Longtemps perçu comme un pays où la différence peine à trouver sa place, le Japon souffre d’une réputation ambivalente en matière d’intégration des personnes handicapées. Pourtant, pour Armand, père d’un enfant atteint de troubles cognitifs et moteurs, la réalité sur le terrain s’avère bien plus nuancée. Installé à Tokyo depuis près de vingt ans, cet ingénieur français raconte une prise en charge bien au-delà de ses attentes.


Un parcours médical éprouvant
Tout commence en 2014. Après une naissance extrêmement prématurée – à peine 21 semaines d’aménorrhée – son fils passe six mois en soins intensifs. S’ensuivent des années de suivi médical marqué par des séquelles neurologiques et motrices : un retard de développement qui le place au niveau cognitif d’un enfant de cinq ans, une motricité réduite et une déficience visuelle. L’apprentissage de l’autonomie reste un défi permanent.
« La difficulté principale, ce n’est pas le Japon en tant que tel, mais d’accompagner au quotidien un enfant qui ne gagne pas en autonomie : l’aider à s’habiller, à manger, à prendre ses médicaments, à faire des exercices pour sa motricité… », confie Armand.
Des écoles spécialisées performantes
L’une des principales préoccupations des parents d’enfants handicapés est l’accès à une éducation adaptée. Contrairement aux craintes d’Armand, la scolarisation de son fils n’a posé aucun obstacle administratif. Mieux encore, il découvre un système bien doté : « L’école spécialisée qu’il fréquente est extrêmement bien équipée, dans un bâtiment moderne, avec un encadrement exceptionnel : un enseignant et un assistant pour cinq élèves environ. »
Un tel niveau d’encadrement surprend ce père de famille, qui le compare à ce qui existe en France : « Des professionnels du secteur en France m’ont confirmé que de telles conditions seraient difficiles à trouver là-bas. » Pourtant, cette excellence a son revers. L’isolement des enfants dans des établissements exclusivement dédiés au handicap peut freiner leur intégration sociale. Armand avait initialement envisagé d’inscrire son fils dans une classe spécialisée au sein d’une école classique, mais son retard cognitif était trop important.
Une accessibilité renforcée mais une bureaucratie pesante
L’autre bonne surprise vient des infrastructures. Tokyo, avec ses moyens financiers considérables, investit dans l’accessibilité : rampes d’accès, signalisation en braille, bandes podotactiles, annonces sonores dans les transports. Une politique d’inclusion qui tranche avec l’image souvent véhiculée d’une société peu ouverte au handicap.
Le revers de la médaille ? La lourdeur administrative. Si l’école spécialisée a été trouvée sans difficulté, obtenir une place en garderie adaptée a relevé du parcours du combattant. « Ces structures sont peu nombreuses, et leur financement public implique des démarches incessantes : quatre entretiens par an pour justifier l’aide perçue. »

Une perception sociale plus ouverte que prévu
Là encore, Armand est surpris. Contrairement aux idées reçues sur une société japonaise peu inclusive, il ne perçoit aucune forme de discrimination. Son fils n’a jamais été victime de rejet, pas plus que son grand frère, qui aurait pu être la cible de moqueries liées au handicap de son cadet.
Ce constat interroge : le Japon évolue-t-il plus vite qu’on ne le croit ? Ou bien la prise en charge spécifique de Tokyo crée-t-elle une exception ? « Je ne saurais dire si cela tient à une évolution récente ou si les préjugés sur le Japon sont infondés. Tout ce que je peux dire, c’est que, jusqu’à présent, tout s’est très bien passé pour nous. », s’enthousiasme Armand.
Un modèle à nuancer
Si l’expérience d’Armand tend à remettre en question certains stéréotypes, elle ne saurait être généralisée. L’exception tokyoïte, avec ses ressources considérables, n’est pas nécessairement représentative des autres régions du pays, où l’accompagnement des enfants handicapés reste plus aléatoire.
Par ailleurs, malgré des avancées notables, le Japon est encore en phase d'adaptation pour promouvoir une éducation véritablement inclusive. Selon un article de Kyodo News publié en novembre 2022, le Japon reste en retard en matière d’éducation inclusive pour les enfants handicapés. L’article souligne que de nombreux enfants en situation de handicap sont orientés systématiquement vers des écoles spécialisées au lieu d’être intégrés dans le système scolaire classique, contrairement aux recommandations des Nations Unies.
Reste une leçon à tirer : loin des clichés, le Japon met en place des dispositifs parfois plus performants que ceux de nombreux pays occidentaux. À condition, toutefois, de maîtriser la langue et de naviguer avec patience dans un système administratif exigeant.
Photo de couverture : Pexels / Marcus Aurelius
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