L'Irlande, avec ses vertes terres battues par le vent et la pluie, lui a inspiré un roman. Singapour a remis en avant son goût pour la peinture. Hasard des circonstances qui nourrissent, différemment, un même désir, puissant et minutieux, de dire le corps et la mémoire. Artiste multiple et secrète, Hélène le Chatelier dévoile d'un seul coup deux couleurs de sa palette. A l'Alliance Française, elle a animé, le 20 septembre, une séance de lecture-dédicace de son roman "dernière adresse". Elle y exposera ses encres "naked memories" à partir du 15 octobre.
Ecrivain, artiste, designer? Comment vous décrire ?
Comme vous venez de le faire sans doute... En effet, j'utilise plusieurs média et je n'aime pas trop être rangée dans une case. Le design est un métier qui me permet d'être en prise directe avec la réalité. J'apprécie par exemple de travailler sur une commande précise, d'être confrontée à des contraintes budgétaires ou techniques. C'est très équilibrant et c'est surtout un très bon contrepoids à mes activités de peinture et d'écriture qui se passent dans une sphère beaucoup plus intérieure. Parfois je rêve de me consacrer entièrement à la peinture et à l'écriture, et en même temps je ne suis pas certaine que ce serait une bonne idée...
Dans quelles circonstances avez-vous commencé à écrire ou à peindre ?
Je n'ai pas toujours écrit, mais j'ai toujours dessiné. J'ai étudié les arts appliqués et la fresque en particulier, à Paris. Mon désir d'écriture, lui, était très ancien. Mais il ne s'est concrétisé qu'assez tardivement, après mon installation en Irlande.
Quand je suis revenue à Singapour en 2010, j'ai eu très envie de me remettre à la peinture, que j'avais délaissée un temps. Après avoir vu une amorce de mon travail, Marie-Pierre Mol et Louise Martin, de la Galerie Intersections, m'ont proposé de monter une exposition. L'échange avec elles a été décisif.
Que cherchez-vous à exprimer à travers la peinture ?
Le contenu de l'exposition "Naked Memories" est intellectuellement très construit. C'est le fruit d'une longue maturation. Pour certains artistes, la peinture est quelque chose de très intuitif. Pour moi cela passe par une réflexion et un questionnement personnel. J'aime qu'il y ait une grande cohérence entre le fond et la forme.
Au travers des encres et des sculptures que je présenterai en octobre, j'ai cherché à explorer tout ce qui touche à la mémoire du corps. On pourrait dire que j'ai essayé de cartographier les traces, les souvenirs, les empreintes que le corps peut accumuler et garder, ou bien laisser au fil du temps. Là encore, j'ai finalement cherché à montrer le fond et non seulement la forme...
C'est pour cette raison que j'ai privilégié les grands formats car le changement d'échelle autorise une double lecture. En effet, suivant la distance à laquelle on se trouve, le sujet apparaît plus ou moins nettement. Comme avec le corps, on peut s'approcher au plus près et pénétrer dans l'intime ou se tenir à distance et avoir une vue beaucoup plus générale. Avec les tableaux, ce rapport est inversé : de près on ne voit pas ce que c'est mais, en reculant, on découvre l'intimité d'un corps nu, l'intimité de l'empreinte qu'il peut laisser. Cette ambiguité m'intéresse car elle dit beaucoup de notre fragilité.
Enfin ? mais je ne l'ai réalisé qu'une fois mon travail terminé ? je me suis rendue compte que le nu était totalement absent de la peinture chinoise. Mon travail interroge donc aussi cette différence fondamentale entre l'esthétique chinoise et l'esthétique occidentale. En effet, comme les peintres chinois, je cherche à représenter l'impermanence des choses. En revanche, le chemin formel que j'emprunte, lui, est très occidental car il prend tout de même en compte la forme pour ce qu'elle est. Mais tout cela pourrait faire l'objet d'un article à part entière... En tous cas, je me suis rendue compte que mon travail, en se trouvant à la croisée des chemins, interrogeait aussi cette différence culturelle et tentait de jeter des ponts.Comment travaillez-vous ?
