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Marion Brunet, lauréate du prix ALMA 2025 : " Je me suis sentie un peu suédoise"

Le 9  juin  2025 Marion  Brunet, romancière française a reçu à Stockholm le prestigieux Astrid  Lindgren Memorial Award (ALMA) — la plus vaste récompense mondiale de littérature jeunesse, dotée de 5 millions de couronnes suédoises — lors d’une cérémonie solennelle au Konserthuset, en présence du jury et du prince Carl  Philip. Elle a déjà séduit par des œuvres telles que "Frangine"(2013) et "Ilos" (2024), saluées pour leur « prose cristalline » abordant avec force les thèmes du climat, de la justice et de la révolte adolescente. Dans cette interview, Marion Brunet revient sur son séjour intense en Suède, qui a nourri ses ambitions futures, tant sur le plan créatif que professionnel.

Marion Brunet prix ALMA 2025 StockholmMarion Brunet prix ALMA 2025 Stockholm
Marion Brunet lors d'une conférence littéraire à la bibliothèque royale de Stockholm le 12 juin 2025. © Fabienne Roy
Écrit par Léa Santelli
Publié le 19 juin 2025, mis à jour le 25 juin 2025

LPJ : Pour commencer, quelles sont vos impressions avec le recul sur votre séjour en Suède pour la remise du prix ALMA ?

Marion Brunet : C’était très intense. Je suis aussi rentrée avec la frustration d'avoir envie d'en voir encore plus. Je suis hyper heureuse de tout ce que j'ai pu voir en cinq jours et des gens que j'ai rencontrés, de tout ce que ce voyage a ouvert comme lien pour l'avenir, pour revenir en Suède, recréer des liens, des projets. J'ai aussi rencontré mes éditeurs, des gens de la culture et puis les gens du jury avec qui j'ai adoré discuter.

 

 Comment s'est passée la rencontre avec le jury ? 

 J'avais tout à découvrir parce que je ne savais pas du tout comment fonctionnait le jury du prix Alma, c'est-à-dire quelles étaient déjà leur formation au départ, la façon dont ils étaient choisis, la façon dont ils choisissaient les auteurs aussi. C'était super de pouvoir parler de cela avec eux. 

 

J'ai eu une histoire pour enfants qui m'est venue en tête quand je revenais de Vimmerby.

 

Ce séjour en Suède vous a-t-il donné envie d'écrire en rapport avec la Suède ?

C'est bien possible ! J'ai eu une histoire pour enfants qui m'est venue en tête quand je revenais de Vimmerby, alors que je n'écris pas d'albums pour enfants ! Il y a  eu une forme d'inspiration pour moi assez directe et par ailleurs, j'ai très envie aussi d'aller visiter le Nord. Donc c'est bien possible. Je n'ai pas déjà un projet en tête, mais je suis persuadée que ça aura une influence sur un prochain projet. 

 

Comment vous vous êtes sentie lors de la soirée de remise du prix ?

 La soirée de remise du prix, c'est vraiment un moment complètement hors du temps et un peu surréaliste pour moi. Quand j'ai regardé les images et un petit film de mon discours, je me regarde avec un décalage. Je trouve ça fou. Et c'est quelque chose que je dis dans mon discours d'ailleurs, c'est à quel point la Suède offre une place centrale et importante à la littérature jeunesse. Et cela, c'est tellement précieux. On n'a pas ça en France. En France, la littérature jeunesse, je trouve, est de plus en plus intéressante, avec de plus en plus de textes incroyables, et pour autant, je trouve qu'au niveau de la société, des médias, même de la culture quoi, ce n'est pas autant pris en compte qu'en Suède.

 

Justement, quelles sont les différences entre la façon dont la littérature jeunesse est perçue en France par rapport à la Suède ?

 Cela dépend de quoi on parle et de qui on parle. C'est-à-dire que la littérature adolescente surtout marche très bien en France. En termes de vente, je ne suis pas libraire, je n'ai pas les chiffres précis, mais je discute avec mes éditeurs, avec des acteurs du monde du livre, ils disent tous qu'en jeunesse, on vend bien plus qu'en adulte. Mais c'est plus le regard qui va être porté sur la littérature jeunesse qui est différent, via notamment tout ce qui est médias, tous ceux qui font la médiation. D'un point de vue plus global et national, je trouve que la littérature jeunesse est bien moins mise en valeur qu'en Suède.

 

Et est-ce que recevoir ce prix change votre manière de vous projeter dans vos futurs projets ?

