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INTERVIEW - Lotfi Hamadi : "wallah we can !"

Écrit par Lepetitjournal Tunis
Publié le 1 janvier 1970, mis à jour le 6 août 2012

Lotfi Hamadi, futur Directeur d'une toute nouvelle chaîne de télévision privée et Ambassadeur du Young Arab Business Club, évoque sa réinstallation dans son pays natal après la révolution, ses projets, ses espoirs et ses doutes

Lepetitjournal.com : pourquoi êtes vous revenu ?

Lotfi Hamadi : on peut vivre loin de son pays mais on vit avec une absence. Ce vide est encore plus présent quand sa terre natale vit un tournant de son histoire. Je vous laisse donc imaginer l'état de nervosité causé par mon impuissance due à la distance, durant les 4 semaines jalonnées de manifestations et de violences policières alors que mes compatriotes se battaient et que moi je regardais de loin.

Après la chute de Ben Ai, voyant que se profilait le danger populiste je décidais de quitter le Canada pour retrouver la Tunisie avec dans mes bagages un projet de tourisme durable ayant pour ambition de créer assez d'emplois dans un village pour démontrer que c'est par le développement économique qu'on peut le mieux combattre l'extrémisme.

Etant à cette époque en plein lancement d'un complexe à Montréal, je dus rester jusque l'inauguration des lieux et la formation du directeur qui me remplacerait. Je suis donc arrivé quelques mois après, il y a un an.

Qu'en est il de votre installation ?

A mon arrivée j'occupais le poste de directeur des programmes d'une des 5 nouvelles chaines de télévision tout en tentant de lancer mon projet de tourisme durable. L'aventure avec la chaîne ne dura que quelques mois ayant été mandaté, entre temps, par un des plus important groupe industriel tunisien pour en créer une qui incarnerait la vision commune que nous avions d'un

média divertissant, décomplexé et promouvant une Tunisie patriotique et ambitieuse (lire notre précédente interview à ce sujet).

Aujourd'hui je consacre ma semaine au projet de la télé et les week end et mon temps libre au projet de tourisme durable. C'est un travail de longue haleine mais je suis assez content de la réceptivité du gouvernorat de Siliana et des services des organismes et ministères concernés.

Comment s'est passée votre "intégration" ?

Quand je suis arrivé je me suis retrouvé dans une société que je qualifierais presque de schizophrène. Sans exagération aucune j'ai eu la chance de ne rencontrer que des gens aimables et accueillants. En revanche dans le milieu professionnel, je me retrouvais dans un monde très frileux et parfois même manquant d'audace. Bon cela reste une impression qui n'engage que moi. Il faut dire que je venais d'un pays, le Canada, ou le système encourage la création et l'émulation.

En Tunisie les gens doutent de tout le monde, sont très hésitants ce qui compromet la possibilité de créer des opportunités d'affaires. IL faudra du temps pour instaurer un climat de confiance mais cela pourrait être accéléré en promouvant le principe du win-win! 

Il y a toutefois des projets prometteurs qui participent a nourrir ma certitude selon laquelle nous sommes économiquement, à long terme, en bonne voie. Par exemple je connais un citoyen tunisien de confession juive qui n'est pas effrayé par la situation économique et à qui j'ai rendu visite sur son chantier : il est en train de construire un énorme complexe de divertissements (bars, discothèques, restaurants, etc).

au delà de ces considérations terre à terre, il y a des choses qui n'ont pas de prix et qu'on ne peut trouver que dans nos pays. Quand on est assis sur un banc et qu'une personne en commençant son sandwich vous propose d'y gouter, des amis qui par période de fortes chaleurs prennent une bouteille avec eux au cas où ils croisent une personne assoiffée. ces valeurs humaines si imprégnées dans notre culture qu'elles deviennent un réflexe humaniste. 

Votre avis sur la politique ?

Politiquement les choses sont plus calmes que ce à quoi je m'attendais sous un régime islamiste mais également plus décevantes. Nous vivons dans un pays où une minorité représentant moins d'un quart de la population dirige, et où une majorité de plus de trois quarts de la population n'arrive pas à faire entendre sa voix.

Avant toute chose, le processus démocratique est bien respecté, malgré quelques couacs qui sont propres à toute nouvelle démocratie. On ne peut passer d'un système mafieux à un régime vertueux en une année. En revanche ce qui m'inquiète ce sont les actions qui nuisent au développement économique du pays telles que la gestion de nos ressources, le contrôle de nos frontières, ainsi qu'un manque flagrant de notion de priorité dans les dossiers à traiter. Cela sans parler de l'absence de décisions et surtout d'actions quand il est question des sans voix, des pauvres, de ceux qui sont les premiers à avoir espéré en un état plus respectueux et plus juste.

Que ce se soit des diplômés chômeurs, ou de ceux qu'on laissa sans secours alors qu'ils étaient isolés par la neige en passant par ceux qui aujourd'hui en pleine canicule sont privés d'eau ... où est l'état, qu'en est il des promesses faites, à ces victimes de la vie, à savoir plus les écouter et mieux les aider !?

Quant à la Constitution, sa rédaction tarde et certaines de ses lois sont assez inquiétantes. Par exemple, ces jours ci sera proposé en plénière un article misogyne faisant de la femme un "élément complémentaire à l'homme" et j'hésite encore entre reprocher cela à Ennahdha qui soumet ce projet ou bien en vouloir à l'opposition qui ne se décide pas à organiser un mouvement de masse pour protéger l'égalité hommes femmes et se faisant le principe de l'égalité dans notre future Constitution !

Il va falloir être constitutionnellement vigilant, économiquement patient et surtout socialement actif afin de soutenir autant que faire se peut les nécessiteux qui se multiplient en raison de la crise que nous traversons.

Décidé à rester ?

Ma détermination est toujours la même bien que je sois un peu plus réaliste.

De loin je n'avais pas idée des dommages sur la société d'une dictature, qui en favorisant la courtisanerie, avait tué toute idée de méritocratie.

En Tunisie, beaucoup de choses sont à faire professionnellement, socialement, politiquement et c'est cette impression d'être présent durant la construction d'une Tunisie démocratique et développée qui me redonne de l'énergie dans les moments de doute.

La Tunisie est un eldorado pour ceux qui ont le goût de l'aventure entrepreneuriale. J'ai d'ailleurs été dernièrement nommé ambassadeur du Young Arab Business Club qui est une toute nouvelle ONG qui a pour but de mettre en lien des investisseurs moyen orientaux et des jeunes porteurs de projets à travers le monde arabe, et qui sera active d'ici 6 mois. Ils sont intéressés par la Tunisie mais regrettent que l'état ne fasse pas assez la promotion, à l'international, des avantages de l'investissement dans notre pays.

La Tunisie et son peuple méritent qu'on se donne à fond pour eux, même s'il faudra passer par des moments difficiles !

Nous ne sommes pas pour rien les descendants de Hannibal, qui avait si bien dit "nous trouverons un chemin, ou nous en créerons un"


Propos recueillis par Isabelle Enault (www.lepetitjournal.com/tunis.html) lundi 6 août 2012

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Publié le 6 août 2012, mis à jour le 6 août 2012

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