Sandrine Capdouze est peintre et photographe. Elle rêvait d’être architecte; la vie l’a menée dans le marketing et la communication. L’artiste en elle s’est enfin épanouie au passage de la quarantaine : une seconde naissance. La bonne, cette fois…Un concentré d'émotion brute, spontanée, aléatoire.
D’un rêve d’architecture, vous vous réalisez finalement dans la peinture et la photographie. Quelle fut l’évolution?
Sandrine Capdouze – J’ai passé mon enfance dans un petit village dans le Gers. L’accès à l’actualité artistique était assez limité. J’ai toujours aimé dessiner, “griffonner”, imaginer des formes dans l’espace. L’architecture, c’était ce qui semblait pouvoir assouvir mes élans : concrétiser une idée sur un support. Pour raison familiale, je me suis retrouvée dans le marketing, études plus courtes et … qui "avaient des débouchés!" … et je me demande encore ce que j’y faisais !
Fini l’architecture, mais la peinture et la photo ne se sont pas imposées tout de suite, semble-t-il…
J’étais relativement jeune lorsque je me suis mariée puis eu 3 enfants rapprochés. J’ai toujours travaillé (consciencieusement mais sans passion!) dans le marketing et la gestion, prise dans une “normalité” et élevé mes enfants. Je sentais bien qu’une partie de moi était frustrée, éteinte… Mais quand on a “le nez dans le guidon” en permanence, on ne prend pas le temps de poser clairement les problèmes. J’adorais toujours dessiner et passais plus de temps à ça avec mes enfants qu’a leur faire réciter leurs leçons!
Quant à la photo, c’était plus naturel : tout le monde a cette marotte dans ma famille. Personne n’en a fait son métier, mais tous étaient passionnés et assez calés. Mes parents avaient même leur laboratoire à la maison. Mon oncle a maintes fois exposé ses oeuvres. Même mon grand-père déjà, dans les années 1950, était passionné. En fait, pour l’enfant que j’étais, l’art c’était d’abord la photo.
Que manquait-il pour oser franchir le pas et devenir artiste ?
Du temps; du courage; de la chance… J’ai eu quarante ans en arrivant à Singapour, 1ère et unique expérience de vie hors de France, et même au-delà de la région de Bordeaux.
Les enfants avaient franchi le cap de l’autonomie totale, je ne travaillais plus qu’à mi-temps. Et l’intendance est tellement simplifiée grâce à l’aide ménagère ici! Toutes les conditions étaient réunies pour que j’accepte de “me chercher” et bâtir les fondations de la seconde partie de ma vie. Je ne suis pas douée pour parler ou écrire. Il faut bien que “ça” sorte. Les émotions, les idées…
Et vous vous êtes trouvée ?
Oui. Je me suis révélée. J’ai donné la priorité à mon éducation artistique.
J’ai repris l’aquarelle car c’est ce qui est le plus proche du dessin et j’en avais fait seule, pendant 15 ans, à mes heures perdues. C’est la technique la plus accessible, simple et souple : pas de matériel lourd, encombrant. L’aquarelle, c’est une table, une feuille blanche, des pigments et de l’eau, un pinceau.
J’ai rapidement été frustrée : le pigment de couleur est absorbé tout de suite. Il n’y a pas de retour en arrière, pas moyen d’intensifier ou alléger si besoin, au risque de perdre la transparence. Or, c’est ce qui est beau dans l’aquarelle : cette légèreté, cette transparence. Le blanc n’existe pas en aquarelle; le blanc, c’est le papier. On doit “apprivoiser” ce blanc du support, l’utiliser au mieux. On apprend à voir la lumière… En fait, cela développe l’oeil du photographe également, qui capte d’abord les ombres et les lumières. C’est hyper technique et donc contraignant. Je me cherchais, ce qui suppose un besoin de libération. C’est devenu pesant au bout d’un moment. J’ai cherché ailleurs…
Quelles autres techniques de peinture avez-vous abordées ?
L’acrylique puis l’huile, sur laquelle je suis restée.
J’ai rapidement abandonné l’acrylique. Ce sont des pigments enrichis avec des polymères; la consistance est pâteuse et opaque. C’est facile et rapide. Et pas cher. Mais manque de profondeur par rapport à mes envies créatives.