Alors ça ne change pas quelque chose quand j'écris. En revanche, bien sûr que cela change des choses dans la vie parce que c'est une reconnaissance énorme déjà. En termes de reconnaissance professionnelle, c'est merveilleux ! Ça fait du bien parce qu'on n'est pas toujours sûr de soi. On n'est pas toujours sûr de ce qu'on fait, de l'utilité.

C'est vraiment une reconnaissance folle. Je pense que ça va ouvrir sur des traductions. Et ça, c'est merveilleux pour moi parce que c'est vraiment magique pour un auteur de voir son livre lu dans d'autres pays, dans d'autres langues. C'est fou. Et concrètement, la dotation, qui est une dotation incroyable, va me permettre d'être beaucoup plus tranquille, parce qu'on le sait, le métier d'auteur, c'est un métier précaire. Ne pas pouvoir se projeter au-delà d'un an, ne sachant pas si le prochain livre fonctionnera, c'est une source d'anxiété. Donc le fait d'avoir cette tranquillité financière, ça va m'offrir une sérénité.

 

Je trouve que  le slogan du prix ALMA est génial.. C'est " les enfants aussi méritent de bonnes histoires." 

 

Je vais maintenant revenir sur la conférence que vous avez donné à Stockholm, qui portait, en partie sur la littérature jeunesse d'un point de vue plus global. Qu'est ce qui, au départ, vous a donné envie d'écrire de la littérature jeunesse ? 

Pour être honnête, je n'étais pas partie pour écrire en jeunesse. Je ne savais pas que j'écrivais en jeunesse. Ce sont des amis qui m'ont dit "Mais dans tes romans, il y a toujours des ados et des enfants,  tu es beaucoup sur du roman initiatique et ça collerait avec la jeunesse, en tout cas en "young adult." "  Je me suis, tiens, pourquoi pas. Et là j'ai vraiment découvert la littérature jeunesse. Cela peut être une littérature très libre, très novatrice et pourquoi pas proposer un texte dans ce genre.

À l'époque, en plus, je travaillais avec des ados, donc j'avais quand même une certaine vision de l'adolescence. En ce sens,  je trouve que  le slogan du prix ALMA est génial.. C'est " les enfants aussi méritent de bonnes histoires."  C'est beau.  Et je trouve ça très juste. J'entends souvent cette phrase que je trouve insupportable de gens, même de profs, qui disent "Non mais c'est bien la littérature jeunesse parce que comme ça les jeunes ils prennent l'habitude de lire et du coup ça leur permet ensuite d'accéder à la littérature."

Parfois, on me dit "Mais pourquoi tu l'as publié ce livre-là en jeunesse alors qu'il aurait pu être en adulte ?"

Et j'ai envie de dire non, en fait, je trouve que c'est intéressant d'offrir aussi des bonnes histoires aux jeunes.

 

Et est-ce que vous écrivez d'abord en pensant à vos jeunes lecteurs ou d'abord à l'histoire que vous voulez raconter ?

Non, d'abord à l'histoire. En fait, l'écriture quoi qu'on dise, cela reste c'est une pratique très solitaire, je trouve. Evidemment qu'on sait qu'un livre va être lu, on a très envie qu'il existe, qu'il aille vers les autres et qu'il rencontre un lectorat. Mais je crois que quand on écrit, il y a vraiment un plaisir à à construire son histoire, ses personnages, entre obsession, plaisir, difficultés aussi parfois, mais c'est un exercice très solitaire.

 

Et pour vous,  qu'est-ce qui définit une bonne littérature jeunesse ?

Alors, ça va paraître un peu étrange. Mais je pense que, pour moi, une bonne littérature jeunesse, c'est une littérature qu'on peut lire quand on est adulte et s'éclater. Une littérature qui va me plaire, que je vais trouver bonne, ça sera celle qui finalement s'adresse aux ados mais qui parle à tout le monde.

Une littérature avec un vrai style, pas un style adapté, taillé pour rentrer dans un code adolescent. Je n'aime pas le fait de simplifier mais je n'aime pas plus quand on essaye de prendre le langage des ados pour montrer qu'on sait parler comme eux, pour les attirer. J'écris avec ma voix, parfois il va y avoir des vulgarités dans mes textes parce que j'écris un peu cru. Mais c'est ma langue. Je n'essaie pas de copier la langue des adolescents.

 

Comment vous positionnez-vous face au débat récents autour des contenus jugés sensibles dans la littérature jeunesse ? 

