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Mariage pour tous au Japon : le combat de Rei et Coralie

Mariées en France depuis 2018, Rei et Coralie existent légalement comme couple dans un pays, et pas dans l’autre. Mais depuis 2023, leur combat a pris une tournure inédite. Là où d’autres couples de même sexe ont attaqué l’inaction du législateur japonais, elles ont choisi une voie plus directe : demander à l’administration japonaise d’appliquer le droit existant, sans attendre une nouvelle loi.

Coralie-ReiCoralie-Rei
Écrit par Steen
Publié le 13 décembre 2025

Ce mardi 9 décembre 2025, lors d’une conférence de presse à Tokyo, le couple et ses avocats ont présenté une stratégie judiciaire qui pourrait, pour la première fois, conduire à la reconnaissance immédiate d’un mariage LGBTQ+ au Japon, non par réforme politique, mais par interprétation du droit civil à la lumière de la Constitution.

 

Un contexte japonais nuancé

En juin 2023, la Diète a également adopté une loi visant notamment à « favoriser un esprit d’acceptation de la diversité des orientations sexuelles et des identités de genre ».
Depuis 2015, le Japon a également mis en place des certificats de partenariats civils pour les couples queer. Ils existent désormais dans les 47 préfectures et permettent parfois d’accéder à des procédures administratives simplifiées ou à certains droits locaux.

Mais ce système reste incomplet et inégalitaire comparé à un système de mariage pour tous. Les couples LGBTQ+ enregistrés ne peuvent pas demander un visa de conjoint, bénéficier de déductions fiscales pour les familles, figurer sur le même registre familial (koseki), figurer en tant que couple sur un certificat de résidence, bénéficier du droit de visite à l’hôpital, bénéficier automatiquement de l’héritage ou de la tutelle légale des enfants en cas de décès de l’un des partenaires.

Le Japon est le seul pays du G7 à ne pas reconnaître le mariage pour tous. Cette situation interroge, car le rejet actuel des couples de même sexe ne s'appuie pas sur une tradition culturelle ou religieuse.

L’homophobie institutionnelle japonaise actuelle trouve ses racines dans l’ère Meiji, où le Japon a cherché à adopter des normes occidentales. Cela a entraîné l’élimination de représentations traditionnelles de l’homosexualité et la promotion d’une famille hétérosexuelle comme pilier de la modernité nationale.

Pour la professeure Junko Saeki, docteure en philosophie et spécialiste des sciences humaines et sociales, cet héritage continue de peser sur les choix politiques actuels. « Nous ne disposons pas de programmes éducatifs suffisants sur l’histoire de la sexualité ou de l’amour masculins au Japon », explique-t-elle. Si les jeunes générations se montrent relativement tolérantes, « presque toutes les personnes âgées (celles de l’ère Showa) sont intolérantes en raison de l’éducation conservatrice (dans ce cas, conservatrice signifie le discours national japonais “moderne” occidentalisé) qui trouve ses racines dans la période Meiji. »

 

Une bataille judiciaire pour contrer l’inaction politique

Six décisions ont été rendues par la Haute Cour concernant des procès relatifs au mariage homosexuel intentés entre 2019 et 2021, dans des tribunaux à travers tout le pays, de Sapporo à Osaka en passant par Fukuoka. Parmi celles-ci, cinq ont jugé leur interdiction inconstitutionnelle.

Mais le fait que la Cour ait jugé « inconstitutionnel que les couples de même sexe ne puissent pas se marier » ne signifie pas pour autant que les deux personnes puissent devenir légalement « époux ». Pour cela, il faut attendre que la Diète agisse pour « corriger » ce système jugé inconstitutionnel. En attendant, les déclarations de mariage des couples de même sexe ne seront pas acceptées et ceux-ci devront simplement attendre.

Alors, qu’est-ce qui empêche la Diète de mener ce débat ? Pour la professeure Saeki, « Le gouvernement conservateur japonais bénéficie du soutien politique des personnes âgées qui croient en la valeur du mariage hétérosexuel moderne. Il est donc encore difficile pour la Diète de prendre l’initiative de réformer le système matrimonial japonais, notamment en ce qui concerne le nom de famille commun aux couples mariés. »

Lors de la conférence de presse du 9 décembre, l’équipe juridique du couple franco-japonais, menée par l’avocate Miyako Miyai, a donc décidé d’adopter une approche différente.

