Lors de la dernière conférence de l’année organisée par l’Alliance Française de Stockholm, la rédaction a eu l’opportunité d’interviewer Christophe Prémat, ancien député suppléant des Français établis en Europe du Nord de 2012 à mai 2017, actuellement chercheur à l’université de Stockholm.
Pourquoi avoir choisi ce thème : "Macron ou l’obsession de la nouveauté" ?
(Le thème a été choisi par l'Alliance Française, le titre par Christophe Prémat - NDLR).
"Parce que ça intéresse, parce que les gens on en attendu parlé en Suède". Christophe a choisi un titre provocateur avec deux mots forts et caractéristiques du personnage : obsession et nouveauté. "Il ne s’agit pas de monter une image positive ou négative mais de montrer qu’il y a un moment dans la communication politique qui est assez particulier. C´est la maîtrise du pouvoir. C’est le pouvoir de la 5 éme république qui s’est remis sur les rails. Il y a une sorte de présidentialisation avec une sacralisation. C’est bizarre car elle correspondait à un désir, du moins pas forcement du peuple français, mais de l’élite qui était de retrouver ce ressort un peu émotionnel au service d’une certaine rationalité économique".
Quel est votre analyse du "style Macron" ?
"C ´est intéressant de poser la question du style. Dans le style on se démarque toujours de son prédécesseur. Prédécesseur duquel il a d’abord été conseiller, puis ministre. Il a une part totalement liée au quinquennat Hollande. Il correspond au virage idéologique du quinquennat Hollande en début 2014. Il y avait la magie de gommer cet aspect-là parce que justement il s´est démarqué en terme de style. Quand je parlais de représidentialiser, de resacraliser, il a voulu prendre le contrepied de Francois Hollande, qui trainait son image de leader d’un parti politique déjà assez usé en 2012, qui venait avec une présidence normale contre-balancer l'omniprésidence de Sarkozy".
"Chez Macron, il y a un style qui est empreint à des périodes précédentes, il essaie de prendre la hauteur de Mitterrand, de prendre le côté Gaullien de Chirac, mais en même temps il fait ça à sa sauce. D´ailleurs cette nouveauté n'est pas si nouvelle que ça, quand on regarde à des époques différentes, tout le monde parle de nouveauté. Il y a un engouement à essayer de former une certaine verticalité qui s´était brisée avec les deux quinquennats Sarkozy / Hollande.
C’est un style aussi à la fois de grande maîtrise de la communication, peu naturelle, on le voit sur les expressions, pas un mot de travers. Ou alors s'il y un mot de travers c’est parce que les caméras sont omniprésentes et ça, ça ne dépend pas de lui. C’est la société dans laquelle on vit. On enregistre le moindre bruit, on l'interprète et du coup c’est un premier obstacle qui fait qu'on a une sorte d’humeur très sensible qui peut tout d’un coup surgir et venir fracasser un cadre, un décor qu'il a installé".
"Une sur-maîtrise de la parole, un alignement des différents dispositifs de communication politique et une verticalité, un effort de sacralisation qu'on voit dans la symbolique. C’est une tendance qui s’est accentuée depuis 15/20 ans, cet esprit de la commémoration, la sacralisation du geste républicain. Je pense que c’est le problème de l’identité politique de la France où l'on est entre trois récits qui parfois se contredisent, entre le récit neo-républicain (fondement des valeurs), postcolonial (gouvernance mémorielle) et libéral.
Il y a une tradition libérale française qui existe depuis les années 80, appelée la "République du centre" selon Jacques Julliard. Cette tradition là a un versant social libéral qui est incarné d’une certaine façon par le deuxième Hollande avec une version assez à droite de la sociale démocratie. Et puis, une version plus néolibérale c´est à dire finalement qu'on naturalise l’économie de marché en faisant l'Alpha et l'Omega de la réussite économique et politique des gens et ça on a des versions assez différentes"
"Je pense qu'il est vraiment dans ce registre libéral. Sur ces trois récits, il essaie de faire une synthèse. Il reprend des arguments des neo-républicains parce qu´il est malgré tout assez jacobin. La difficulté qu'il a c’est qu'à partir de ses idées, comme il reprend beaucoup les choses en main, cela percute quand même l’idée de libre administration des collectivités territoriales. Concernant la décentralisation, lui-même n’est pas un grand décentralisateur donc lui-même est une synthèse en fait.
Ce n’est pas un libéral dans le sens strict comme on le présente souvent. Bien sûr qu’il est libéral sur le plan économique, il est assez libéral sur le plan des valeurs mais sur le plan politique il est entre le républicanisme et le libéralisme. Puis il assume totalement l´héritage post colonial de la France. Cela dit cela ne lui empêche pas d’avoir quelques écarts à l’étranger par rapport à ça aussi"
Quel regard portez-vous sur sa politique à l´égard des français de l´étranger ?
"Il y a un paradoxe mais qui est lié à son style justement. On a vu l’effet Macron. D´un point de vue sociologique il a su parler à un public de jeunes entrepreneurs, sortant d´école de commerce qui étaient dans la vague High-tech. Un public qui n’était pas politisé avant mais qui a pu se mobiliser, plutôt idéologiquement plus à droite. C’est vrai que le mouvement "En Marche" s'est bien développé notamment à Londres. Il s’est adressé aux français de l’étranger comme étant les forces vives économiques cela dit un peu dans la droite lignée d'Hollande qui voulait quelque part attirer de nouveau les talents pour investir en France. On retrouve ça dans sa politique économique, dans son créneau international.
Ce sont des idées tellement naturelles qu’il n’a pas eu besoin d’en faire un chapitre spécifique même s'il en parle à plusieurs reprises dans sa campagne. L'idée était de redonner une voix à la France mais ça c’est l’esprit de la 5 ème République : il faut que le Président hausse un peu le ton pour montrer aussi sur le plan économique ce qu’il aime faire (…)
Cependant, il a supprimé le Secrétariat d’Etat qui à l'époque était dévolu au commerce extérieur, au tourisme et à la France à l’étranger, il y a là aussi une concentration des périmètres ministériels (…)".
Dans quelles mesures la Suède peut-elle être source de modernité pour la France ?
"Ce qui est intéressant dans les modèles pris à l’étranger c´est que l'on est toujours en retard sur un modèle. On fixe toujours un vieux cliché sur un modèle.
Ce que j´adore dans le débat français c’est qu’il y a deux modèles suédois qui se percutent un peu. Il y en a un qui commence un peu à dater qui est le modèle social-démocrate, c´est à dire avec un Etat providence, redistributif, un parti assez fort y compris au sein de la population avec des mouvements d'éducations populaires. Ce modèle-là, en fait, est percuté avec un modèle néo-libéral où on pense l´Etat comme une source de déficit et on essaie d’adapter l’état à des normes de management.
C'est vrai que la Suède des années 90 avec ses reformes drastiques est aussi vue comme une sorte de modèle pour les neo- libéraux, il y a en permanence une confusion entre ces deux modèles.
Les gens ont forcément idéalisé la Suède car de toutes sensibilités politiques, chacun se retrouve dans une espèce de modèle expiatoire (…).
Après quand on aborde concrètement la réforme des années 90, quand on voit la communalisation de l’école, les traces qu’elle laisse dans la communauté suédoise, comment des libéraux remettent en question cette communalisation, là ça devient intéressant par ce que ce n’est pas encore trop pris en compte dans le débat français".
Fabienne ROY, 29 Décembre 2017