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Jean-Vincent Brisa, seul sur scène avec Molière

JV Brisa (c) Lilian Sabotier Molière et moi Singapour SingtheatreJV Brisa (c) Lilian Sabotier Molière et moi Singapour Singtheatre
Jean-Vincent Brisa, (c) Lilian Sabatier
Écrit par Bertrand Fouquoire
Publié le 8 avril 2018, mis à jour le 11 avril 2018

Un fauteuil, une perruque et un tabouret. C’est dans ce simple décor que Jean Vincent Brisa, s’apprête à parler doctement de Molière, … quand il voit débarquer le maitre lui-même. Moment de confusion. La conversation s’installe. Le comédien passe d’un siège à l’autre. Il est l’interprète des œuvres de Molière, celui qui parle avec Molière et Molière lui-même. Virevoltante performance, pleine d’humour et de tendresse, toute entière mue par la passion que le comédien voue à son Maître et par le désir de faire en sorte que son génie touche, en direct, le cœur du public.

 

Dans « Molière et moi », vous êtes seul sur scène sans décor ni effet de lumière ni bande son. Quel défi pour le comédien !  
Jean-Vincent Brisa - En effet, cela représente un vrai défi que de se produire ainsi seul pendant 1heure 35, sans décor ni effet de lumière ni bande son. Je suis pour ce type de théâtre là : très épuré. Comme metteur en scène, je préfère montrer le fond des choses plutôt qu’une débauche de moyens importants. Comme le disait Eschyle, le théâtre c’est un texte, un acteur et le soleil, c’est à dire la lumière. Molière lui-même était un écologiste avant l’heure. Au début, comme le montre Ariane Mnouchkine dans son film « Molière », il ânonnait son texte. Il était partisan de la sincérité et opposé à toutes formes d’hypocrisie. Il fallait que l’acteur soit vrai. « L’impromptu de Versailles » en est une bonne illustration. Dans la pièce, les comédiens demandent où est le texte. Ils se voient répondre qu’ils sont, eux-mêmes, le texte et qu’ils doivent improviser.

Comment est né ce spectacle ?
- Cela a démarré comme un pari. J’ai incarné beaucoup de personnages de Molière et mis en scène un nombre important de ses pièces. Molière me fascine et j’avais l’habitude de raconter beaucoup d’anecdotes concernant son œuvre et sa vie. On m’a encouragé à faire un spectacle. On me proposait de monter « Les Fourberies de Scapin » dans un théâtre qui était trop petit pour accueillir un nombre aussi important de comédiens. La suggestion est venue d’écrire mon propre spectacle. Je l’ai fait à plein temps entre fin mai et le 12 novembre. Je me suis immergé dans les pièces de Molière et les livres qui avaient été écrits sur lui et sur son temps. La première mouture ressemblait à un cours magistral sur Molière ; ce qui risquait d’être passablement ennuyeux. Un matin je me suis réveillé avec l’idée d’une voix off qui parlerait à l’acteur. Cette voix off a mis du temps à s’imposer comme étant celle de Molière. J’éprouvais d’énormes réticences à incarner Molière. On m’a dit : il faut que tu le joues. Peu à peu s’est construit un dialogue entre Molière et moi. Molière parle de sa vie, de ses pièces, des difficultés auxquelles il a été confronté au théâtre et dans la vie. Il me reprend, dans la manière que j’ai d’interpréter ses personnages. En novembre 2008, j’ai joué pour des élèves. J’étais mort de trac. C’était la première fois que j’écrivais un texte et que je me produisais dans un monologue seul sur scène.

