Édition internationale

FRANCOPHONIE – Pourquoi diable les Polonais apprennent-ils (encore) le français ?

Écrit par Lepetitjournal.com Varsovie
Publié le 1 janvier 1970, mis à jour le 16 juillet 2015

Ils sont jeunes ou vieux, étudient ou travaillent, ont de la famille française ou sont Polonais pure souche. Leur point commun ? Ils prennent des cours de français. Mais pourquoi donc s'initier à la langue de Molière, quand celle de Shakespeare suffit pour dialoguer avec le monde entier ? ou presque ? Armé de son vieux Bescherelle, lepetitjournal.com/Varsovie a voulu en savoir plus, et est parti à la rencontre de ces vaillants élèves ? et de leurs professeurs passionnés. 



"Les Polonais apprennent l'anglais pour le travail, le français pour la classe" résume pour plaisanter Benoît Villette, professeur de français langue étrangère (FLE) à Varsovie. Autrefois langue des nobles en Europe, le français a aujourd'hui quelque peu perdu de sa superbe. Enfin, presque : "Le fantasme français est toujours bien présent : l'image-clichée de la France en Pologne, c'est le romantisme de Paris, le soleil de la Côte d'Azur, et le goût de la gastronomie française." L'accès à cette culture est l'une des principales motivations des élèves, selon Benoît Villette.

"Mais il ne faut pas oublier que le français ne se limite pas à l'Hexagone : il est aussi parlé au Canada, en Belgique, dans une grande partie de l'Afrique,?" rappelle Ludovic Duponchel, secrétaire général de l'Institut français de Varsovie. "J'apprends le français parce que je veux voyager au Maroc et au Sénégal, témoigne ainsi Grazyna, quarante ans, qui suit des cours de niveau B1. Je suis aussi passionnée de littérature et de poésie. Or, certains textes ne sont pas, ou pas entièrement, traduits en polonais, comme l'?uvre de l'écrivain franco-libanais Amin Malouf."

Le français, futile ou utile au travail ?

Il y a quelques années, l'Institut français a opéré un virage à 180 degrés : "Avant, on misait tout sur l'aspect culturel de la langue française. Aujourd'hui, on essaye de montrer qu'elle a autre chose à faire valoir : c'est une véritable langue professionnelle, car la France est un important investisseur en Pologne". Carrefour, Leclerc, BNP Paribas, Crédit agricole, L'Occitane en Provence, Leroy Merlin,? On ne compte plus en effet les enseignes françaises qui décorent les façades de Varsovie.

La pratique du français est un vrai plus sur le CV des Polonais qui postulent dans des entreprises françaises, mais aussi dans les sociétés polonaises qui exportent sur le marché francophone. L'une des élèves de Benoît Villette a ainsi été embauchée dans une entreprise de lingerie justement parce qu'elle parlait français. Beaucoup d'élèves sont d'ailleurs des salariés en entreprise : "Il y a deux cas de figure : les entreprises qui font appel aux profs de FLE parce que la maîtrise du français est nécessaire dans le travail de leurs employés, et celles qui proposent des cours de français à leurs salariés pour leur propre plaisir." Dans le domaine de l'informatique par exemple, proposer des cours de français aux salariés est un plus qui différencie l'entreprise et permet de réduire le turn-over.

Le français est également la langue officielle de nombreuses organisations internationales. Par exemple, l'Agence spatiale européenne (ASE) n'a que trois langues officielles : anglais, allemand, et français. C'est la raison pour laquelle Caroline, 22 ans, potasse sa grammaire française : elle ambitionne de devenir ingénieur aéronautique, et d'étudier à Toulouse. Kamila, sa voisine de table de deux ans son aînée, souhaite également apprendre le français pour sa scolarité : "Je veux travailler dans l'industrie pharmaceutique, or il y a beaucoup d'agences de santé en France? et puis, je rêve d'habiter à Paris."

