L'expérience d'un pays se forge avec le temps, Carole Goudard qui vit en Iran depuis 25 ans le sait très bien, elle a travaillé dans de nombreux secteurs et s'est prêté au jeu d'un petit entretien afin de faire partager son parcours à nos lecteurs
Lepetitjournal.com/teheran - Pouvez-vous nous parler de votre expérience en Iran?
Carole Goudard - Cela fait presque 25 ans que je vis en Iran, ma famille est ici. Les 20 premières années ont été les plus dures (l'expression ici dit les 100 premières années !). Nos cultures ne sont pas si proches mais assimilables par certains côtés et je pense avoir adopté des côtés iraniens. Je vois une société se transformer, lentement sous bien des aspects mais rapidement au niveau des nouvelles technologies de l'information, avec ses contradictions, évoluant entre tradition et modernisme.
Quelle est la place de la communauté francophone à Téhéran?
Je pense que cette communauté n'est pas très nombreuse, il y a les expatriés vivant plus au sein du milieu favorisé de Téhéran, mais leur univers professionnel leur permet de voir de plus près le vrai visage de l'Iran, puis les françaises mariées à des iraniens qui ne sont pas très nombreuses (beaucoup sont reparties en France ou a l'étranger), des français mariés à des femmes iraniennes mais très peu, les descendants des couples mixtes et les iraniens qui ont également acquis la nationalité française. Elle tend à augmenter grâce à la venue de nouveaux expatriés depuis la levée des sanctions et de binationaux pensant trouver de bonnes opportunités d'emplois.
Quel est votre parcours professionnel?
Mon parcours professionnel est non conventionnel. Lorsque l'on s'installe dans un pays comme l'Iran pour suivre son mari, il est difficile de parler de plan de carrière. J'ai fait des études de chimie à la base, puis ai travaillé 2 ans dans le domaine de l'informatique bancaire en France avant de venir en Iran. Ne parlant pas persan et n'étant pas préparée au monde professionnel iranien, je me suis dirigée vers un organisme biculturel, en l'occurrence la Chambre Franco-Iranienne de Commerce et d'Industrie dans le cadre de la promotion des échanges entre les deux pays puis plus tard vers un grand groupe français notamment pour aider les expatriés? et d'ailleurs j' ai alors repris des études en commerce international afin de diversifier mes compétences, puis j'ai fait des traductions, accompagné des sociétés de passage dans le cadre de missions commerciales, aidé aux suivis des contacts entre sociétés iraniennes et françaises, donné des cours de français à des non débutants. Je me considère comme une personne pouvant faciliter les contacts et la compréhension entre les deux cultures professionnelles.
Quelles sont les difficultés que l'on rencontre justement dans le milieu professionnel?
Etre informé des opportunités d'emploi au sein des organismes et sociétés françaises ou des sociétés iraniennes travaillant avec des pays francophones est un challenge permanent. Des annonces paraissent sur des sites de sociétés de recrutement mais l'information circule beaucoup en circuit restreint et les salaires restent bas en Iran pour les employés .
Travailler avec des partenaires iraniens peut être source de malentendus compte tenu des différences culturelles. J'ai mis du temps à m'habituer et a comprendre car personne ne m'avait préparée sur ce point. Je pense arriver maintenant à nouer la plupart du temps les contacts adéquats.
Le système économique reste encore très étatique, le secteur privé se développe et l'on voit arriver une génération plus anglophone et cherchant a nouer plus de relations et à travailler avec l'occident.
Et les points positifs?
Il est toujours possible d'avoir une idée de business et de la réaliser, tous les créneaux d'activité ne sont pas saturés. Les iraniens sont à l'affut de nouveautés occidentales. Il m'est arrivé d'avoir une idée, de me dire : tiens voilà un concept, un produit qui pourrait marcher, et peu après de voir ce produit sur le marché? Il y a toujours un grand attrait pour le savoir-faire et la technologie française. Le développement du tourisme et l'hôtellerie sont 2 secteurs à très fort potentiel.
Nous sommes dans un pays en mutation entre la culture traditionnelle et occidentale, il existe une main d'?uvre jeune et diplômée parlant plus l'anglais que leurs parents. Plus de femmes travaillent que lorsque je suis arrivée ici il y a 25 ans, surtout parmi les jeunes. C'est un pays avancé au niveau de l'utilisation des nouvelles technologies.
Que pensez-vous de l'apprentissage du francais en Iran?
Je me suis occupée bénévolement de l'organisation de cours de français pour enfants et adolescents pendant 4 ans, j'ai enseigné à de jeunes adultes. Il y a un public motivé: amour de la langue, prestige, départ à l'étranger pour la poursuite d'études, en France ou au Canada ou il existe une importante communauté iranienne. Des cours existent dans de nombreux instituts de langue mais à mon avis il est difficile de trouver des enseignants parlant français parfaitement et connaissant bien la culture française. Le système universitaire local forme des enseignants très bons au niveau littéraire et traduction, mais qui ont besoin de compléments au niveau de la conversation. Il faut selon moi, multiplier les échanges et renforcer les formations. Les petits instituts ont du mal à avoir un nombre suffisant d'élèves pour un niveau spécifique, donc créer un autre centre de langue au Nord de Téhéran pourrait été une bonne idée.
Créer un site pour les francophones à la recherche d'emploi également, avec une liste d'enseignants de la langue française notamment car une certaine clientèle recherche des professeurs pouvant se déplacer.
Est ce que la langue persane est essentielle pour quelqu'un qui souhaite s'implanter en Iran ?
S'il s'agit de s'expatrier pour 3 ou 4 ans, non ce n'est pas une obligation. Tout le monde ne parle pas anglais, même si maintenant beaucoup de jeunes et certains responsables et cadres dynamiques utilisent cette langue. Sinon cela est préférable. C'est un moyen de mieux appréhender la culture locale, de mieux s'intégrer et de se donner plus d'atouts au niveau emploi. Un français n'apprécie-t-il pas de voir un étranger maitrisant le français en France?
Avez-vous des conseils pour les jeunes qui veulent s'installer ici?
Etre adaptable, ouvert et informé au niveau culturel. Il est important d'avoir une idée du monde dans lequel on va évoluer. Mais savoir que l'Iran n'est pas un eldorado, les problèmes économiques existent. Pour se lancer dans sa propre affaire, un partenaire local de confiance s'impose. Avoir un emploi à partir de la France permet souvent d'obtenir de meilleures conditions au sein d'une société. Entretenir un réseau de connaissances est aussi primordial car si l'on ne fait pas partie d'un cercle, il est plus difficile d'avoir les bonnes informations, de réussir et de progresser.
Mikael Setti (lepetitjournal.com/teheran) lundi 5 décembre 2016