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Naoyuki Ogino, capturer l’invisible

“Le décor est japonais, la lumière est étrangère”. Naoyuki Ogino est un photographe japonais qui a vécu plusieurs fois au Mexique, de ses 3 ans à ses 23 ans. Dans ce contexte de nécessité d’adaptation permanente, le photographe a expérimenté un manque de compréhension des lieux dans lesquels il vivait et auxquels ne se sentait pas entièrement rattaché, notamment en raison de la barrière de la langue. Ne pouvant décrire pleinement ce qu’il ressentait à travers le langage, il s’est alors penché sur l'expression par l’image.

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Écrit par Valentine Detournay
Publié le 28 avril 2024, mis à jour le 1 mai 2024

Photographe officiel de KYOTOGRAPHIE 2024 depuis la première édition, il expose cette année dans le cadre de KG+, évènement photographique organisé en parallèle du festival international. À travers un dizaine d'œuvres, il tente de refléter la solitude qui s’est installée dans la région de Tohoku durant les dix années suivant le tremblement de terre de 2011. Son travail invite à la réflexion autour du thème de la “méta-solitude” . Est-elle le signe d’une existence déchue ou instaure-t-elle les fondements d’une ère nouvelle ? 

Tout aussi passionné de physique qu’amateur de philosophie, Naoyuki Ogino nous livre son expérience, ses engagements et ses projets autour de son art.

Pouvez-vous nous parler de votre photographie ? Sa spécificité, son style, ses sujets…

Je trouve cela très compliqué de parler de moi alors je me base souvent sur les personnes qui regardent mon travail. Mes amis photographes disent que j’essaie de “capturer l’invisible”. 

Avant de vivre à Kyoto, je prenais la majeure partie de mes photos au Mexique. Aujourd’hui, je photographie au Japon.  

J’ai tendance à réinterpréter mes photos de manière conceptuelle. Je ne veux pas faire quelque chose de trop documentaire car cela se rapprocherait de la science. Selon moi, la science souhaite établir une seule vérité alors qu’il n'y a rien de vrai dans notre monde. Par ailleurs, la science, qui cherche en permanence à prouver la vérité en utilisant des données, n’est pas bonne pour démontrer ce qui est impossible à déceler: qui vous êtes, votre personnalité, comment vous vous portiez hier ou encore comment vous êtes aujourd’hui. Mon objectif est donc de faire ce que la science ne peut pas. 

Comment atteignez vous cet objectif ?

Je ne fais pas de photographie de type “studio” car je ne suis pas bon pour ça. Bien que je prenne souvent des photos à l'intérieur, je fais plutôt ce que l'on appelle de la "photographie de rue". S’il m’arrive de demander quelques positions, mes sujets ne font pas de pose. Par ailleurs, je ne peux pas contrôler le chat qui va passer ici, le vent, la poussière ou encore la météo. Dans la majeure partie des cas, j’attends donc que quelque chose arrive naturellement. Je prends ce que j’aime, ce que je veux partager et ce que je ressens. Par la suite, j’aime aussi confronter les photographies que j’ai prises avec la réalité passée, comparer ce que c’est maintenant et ce que c’était.

Mon objectif est de commander le moins possible. J’utilise ce que l’on appelle “le pouvoir de l’Imo”. Cette force correspond au côté féministe du pouvoir qui existe dans chaque Homme, à un degré différent en fonction de chacun. Selon ce degré, l’Homme a une capacité d’acceptation plus ou moins importante. En tant qu’artiste, j’essaie d’utiliser ce pouvoir. La physique quantique m’a aidé à penser de cette manière. Alors que la physique tente d’obtenir la singularité, d’atteindre en permanence un oui ou un non définitif, la physique quantique accepte qu’il y ait possiblement autre chose. 

Quelle est l’idée conceptuelle de votre nouvelle exposition, Dix Ans de Méta-Solitude?

Il s'agit de présenter deux perspectives de la solitude et de la méta-solitude, et de s'interroger sur ce que pourrait être la méta-solitude.

Je pense que tout le monde possède quelque chose de religieux d’une manière ou d’une autre car tout le monde croit forcément en quelque chose. Autrement, on ne pourrait jamais parler. Vous parlez français car vous croyez au français. De son côté, la photographie, qui est seulement de l’encre sur du papier, existe car vous croyez en l’image qu’il y a dessus. Vous décidez d’accepter le message du photographe. 

