Le Japon, longtemps connu pour son insularité culturelle et politique, commence à entrouvrir sa porte à l’immigration. Mais attention : ici, l’ouverture se fait à petits pas, presque à contrecœur. Entre besoins économiques criants, pressions internationales et résistances nationales, le pays se débat avec une équation délicate et discutable : comment faire venir des étrangers, sans complètement les accueillir ?


Intégrer ou exploiter ? Le jeu trouble de l’immigration de travail
Depuis 2018, le Japon a tenté d’élargir ses canaux d’immigration pour faire face à un double problème : une population qui vieillit rapidement, et un marché du travail en tension dans de nombreux secteurs (santé, construction, agriculture, etc.). Le nombre de résidents étrangers au Japon a atteint un record de 3,77 millions fin 2024, soit une augmentation de 10,5 % par rapport à l'année précédente. Cette croissance est notamment portée par les travailleurs sous le statut de "stagiaires techniques", qui représentent environ 456 000 personnes.1
En effet, pour répondre aux besoins économiques, le gouvernement a élargi en 2023 le visa "Compétences Spécifiées" (SSW2) à 11 secteurs, incluant les services, permettant aux travailleurs étrangers et à leurs familles de rester indéfiniment au Japon.2
Mais cette stratégie reste prudente. Le programme de "stagiaires techniques" (TITP), souvent critiqué pour ses dérives quasi-exploitantes, vient à peine d’être remplacé par un nouveau dispositif en 2025, censé mieux protéger les travailleurs… sans pour autant leur garantir un véritable statut d’immigré intégré. Le message est criant : le Japon a besoin de travailleurs, mais ne semble pas compter sur leur présence à long terme.

Une politique d’asile parmi les plus strictes du monde développé
Le Japon maintient également une politique d'asile parmi les plus restrictives des pays développés. En 2024, seuls 190 réfugiés ont été officiellement reconnus, un chiffre dérisoire comparé aux normes européennes. Même les Ukrainiens, accueillis temporairement sous un statut spécial, ne sont pas considérés comme des réfugiés au sens plein du terme.
En parallèle, la loi sur le contrôle de l’immigration, révisée en juin 2024, a encore durci les règles, permettant désormais de renvoyer les demandeurs d'asile ayant essuyé deux refus, malgré les risques encourus dans leurs pays d’origine3. Une mesure vivement critiquée par Amnesty International et Human Rights Watch, qui alertent sur les "tragédies prévisibles" à venir, rappelant notamment le tristement célèbre passage de Wishma Sandamali dans les centres de détention pour migrants du pays4.

Un pays qui change malgré lui
Dans les rues de Tokyo ou d’Osaka, pourtant, la réalité évolue. Les visages étrangers se multiplient dans les konbini, les hôpitaux, les chantiers. Fin 2024, le Japon comptait 3,77 millions de résidents étrangers — un record, et une augmentation de plus de 10 % en un an. À ce rythme, l’Institut national de recherche sur la population estime que les non-Japonais pourraient représenter jusqu’à 10 % de la population d’ici 2070.
Mais cette évolution démographique ne s’accompagne pas forcément d’une intégration réussie. Barrière linguistique, complexité administrative, accès limité aux droits sociaux : pour beaucoup, s’installer au Japon reste un parcours du combattant. Et la société japonaise, longtemps perçue comme homogène, reste globalement frileuse à l’idée de se transformer en société multiculturelle.
C’est peut-être là le vrai nœud : la société japonaise, historiquement homogène, a du mal à se penser comme une mosaïque. L’immigration reste perçue comme un outil économique, rarement comme une richesse culturelle ou humaine. Dans les discours politiques, les mots “multiculturalisme” ou “vivre-ensemble” restent presque tabous. Résultat : des politiques court-termistes, où l’étranger est un invité de passage, jamais un citoyen en devenir.5
Une transition en suspens au Japon
Le Japon est à un moment charnière. Il peut choisir de rester dans une logique de gestion minimaliste, ou bien de repenser en profondeur son rapport à l’étranger — au sens large. Car dans un monde de plus en plus connecté et interdépendant, le repli devient une illusion coûteuse.
La question n’est plus seulement de savoir combien de migrants le Japon peut accueillir. Mais quel type de société souhaite-t-il devenir.
Sources :
1 https://www.nippon.com/fr/japan-data/h02350/
2 https://www.noahpinion.blog/p/why-japan-opened-itself-up-to-immigration
https://www3.nhk.or.jp/nhkworld/fr/news/programs/special/202406211240/
Photo de couverture : La « Little India » de Nishi Kasai - @City-cost