Moi honnêtement, je ne suis pas complètement fan du mouvement "Sensitivity readers". On pourrait penser que oui puisque je suis quand même assez sensible à un certain nombre de questions où on va respecter la parole de l'autre. Mais je pense que le travail d'écrivain c'est justement d'être capable d'incarner des choses ou des personnes qu'on n'est pas. Si je ne peux plus  incarner un homme dans un texte par exemple sans risquer de blesser les hommes, ça va m'embêter. Je vais me sentir censurée. Je pense que c'est notre boulot aussi d'écrire, pas à la place, mais de prendre des voix différentes avec respect, avec intelligence.

Par exemple, mon dernier roman publié en adultes, Nos armes, raconte 20 ans de prison pour une femme. Par souci de ne pas raconter n'importe quoi, je suis allée interroger des détenues en prison, pour qu'elles me parlent de leur ressenti, de la prison sur des longues peines, etc. Évidemment, j'en avais parlé avec elles en amont, savoir si elles étaient d'accord pour que je nourisse mon personnage  avec peut-être des petits détails qu'elles allaient me donner. Mais je l'ai fait en amont, c'était un travail de documentation, pour aller au plus près de la réalité.

En revanche, une fois que j'ai écrit mon roman, je ne suis pas allée auprès des détenues avant de le publier. Cela me paraît plus problématique. Et je crois, quand on écrit, qu'on a tous à cœur de ne pas raconter n'importe quoi. Parfois des auteurs vont peut-être mal se renseigner ou mal écrire et le bouquin sera mauvais, il ne respectera pas la population dont il parle. Dans ce cas-là, le bouquin, il sera pas lu et c'est tout. Je trouve qu'il y a un vrai risque de censurer. Après, il y aurait des discussions à avoir, peut-être sur des sujets précis, sur des exemples précis.

 

La littérature contribue, dans un certain sens, à l'éducation des jeunes donc selon vous quel rôle les auteurs jeunesses peuvent jouer dans la construction de l'esprit critique des plus jeunes ?

C'est très difficile d'y répondre, parce que comme je disais aussi lors de la conférence, moi je ne suis pas trop pour écrire des romans à message.

J'écris avec ce que je suis, avec mes colères, avec mes réflexions, avec mes positionnements politiques, avec ma sensibilité et donc forcément il y a quelque chose de tout cela qui va passer dans mes bouquins et qui va rencontrer l'esprit des lecteurs et des adolescents, mais ce n'est pas mon but premier. Ce n'est pas de leur dire, voilà, c'est ça qu'il faut penser.

Donc, en effet, la littérature jeunesse peut faire travailler leur esprit critique quand le bouquin écrit n'est pas fermé dans les positionnements, par exemple. Et je conseille de lire beaucoup de livres parce que plus les jeunes lisent, plus cela ouvre les possibles. 

 

Et  vous, quels auteurs, autrices ou œuvres vous ont inspiré dans votre parcours ?

Alors pour la partie aventure, narration énergique, goût pour les histoires d'amitié, je dirais les Trois Mousquetaires d'Alexandre Dumas. Je dirais aussi  l'île au trésor de Stevenson, Jack London. Pour la partie sociale et  questionnement des rapports humains, je dirais John Steinbeck. Alors ce qui est terrible, c'est qu'il y a pas beaucoup de femmes dans ceux qui m'ont influencé mais ce n'est pas anodin. Je fais partie d'une génération où les auteurs et les personnages étaient souvent des hommes. Plus tard, quand j'étais adolescente, il y a eu des autrices, il y a eu Joyce Carol Oates, il y a eu  L'œil le plus bleu de Toni Morrison, mais j'étais déjà quasiment adulte.

 

Quels conseils donneriez-vous à des jeunes auteurs ou autrices qui souhaiteraient se lancer dans la littérature jeunesse aujourd'hui ?

De beaucoup lire, de lire beaucoup de ce qui se fait déjà pour essayer d'amener justement quelque chose de nouveau, de lire des choses différentes de genre différents. Et puis d'écrire. C'est très bête comme conseil, mais pour écrire, il faut écrire. 

 

Pour conclure, cette interview, souhaitez-vous rajouter quelque chose, que nous n'avons pas mentionné, sur votre voyage en Suède ? 

C'est une distinction qui me touche tellement, que ça me donne presque l'impression d'être un peu suédoise, d'avoir été adoptée par la Suède ! 

 

 

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