Plutôt que de contester l’inaction législative de la Diète, les avocats ont opté pour une voie plus directe en cherchant à faire reconnaître que la loi japonaise en l'état n’interdit pas le mariage entre deux personnes de même sexe.

Ils ont déposé une demande de jugement familial contre la ville d'Amagasaki (domicile officiel de Rei), exigeant qu'elle accepte d'enregistrer le mariage de Rei et Coralie, ce qui, en cas de succès, les rendrait immédiatement légalement mariés au Japon, sans attendre la législation.
Ils soutiennent que le Code civil, étant subordonné à la Constitution, doit être interprété de manière à y être conforme. Si le refus de reconnaître le mariage homosexuel viole la Constitution (liberté de mariage ou égalité devant la loi), alors le Code civil doit être interprété pour inclure le mariage homosexuel.
Les avocats soulignent également qu’il n’existe aucune disposition du Code civil interdisant explicitement le mariage homosexuel et appellent à sa reconnaissance, la création d'autres statuts distincts ne faisant que perpétuer les discriminations structurelles actuelles.

Le dossier est en phase finale devant le tribunal et la décision devrait tomber « d’ici la fin de l’année ou le début de l’année prochaine ».

Une cagnotte est également disponible en ligne pour soutenir cette action.

 

L’impact du droit sur la vie


Loin de l’ambiance austère du tribunal, le couple accepte de parler du poids quotidien que représente ce refus de reconnaissance.
Pour les deux partenaires, le mariage n’est une première étape de vie. Pourtant, leur désir d’avoir un enfant est pour l’instant remis en cause. « S’il vient de mon ventre, il ne sera pas reconnu au Japon du tout. S’il vient du sien, oui, mais moi, je ne serai pas reconnue comme mère », explique Coralie. Rei l’écoute, les épaules basses.


Le rapport de Rei à son pays natal est également bouleversé. Abandonner le Japon n’est pas une option : « Ton identité, même si demain tu n’as plus de passeport, ça reste là où il y a ta famille, tes racines », glisse Coralie en pressant gentiment la main de Rei.

Quand elles arrivent au Japon, Rei devient « célibataire » par magie administrative. Cette dissonance nourrit un trouble intérieur. Coralie l’explique : « C’est comme si l’identité qu’elle a en France lui était soudainement refusée ici. » Rei complète, presque en s’excusant : « C’est très compliqué pour moi. » Elle raconte aussi utiliser ponctuellement son nom de naissance plutôt que son nom d'usage « parce que c’est plus facile pour communiquer, plus simple que de toujours tout expliquer ». Cette fragmentation, elles la vivent à chaque passage de frontière.
Au Japon, lorsque le couple annonce son union, certaines personnes rient, pensant à une plaisanterie. « Tu dis que c’est vrai, et ils continuent de rigoler », raconte Coralie. Humiliation banale, mais révélatrice : au Japon, la possibilité même d’un couple légalement du même sexe n’existe pas.

La professeure Saeki souligne : « Malheureusement, la valeur japonaise d’harmonie sociale tend à exclure l’idée de diversité sexuelle. Par conséquent, dans le système matrimonial japonais contemporain, les familles comme celle de Rei et Coralie sont encore officiellement incompatibles avec la société japonaise. Cependant, cette situation sociale pourrait changer avec la nouvelle génération. »
 

En France, un autre obstacle surgit : « Si ton mariage n’est pas reconnu dans ton pays d’origine, tu ne peux pas adopter », rappelle Coralie. (article 370-3 du Code Civil). Ce refus japonais remet donc aussi en question leur avenir en France. 

« Peut-être qu’une action est aussi à mener de ce côté-là », affirme Coralie.

Ces angoisses et ces questionnements, Coralie en a fait un court métrage, Kotowari, qui a remporté plusieurs prix et dans lequel Rei joue l’un des rôles principaux. Une autre manière de sensibiliser le grand public à un parcours loin d'être unique.

Leur dossier marque un tournant. Si leur mariage est reconnu, il deviendra le premier cas de couple queer au Japon à obtenir la reconnaissance de son mariage par simple interprétation du droit existant.

Grâce à cette mise en lumière, Rei espère que « les jeunes Japonais apprennent qu’il y a des gens variés dans le monde et qu’il n’y a pas une seule manière de vivre ».

De son côté, Coralie rêve de voir un jour son nom inscrit sur le koseki de son épouse, preuve tangible de leur appartenance à la même famille.

 

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