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ADAMPOL - Un village polonais près d’Istanbul

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Écrit par Lepetitjournal.com Varsovie
Publié le 7 novembre 2017, mis à jour le 14 juillet 2016

Les nombreux villages entourant Istanbul rappellent l'hospitalité des anciens sultans de l'Empire Ottoman envers les peuples exilés. Tout autour de l'ancienne Constantinople, on trouve des localités aux noms évocateurs d'Arnavutköy (qui signifie « village albanais »), d'Ermeniköy (« village arménien ») ou encore de Polonezköy (« village polonais »). Cette dernière bourgade est l'une des plus célèbres de Turquie, et les Polonais l'appellent Adampol.

Lepetitjournal.com/Varsovie vous amène à la découverte de cet endroit marqué par la tradition polonaise mais perdu dans une autre civilisation.

Le voyageur qui franchit le pont du Bosphore d’Ouest en Est et qui atteint la rive asiatique de la mégalopole stambouliote aura probablement l’impression d’avoir changé de monde en franchissant le célèbre isthme qui sépare la Mer Noire de la Mer de Marmara. Ci et là, dans le quartier d’Usküdar, mosquées et bazars se multiplient, entourés par des immeubles en construction et des grues toujours plus nombreuses qui rappellent qu’Istanbul connaît depuis plusieurs décennies une urbanisation galopante et que la ville qui comptait 3 millions d’habitants en 1950 en recense aujourd’hui près de 20. Mais le voyageur ne se doute pas encore qu’il lui suffit de poursuivre sur vingt kilomètres dans les terres pour se retrouver hors de cette mégalopole bruyante, dans un véritable havre de paix que l’on s’imagine difficilement tant l’on sort d’Istanbul avec une rapidité étonnante pour se retrouver en pleine campagne. Le voyageur arrive alors dans le parc naturel de Polonezköy, boisé et escarpé, situé à quelques encablures seulement des premiers faubourgs de la ville. En son sein, le village de Polonezköy est l’un des plus célèbres du pays, voir même un des plus connus au monde : c’est une petite bourgade polonaise en plein milieu de l’Asie Mineure. Les habitants d’Istanbul aiment venir s'y promener pour fuir de temps à autre l’hyperactivité de la plus grande ville de Turquie.

Polonezköy fut créée en 1842 par une dizaine d’immigrés polonais avec la bénédiction du sultan ottoman. Mais les Polonais 

connaissent ce village sous le nom d’Adampol (« village d’Adam » en polonais »), du nom du prince polonais Adam Czartoryski. Ainsi, pour faciliter la lecture, nous ne ferons référence qu’à ce dernier nom pour désigner la localité.

Dès la fin du XIXème siècle, une large diaspora polonaise se forme dans toute l’Europe : elle rassemble les nobles qui ont fui leur patrie décapitée par ses ennemis: l’Autriche, la Prusse et la Russie, qui se la partagent en 1795. Dès lors, la diaspora polonaise s’organise en France et surtout au sein de l’Empire Ottoman : il se disait que, dans leurs palais de Constantinople, les sultans regrettaient amèrement la disparition de la Pologne, ancienne alliée de l’Empire au cours du XVIIIème siècle dans toutes les guerres qui l’opposaient à la Russie des Tsars. Les sultans se montraient alors bienveillants envers les Polonais qui désiraient s’installer sur les terres de l’Empire.

Près de 8000 d’ entre eux allaient ainsi trouver refuge à Constantinople au cours du XIXème siècle. Parmi eux, le prince Adam Czartoryski : cet ancien ministre d’Alexandre Ier de Russie avait dû s’exiler après avoir soutenu l’insurrection de la Pologne contre le Tsar en 1830. Le prince obtint alors du sultan Abdlülmecid Ier de pouvoir installer à proximité de la capitale ottomane des paysans polonais à des fins militaires, pour aider l’Empire Ottoman dans ses futures guerres contre la Russie.

