Avec un taux de fécondité de 1,3 enfant par femme, la Pologne est un des pays du monde où l'on fait le moins d'enfants. La déprime démographique qui a suivi la démocratisation du pays et sa transformation en société de consommation à l'occidentale entre dans sa troisième décennie. En 2012, le nombre de Polonais en âge de travailler a diminué pour la première fois depuis la Deuxième guerre mondiale. Cette année, il mourra plus de Polonais qu'il n'en naîtra. Il y a aujourd'hui sur les bords de la Vistule à peu près deux fois moins de naissances que lors du dernier baby-boom de 1982-84 où environ 700 000 bébés naissaient chaque année. Les démographes prévoient que la Pologne, qui compte aujourd'hui environ 38,5 millions d'habitants, pourrait en en compter 6 à 8 millions de moins d'ici une quarantaine d'années.
Moins d'argent, moins d'enfants
Pourtant, les études montrent que si les Polonais font peu d'enfants, ce n'est pas parce qu'ils sont devenus des adeptes de la famille à enfant unique. Il semblerait que les raisons de cet état de fait sont pour une bonne part économiques. En effet, les Polonaises installées en Grande-Bretagne depuis l'ouverture des frontières ont, pour leur part, un taux de fécondité nettement supérieur à celles restées au pays.
En Pologne, les salaires sont bas et il est difficile de nourrir une famille même lorsque les deux parents travaillent. En 2012, d'après les chiffres de l'office national de la statistique (GUS), un quart des familles polonaises avec 4 enfants ou plus vivaient avec un revenu par tête en dessous du minimum vital. D'après le dernier rapport Eurostat, parmi les familles polonaises avec trois enfants ou plus, plus du tiers sont menacées de pauvreté. Une récente étude de l'Institut de Statistique et de Démographie de l'école centrale de commerce SGH, citée par l'hebdomadaire Do Rzeczy qui consacrait récemment un dossier à la crise démographique et à ses conséquences futures, montre que les jeunes couples aimeraient avoir plusieurs enfants mais qu'ils veulent d'abord bénéficier d'une situation stable et s'acheter un logement. Deux mamans récemment interrogées dans un jardin public du quartier populaire de Wola m'affirmaient qu'elles avaient très envie d'un deuxième enfant, mais qu'elles ne l'envisageaient pas dans leurs conditions de logement actuelles. L'une vit avec son mari et sa fille de 3 ans dans un studio de 27 m², l'autre dans un appartement de 32 m². Outre la difficulté actuelle à trouver un emploi, le manque de place dans les crèches et les écoles maternelles et le coût que représentent ces institutions pour les familles constituent une difficulté supplémentaire. Même une école maternelle publique génère pour les parents plusieurs centaines de zlotys de dépenses mensuelles par enfant, ce qui rapporté aux salaires peut impacter lourdement le budget déjà très serré de nombreux ménages. De plus, il n'y a pas en Pologne d'allocations familiales ni de demi-parts pour le calcul des impôts, mais uniquement une modeste réduction d'impôt pour chaque enfant.
Un impact négatif sur le poids économique de la Pologne à long terme
Les gouvernements successifs semblent avoir estimé que le problème ne pouvait se régler que dans les chaumières. Fin 2010, le premier ministre actuel répondait à un journaliste qui lui demandait si la réforme du système des retraites permettrait de désamorcer la "bombe démographique" : Donald Tusk a alors rétorqué que personne ne pouvait désamorcer cette bombe démographique à la place des particuliers et qu'on pouvait bien publier 150 lois et mettre en place 65 systèmes de retraites, que c'était de toute façon à une toute autre tâche que les Polonais et les Polonaises devaient s'atteler.
Outre les problèmes liés au futur financement des régimes de retraite, la diminution du nombre d'habitants aura un impact négatif sur la croissance et le poids économique de la Pologne. D'après les prévisions de l'OCDE, la dépression démographique va faire perdre à la Pologne 0,6 point de croissance par an en moyenne sur la période 2011-2060.
Malheureusement, il pourrait bientôt être trop tard pour inverser la tendance. En effet, c'est maintenant que la génération de la dernière poussée démographique des années 80 est en âge d'avoir des enfants. Même si les classes d'âges suivantes ont un taux de fécondité plus élevé, elles ne seront plus assez nombreuses pour inverser la diminution du nombre d'habitants. Dans son dossier sur le sujet, l'hebdomadaire Do Rzeczy cité plus haut fait en effet remarquer que même en ramenant le taux de fécondité à 2,1 enfants par femme, les quelque 170.000 femmes nées chaque année depuis le début des années 90 auront au total moins d'enfants que les quelque 330.000 femmes nées chaque année dans les années 70-80 avec leur taux de fécondité de 1,3.
Ce grave problème est partagé par d'autres pays de l'ancien Bloc de l'Est puisqu'on retrouve en bas du classement des pays du monde par taux de fécondité la plupart des États d'Europe centrale et orientale, Russie comprise.
Olivier Bault (www.lepetitjournal.com/varsovie) - mercredi 4 septembre 2013
Photo : Stock Corbis