Heurs et malheurs du français en Pologne

"Le français, une langue difficile ? C'est un mythe, qui persiste parce qu'il a longtemps été la langue de l'élite" tranche Ludovic Duponchel. Il faut tout de même reconnaître que des différences structurelles importantes subsistent entre le polonais et le français, ne serait-ce que par leurs racines, les unes slaves, les autres latines. "Les plus grosses difficultés pour les Polonais sont le système verbal et les articles (le, la, les,?), même pour ceux qui sont quasiment bilingues" constate Benoît Villette. Les erreurs de prononciation et la place des mots dans la phrase constituent également une difficulté : "Les Polonais ont des déclinaisons, ce qui rend la structure de la phrase plus souple qu'en France."

Les Polonais friands de français? mais pas seulement

Cela peut sembler curieux vu de France, où apprendre des langues est souvent perçu comme un calvaire, mais c'est presque un loisir en Pologne. Il n'est pas rare de croiser des étudiants polonais qui parlent au moins deux ou trois langues. Sylwia, par exemple, est une jeune Polonaise qui parle couramment anglais et espagnol, et étudie le français pour le plaisir. Même motivation pour Pauline, vingt ans, qui travaille dans une banque polonaise, où la pratique du français ne lui est pas utile. Une question nous taraude : pourquoi cette attirance des Polonais pour les langues étrangères ? Benoît Villette propose une explication : "Les Polonais ont une sorte de complexe vis-à-vis de leur langue, ils pensent qu'elle est trop compliquée et que les étrangers ne feront pas l'effort de la parler. Ils estiment donc que c'est à eux d'apprendre les langues des autres. Ils sont d'ailleurs souvent très contents quand ils voient un étranger maîtriser le polonais." Ludovic Duponchel ajoute : "Cette attirance pour les langues s'explique aussi sans doute par le fait que la Pologne est une terre d'émigration."

Le FLE faiblit-il ?

Avec plus d'un million de locuteurs en français, on pourrait penser que la francophonie a de beaux jours devant elle en Pologne. En réalité, le français est aujourd'hui la quatrième langue étrangère enseignée en Pologne, derrière l'anglais, l'allemand et le russe, qui revient en force comme troisième langue enseignée à l'école. L'italien et l'espagnol, perçus comme des langues exotiques, concurrencent aussi fortement le français. Selon Benoît Villette, "le français est une langue en perte de vitesse en Pologne." L'idée qu'il y a un attrait phénoménal pour la France en Pologne est fausse. D'ailleurs, la Pologne est l'un des pays européens où la densité de francophones est la plus faible : moins de 5%, contre 18 à 26% au Portugal ou aux Pays-Bas, et 5 à 18% dans la plupart des pays d'Europe de l'Ouest, en Roumanie et en Grèce. En mars dernier, l'AFP a publié une vidéo intitulée "La langue française ne motive plus les Polonais", dans laquelle les chiffres parlaient d'eux-mêmes : en 2000, près de 300.000 élèves apprenaient le français, ils n'étaient plus que 125.000 en 2013.

Heureusement pour la langue de Molière, il reste des Polonais qui apprennent le français. Et pour les autres, peut-être le parlent-ils sans le savoir? Saviez-vous en effet, que certains mots polonais étaient issus du français, comme kotlet, park ou trotuar ? Cocorico !

En bref
- La langue française est considérée comme :
     ? La 2ème langue la plus apprise dans le monde
     ? 
La 2ème langue de travail de la plupart des organisations internationale
     ? 
La 2ème langue d'information internationale dans les médias
     ? 
La 3ème langue des affaires
     ? 
La 4ème langue d'Internet
     ? 
La 5ème langue la plus parlée au monde, avec 274 millions de locuteurs, derrière le mandarin, l'anglais, l'espagnol et, suivant les estimations retenues, l'arabe ou l'hindi.

- Il y a eu une augmentation de 7 % de francophones entre 2010 et 2014 dans le monde, mais surtout grâce à la croissance démographique en Afrique.

- Il y a eu une baisse de 8% du nombre d'apprenant du FLE en Europe, mais elle reste le deuxième continent d'apprentissage de la langue française comme une langue étrangère.

Chiffres : Organisation internationale de la francophonie

 Crédit photo : © Marie-Jeanne Delepaul

Marie-Jeanne Delepaul (lepetitjournal.com/Varsovie) ? 16 juillet 2015

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Publié le 15 juillet 2015, mis à jour le 16 juillet 2015
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