Ainsi, dès 1842, des premiers émigrés s’installèrent dans ce village proche d’Istanbul : ils viennent de Varsovie, Zamość ou bien Plock et commencent à y construire quelques maisons : dès 1851, la localité, qui a pris le nom de son mécène, Adampol, compte 16 maisons et une chapelle. Le sultan avait autorisé ces colons à préserver leur culture et leur religion, et ils étaient exemptés d’impôts contrairement aux autres populations chrétiennes de l’Empire. Par la suite, différentes vagues d’immigration vinrent renforcer la population de ce village : des déserteurs polonais de l’armée russe de la Guerre de Crimée ou encore des évadés de Sibérie.

Le village compta assez rapidement une centaine d’âmes et devint fameux à tel point que de nombreux intellectuels 

européens en séjour à Constantinople s’y rendirent : en 1847, le musicien Franz Liszt y séjourne, puis c’est au tour de Gustave Flaubert en 1850. En 1855, le poète polonais Adam Mickiewicz s’y installe définitivement et y meurt la même année. En 1863, une vague d’immigrés polonais arrive dans le village à la suite d’une nouvelle insurrection écrasée en Pologne : Adampol compte alors 1 000 habitants et plusieurs églises. Son développement se base sur l’agriculture et sur l’élevage. Les immigrés polonais, qui s’étaient organisés en communauté autonome lors des premières années du village, adoptent progressivement la langue turque mais conservent leur religion et leurs traditions.

Après la Première Guerre mondiale, de nombreux descendants d’exilés polonais quittèrent Adampol, et seuls quelques-uns restèrent. Ainsi, certains d’entre eux prirent le chemin de la Pologne renaissante : ils ne l’avaient jamais vue mais ils possédaient sa langue et ses traditions. D’autres, enfin, décidèrent de fuir la pauvreté et émigrèrent aux Etats-Unis.

Beaucoup de villageois prirent peur des massacres violents qui eurent lieu au début des années 1920 entre les populations turques et grecques lors du crépuscule de l’Empire Ottoman. Beaucoup de villages grecs des environs d’Adampol furent abandonnés et devinrent la proie de brigands qui attaquèrent plusieurs fois le petit village polonais. Celui-ci se mit finalement sous la protection du nouveau maître de la Turquie, Mustafa Kemal Atatürk. Il fut massivement repeuplé par des Turcs venus d’Anatolie, mais ceux-ci cohabitèrent parfaitement avec les Polonais restés sur place, et ils apprirent rapidement à connaître leurs traditions et leurs coutumes.

Les villageois sont d’ailleurs réputés pour être particulièrement hospitaliers, selon le témoignage de certains stambouliotes. Aujourd’hui, Adampol compte 1 500 habitants : seuls 50 d’entre eux parlent encore le polonais mais toutes les enseignes du village sont écrites dans la langue de ses premiers habitants. L’un des principaux monuments de la bourgade est l’église Notre-Dame-de-Częstochowa. Très simple mais charmant, ce lieu de culte se situe dans un endroit paisible entouré d’arbres. La maison de Zofia Rysy vaut également le détour : elle est devenue un musée contenant des photos, archives et documents du passé d’Adampol.

Les maisons du village rivalisent toutes d’élégances et témoignent d’une richesse avérée : l’architecture rappelle bien plus l’Europe Centrale que l’Asie Mineure, et toutes les habitations sont décorées aux couleurs de la Pologne. Adampol compte aujourd’hui 5 hôtels, ainsi que de nombreux restaurants et cafés offrant de la gastronomie polonaise. Ce large éventail d’offre touristique démontre bien qu'Adampol est devenu un lieu de villégiature pour les Stambouliotes qui viennent profiter des paysages verdoyants de la forêt de Polonezköy, y faire de longues promenades et y déguster la très atypique cuisine polonaise. Le village est devenu un symbole de l’amitié entre la Pologne et la Turquie : Atatürk y séjourna quelques jours en 1937, tandis que Lech Walesa puis Alexander Kwasniewski, les deux premiers présidents de la Pologne depuis 1989, s’y rendirent lors de voyages officiels en Turquie.

Aujourd’hui, la nouvelle génération a quitté le village pour la métropole voisine, mais Adampol a su garder toute son authenticité !

 

Ludo Olivier (lepetitjournal.com/Varsovie) - Mardi 7 novembre 2017

Article publié en juillet 2016

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Publié le 7 novembre 2017, mis à jour le 14 juillet 2016