw Anders. Pour beaucoup, c'est là qu'il entendit des récits d'évadés des camps de travail sibériens et qu'il s'en inspira pour The Long Walk. Installé en Angleterre depuis la fin de la guerre, Rawicz se défend d'avoir inventé cette histoire, donnant des conférences et répondant aux lettres des lecteurs jusqu'à sa mort en avril 2004.
En 2006, la BBC mène sa propre enquête radiophonique sur le sujet et retrouve la trace d'un officier de renseignement britannique à Calcutta, le Capitaine Rupert Mayne. Ce dernier affirme avoir eu un entretien en 1942 avec trois « évadés » du goulag parvenus jusqu'en Inde. Son traducteur polonais, encore vivant et à présent établi en Nouvelle-Zélande, corrobore sa version. Enfin, ultime rebondissement il y a deux ans, un vétéran anglais d'origine polonaise, Witold Glinski, a affirmé que l'histoire de The Long Walk n'était autre que la sienne?
Une source d'inspiration
Malgré ces controverses, le livre de Rawicz est devenu une référence littéraire. Au-delà de l'extraordinaire aventure humaine relatée, le récit donne à cette marche une dimension plus universelle: la reconquête de la liberté et le refus de la barbarie aveugle. Le livre devient ainsi une importante source d'inspiration, jusqu'à aujourd'hui. En 2003, l'écrivain et journaliste français Sylvain Tesson refait le voyage des évadés du goulag: à pied, à vélo et à cheval (une monture qu'il a rebaptisée avec malice : Slavomir). Il raconte cet extraordinaire périple dans « L'Axe du Loup ».
Un autre aventurier français, Cyril Delafosse-Guiramand, a lui aussi tenté l'aventure en 2006 en suivant ce long chemin à travers l'Asie centrale. Cette expérience hors du commun lui vaudra d'ailleurs d'être conseiller technique sur le tournage de Niepokonani. L'adaptation au cinéma du livre de Rawicz se tourne durant l'année 2010 avec au casting plusieurs acteurs renommés comme Ed Harris (Stalingrad, A History of Violence, Pollock?) ou encore Colin Farrell (Eyes of War, Le Nouveau Monde, Alexandre?). Avec à la tête de cette superproduction un réalisateur connu et reconnu, six fois nominé aux Oscars : Peter Weir. Un long métrage qui va encore venir renforcer le mythe Slavomir Rawicz?
Karl Demyttenae?re (www.lepetitjournal.com/varsovie.html) jeudi 7 avril 2011
Tout comme Rawicz, le réalisateur Peter Weir et son scénariste Keith Clarke prennent quelques libertés avec leur histoire, modifiant le nom des protagonistes (Slavomir devient Janusz). Ils rajoutent même un personnage absent dans le livre, Valka, un criminel russe s'évadant avec le groupe. Même s'il est brillamment interprété par Colin Farell, Valka apporte assez peu au film et à l'intrigue générale. La performance d'Ed Harris, interprète de l'ingénieur américain Mr Smith, est remarquable et juste ; il laisse une place pour Jim Sturgess incarnant un Januzs crédible en chef de bande humaniste.
La réalisation très académique de Peter Weir s'inscrit dans la lignée de David Lean (le réalisateur mythique de Lawrence d'Arabie, du Dr Jivago ou encore du Pont de la rivière Kwaï). Ce choix de mise en scène permet d'éviter les écueils mélodramatiques propres à ce type de long métrage. Les paysages sont très bien filmés, les prises de vue parviennent à nous faire ressentir l'immensité des espaces. Le grand écran permet de montrer les décors naturels dans toute leur majesté.
Le parallèle fait entre cette marche de 6500 km et la longue marche pour la liberté de la Pologne sous le joug nazi puis communiste, est intéressant, mais eut peut-être mérité d'être davantage traité. D'autant plus que le héros rejoint l'armée d'Anders pour combattre en Afrique et en Europe, un épisode totalement absent du film.
Sans devenir un classique, Niepokonani se révèle être un film d'excellente facture, très bien interprété et filmé efficacement. Les fans du livre de Rawicz seront sans doute déçus de ne pas retrouver à l'écran quelques scènes marquantes telles que l'évasion à proprement parler du camp 606, le transfert de Moscou jusqu'en Sibérie ou encore la construction du camp. Mais les autres spectateurs découvriront un film d'aventure envoûtant.