 

Jean-Vincent Brisa dans Molière et moi, photo Lilian Sabatier
Que représente Molière dans le théâtre d’aujourd’hui ?
- J’ai toujours considéré Molière comme un philosophe des lumières. Molière a fait œuvre de révélateur pour dénoncer certaines situations et les travers de la société. Molière a ouvert la brèche du vaudeville. Il est ce qui représente le plus le théâtre français. Il a été un modèle pour les comédies musicales américaines.  Il a donné naissance au théâtre russe. (Boulgakov : M de Molière). Pour les russes, Molière est un très grand homme. En France, on a tendance, avec « Les Fourberies de Scapin », à le réduire au statut d’auteur comique alors qu’il aspire au tragique. La porte d’entrée des personnages de Molière c’est une mélancolie profonde ; la peur de la mort. Au fond, les pièces de Molière mettent en scène deux types de personnage. Il y a d’un coté Mascarille, qui figure l’étourdi, le dépit amoureux. Celui-ci fait rire, dans la tradition d’Aristophane, en se moquant des autres. De l’autre il y a Sganarelle, ou le cocu imaginaire. Pour la première fois le personnage représente un vieillard rétrograde, qui refuse le monde nouveau et porte tous les défauts de la terre. Avec Sganarelle, le comique ne fonctionne plus de la même manière. Cette fois on rit du personnage lui-même. Pour le public, il y a un problème d’identification au personnage de Sganarelle. Il se moque de nous. Cela a un effet cathartique. Si on s’identifie, avec Molière, à un avare, on ne peut plus ensuite être avare soi-même.

 

Qu’est-ce qui, dans le destin de Molière, vous fascine à ce point ?
- Il y a un vrai mystère autour de Molière. Molière a été la cible d’attaques très dures. Il a été l’objet d’un véritable jugement d’inquisition de la part du Vatican qui considérait que Satan habitait le corps de l’auteur de Tartuffe. Molière aurait été enterré au cimetière St Joseph. Les livres scolaires disent qu’il l’aurait été dans le carré des nouveaux nés, comme une manière de rayer son existence. Au moment où le cercueil de Molière est déterré pour un transfert au Père Lachaise, on s’aperçoit que le cercueil est vide. Molière, après l’attaque dont il est victime lors d’une représentation du « malade imaginaire », meurt dans son lit entouré de 2 religieuses. Tous ses écrits disparaissent. L’acte de décès est non signé du curé.
On dit que Corneille aurait été le véritable auteur des pièces de Molière. Mais les écritures de l’un et de l’autre sont très différentes. Molière est un véritable génie du théâtre, mais Corneille le surpasse dans le domaine de l’écriture. Dans « Psyché », où les deux auteurs ont été amenés à collaborer, Corneille étant chargé de réécrire en vers la prose de Molière, on voit clairement les différences de style des deux auteurs. Louis XIV s’est servi de Molière à plusieurs reprises. « Les précieuses ridicules » mettent en scène le salon des féministes de l’époque, qui avaient une influence très forte et dont le roi se méfiait. Avec « Les Fâcheux », écrit à la demande du roi pour une réception à Vaulx le Vicomte qui aboutira à l’incarcération de Fouquet, Molière s’exposait à jouer les fusibles.

 

Vous avez créé au début de votre carrière la Compagnie Jean Vincent Brisa, puis la compagnie « En scène et ailleurs » dont vous êtes toujours le Directeur. Qu’est-ce que représente ce concept de compagnie dans le théâtre d’aujourd’hui ?
- Il ne faut pas se tromper sur ce qu’est une compagnie aujourd’hui. Cela n’a plus rien à voir avec la troupe telle que la connaissait Molière. Une compagnie, c’est essentiellement un metteur en scène et un producteur. La troupe des comédiens se constitue pour chaque spectacle et se dissout à la fin du projet. D’ailleurs l’une des grandes difficultés quand on monte une pièce est de trouver des comédiens disponibles au même moment pour s’engager sur un projet, car chaque comédien, compte tenu de ses différents engagements vient avec des contraintes propres. Comme Molière, j’aime la notion de troupe qui se déplace. Aujourd’hui, il n’existe plus guère de troupe, à l’exception de la comédie française.

 

Molière et moi -  à l'Alliance Française les 12, 13 & 14 Avril à  20:00 / les 14 & 15 Avril à 14:30

 

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