Photographie de Naoyuki Ogino

Le philosophe Kiyoshi Miki a dit : "La solitude n'est pas dans les montagnes, mais plutôt dans les villes. Elle ne se trouve pas dans une seule personne, mais au sein d'une groupe de personnes." Lorsque j'ai visité la région de Tohoku moins de cent jours après le grand tremblement de terre de l'est du Japon en 2011, l'endroit était chaotique mais je n'ai pas ressenti de solitude. Cependant, lorsque j'ai visité à nouveau le site en 2021, dix ans après le tremblement de terre, sur la côte pleine de digues, j'ai ressenti quelque chose qu'il faudrait peut-être appeler méta-solitude, différente de la solitude. C'était dans l'absence des villes dont parlait Miki, suintant la méta-solitude de l'espace entre les personnes inexistantes de la ville inexistante protégée par les brise-lames...

Vous avez beaucoup voyagé entre le Japon et le Mexique. Comment votre lien avec ces deux pays se reflètent-ils dans votre travail ? 

Un jour, un de mes amis japonais m’a dit que ma photographie ressemblait à une photographie faite par un étranger, spécifiquement en raison de la lumière. Pourtant, je ne fais pas d’éclairage. Je réfléchis seulement à la position dans laquelle je veux prendre la photographie: devant la fenêtre ou devant le mur, proche ou loin du sujet. 

Un autre jour, j’ai fait une exposition avec des travaux que j’ai réalisés dans une des maisons de geishas car je suis l’un des rares photographes autorisés à photographier la communauté geishas. Lors de cet événement, quelqu’un est venu me voir en me disant: “Tu es mexicain”. Je lui ai demandé pourquoi. Il m’a dit: “le décor est japonais mais la lumière est étrangère. Ta lumière est celle de personnes qui vivent dans des maisons avec beaucoup fenêtres, avec une lumière forte. Ce n’est pas la lumière du Japon”. 

Vous connaissez peut-être l’écrivain Jun'ichirō Tanizaki. Il écrit beaucoup sur la lumière du Japon, et particulièrement sur la lumière à l’intérieur des maisons japonaises. Selon lui, la lumière est plutôt vague, douce et sombre. En opposition, mes amis caractérisent ma lumière de forte et contrastée. 

Encore une fois, je ne le reconnais pas forcément parce que c’est dans ma nature. Mais la plupart de mes amis disent que j’ai été influencé par tout ce que je voyais au Mexique: les programmes télévisés, les paysages, les photographes et les peintres. 

La couleur est très importante dans vos photographies qui sont souvent aux tons chauds ou de couleur bleue. Ce résultat résulte-t-il d’un procédé créatif entièrement naturel?

J’utilise le procédé d’impression alternatif. Bien évidemment, ce n'est pas la couleur originale. Ces couleurs sont celles inhérentes au matériau des techniques alternatives. 

Dans l’exposition Dix ans de Méta-Solitude, j’ai réalisé une combinaison de couleurs: des photographies en noir et blanc et des photographies de couleur bleue. J’ai réalisé le noir et blanc en utilisant Photoshop. J’ai donc changé la couleur en la réduisant. Pour le bleu, je n’ai pas utilisé le système numérique. J’ai utilisé le procédé cyanotype.  J'ai créé des négatifs, j'ai utilisé une solution photosensible pour les bleus et je l'ai exposée à la lumière noire, puis j'ai scanné ces bleus.

Que recherchez-vous en tant qu’artiste et que souhaitez-vous partager avec votre public?

Je réalise un travail presque philosophique. J’essaie de comprendre qu’elle serait une meilleure façon de penser que je pourrais utiliser en tant qu’artiste. Quand on me demande si j’ai une religion, je dis non. Pourtant, je pense avoir des influences du shintoïsme que je situerais entre la culture et la religion. 

Aujourd'hui, je pense que nous nous sommes suradaptés à l'économie, à la démocratie et à la science, en nous concentrant uniquement sur les Hommes et en affrontant la solitude sans s'adapter à la nature. Maintenant, nous nous sommes éloignés de la nature et de la réalité. Je pense que nous avons fait la rencontre avec la méta-solitude...

Quand les Hommes n'avaient pas beaucoup de pouvoir, l’écart entre la nature et l’être humain n’était pas dérangeant. Maintenant, il devient impossible de nier cette différence avec la nature. C’est pour cela que j'ai posé la question suivante : "Qu'est-ce que la méta-solitude ?

Photographie de Naoyuki Ogino

Avez-vous d’autres projets en cours ?

Je travaille sur un projet en lien avec la géographie. Nous étudions les raisons pour lesquelles l’île du Japon s’est créée. J’essaie d’étudier l’histoire du sol à travers les roches.

L'un des professeurs avec qui je collabore m'a demandé si je pouvais aborder la question par le biais d'images. Le début du travail est très documentaire, mais je ne sais pas encore comment je ferai un travail plus conceptuel par la suite.

 

Un grand merci à Naoyuki Ogino pour le temps qu’il nous a consacré pendant son exposition dans le cadre du festival KG+. Retrouvez son exposition Ten Years of Meta-Solitude à Kyoto jusqu’au 12 mai 2024!


 

 

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