J’ai finalement pris des cours de peinture à l’huile avec une artiste reconnue, Anne Severyns, qui m’a beaucoup appris. Je crois que c’est pendant ces années d’apprentissage avec son groupe d’élèves à Singapour, que je me suis vraiment révélée. J’ai découvert un moyen de donner de la transparence, de la profondeur… de la vie, en somme, à mes toiles.
Aujourd’hui, vous ne peignez qu’à l’huile. Pourquoi ?
Parce que la dimension temporelle fait partie de la démarche artistique, du cheminement créatif. C’est un voyage intérieur, la création. Or, l’huile met du temps à sécher, minimum 1 journée.. Il y a plusieurs couches , jusqu’à 6 (au-delà, on plombe les couleurs et l’on finit par perdre tout effet de profondeur). Donc, je peux retravailler, mûrir, me laisser porter plus longtemps.
Et la technique dans tout cela ?
Ah oui! Evidemment, elle est nécessaire… pour prendre son envol. C’est bien, mais aujourd’hui, j’ai besoin de m’en affranchir pour être moi-même. C’est lorsqu’il parvient à s’affranchir des contraintes techniques, qu’il ose aller au-delà, tatonne, cherche, invente… que s’exprime l’artiste.
Et que cherche l’artiste que vous êtes ?
Mon approche est sensorielle. Je n’ai pas de message particulier à faire passer. Je ne cherche pas à exprimer des idées, je ne peins pas par militantisme. Je suis un chemin imaginaire qui s’inscrit sur la toile au fur et à mesure, sans intention ni préméditation. Et les émotions sortent spontanément. Je ne les contrôle pas. D’ailleurs, je ne cherche pas du tout à les brider, les guider.
Cette notion de liberté absolue, de refus des contraintes, c’est primordial pour moi aujourd’hui. Il n’y a pas de vrai ou de faux. Il n’y a pas une réalité. D’ailleurs, je cherche avant tout à m’extraire de la réalité figurative pour trouver une réalité… différente : l’imaginaire. Ma peinture est abstraite.
Y a-t-il une démarche artistique précise ? Comment vient l’inspiration ?
Je n’ai pas de “recette”. Je reste dans un état réceptif d’émotions, sans intention. J’attends que “ça” vienne. Il y a des jours avec et des jours sans. J’ai une petite routine : j’arrive dans mon atelier, je me change, je retire mes chaussures. J’ai besoin d’être ancrée dans le sol. Je mets une musique zen, type studio de yoga, surtout pour masquer le bruit extérieur, pour m’isoler.
L’inspiration vient de salves d’émotions pures, brutes, imprévisibles. Parfois je pars d’une ou deux couleurs et je laisse venir… Cela peut se faire rapidement, comme une évidence. Parfois, cela met des jours à se déclencher.
On me demande souvent si je “vois” des choses, un paysage, des visages… Et bien non. Parfois en cours de travail, souvent vers la fin, une évocation de paysage émerge dans mon esprit. Je me rends compte qu’il s’agit souvent d’horizons marins. J’ai passé tous mes étés au bord de l’océan. J’adorais me “perdre” dans cette vision infinie. Sans doute que cela réapparait dans mes tableaux, mais ce n’est pas intentionnel.
Besoin de calme, d’isolement : est-ce une condition requise pour créer ?
Pour moi, oui. Le silence, le calme, la solitude : ce sont des besoins physiques vitaux. Je peux passer plusieurs journées sans parler à quiconque. Cela doit transparaitre dans mes tableaux : on me dit souvent qu’ils inspirent beaucoup de calme, une certaine paix.
Quelle est la reconnaissance ultime pour l’artiste que vous êtes ?
Que les gens voyagent avec moi sur la toile. Qu’ils soient touchés, que cela atteigne leur âme.
Je n’ai ni l’ambition, ni l’envie d’être “grande et célèbre”. Si je parviens à donner un peu de bonheur à ceux qui regardent et se procurent mes tableaux, je suis comblée.
Où sera Sandrine Capdouze, artiste, dans 2, 5, 10 ans ?
Je voudrais réaliser quelques très grands formats (2x3m), parvenir à donner plus de texture, éradiquer, oublier toute contrainte technique en peinture. Par ailleurs, je voudrais développer la photo, mixer les deux… C’est infini.
SC.Arts studio 33 Mohamed Sultan Road #02-08 Singapore
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Exposition photos les 20, 21,22 avril à SC.Arts studio 33 Mohamed Sultan Road #02-08 Singapore
Exposition peinture au Pit Building en mai, en collaboration avec des artistes du monde entier.