Je prépare énormément ce que je fais. Avec l'encre, comme avec la technique de la fresque, le premier geste doit impérativement être le bon. On ne peut pas corriger. Peu de choses sont donc laissées au hasard. Je travaille l'encre avec de l'eau. La manière dont ces deux éléments interagissent est la seule partie aléatoire de mon travail.
Pour le reste, je me donne des contraintes horaires assez strictes et je m'y tiens. La création, quel que soit le médium utilisé, est un travail de longue haleine qui nécessite de la persévérance. Mais c'est avant tout un immense plaisir. J'éprouve toujours une frustration lorsque je dois m'interrompre. J'aimerais juste que les journées soient un peu plus longues...
Quels rapports entretiennent chez vous la peinture et l'écriture ?
L'écriture et la peinture forment pour moi deux pratiques très complémentaires et finalement très proches l'une de l'autre, même si elles ne mettent pas en jeu les mêmes mécanismes. Là où l'écriture est plus précise, la peinture (et la sculpture) appartiennent pour moi au domaine de l'évocation. Chacun peut se les approprier comme il l'entend. Il me semble qu'il est plus compliqué d'échapper aux intentions d'un auteur lorsqu'il s'agit d'un livre.
Comment s'est passée l'écriture de "dernière adresse" ?
Quand j'ai écrit mon premier roman, ce n'était pas nécessairement dans l'optique d'être publiée. Je m'étais toujours dit qu'un jour j'écrirai un livre alors je l'ai fait. Je voulais aller au bout de cette envie et voir si j'en étais capable. C'était une façon d'être sûre de ne pas avoir de regret sur ce point à la fin de ma vie. Ne pas avoir de regret... C'est le sujet de "dernière adresse" justement...
Avez-vous eu des difficultés pour être publiée ?
Non. J'ai fait lire mon livre à quelques personnes de mon entourage. Le retour a été très positif. Un ami qui avait longtemps travaillé dans le milieu de l'édition m'a dit que c'était publiable. Puis il a ajouté que si je souhaitais être éditée et continuer dans cette voie il fallait que je m'attende à de grandes déconvenues. J'ai mis du temps à me décider pour franchir le pas. Mais une fois ma décision prise, j'ai eu la chance de trouver très rapidement un éditeur.
De quel type de déconvenues parlait-il ?
Lorsqu'on arrive à publier une fois, on a envie que ça se reproduise. Mais à chaque fois il s'agit d'une remise en jeu complète. Et puis écrire c'est très gratifiant et très aride à la fois. Cela représente un énorme investissement de temps car ce travail se fait dans la lenteur. Or il existe une profonde dichotomie entre cette activité et la vie que l'on mène aujourd'hui où tout va si vite. Cette différence de rythme est parfois difficile à gérer.
Vous avez, je crois, terminé un deuxième roman. En quoi cette nouvelle expérience d'écriture a-t-elle été différente de la précédente ?
Oui, le deuxième projet est terminé. Je cherche un éditeur. L'exercice d'écriture de ce deuxième livre a été très différent du premier car je me savais attendue. Il y a aussi des pièges. On peut penser par exemple qu'on a trouvé des méthodes d'écriture qui fonctionnaient, et être tenté de tomber dans une forme de systématisme.
Le fait d'avoir été amenée à vivre dans plusieurs pays est-il un avantage quand on peint ou qu'on écrit ?
Pour moi, le nomadisme est plus un élément de complication qu'autre chose. Il serait plus facile par exemple de partir en exploration pendant quelques mois pour me nourrir et me remplir du monde, et revenir ensuite dans un environnement très connu, très en phase avec ce que je suis. Cela faciliterait sans doute le moment de la restitution.
Cependant, même si il est vrai que le climat tropical de Singapour est pour moi, moins propice à l'écriture que la lande irlandaise et ses bourrasques, je crois fermement que ce qui compte avant tout, bien au-delà des circonstances, c'est le travail et la passion qu'on y met.
Propos recueillis par Bertrand Fouquoire (www.lepetitjournal.com/singapour) vendreid 26 septembre 2014
Exposition : "Naked Memories". Du 16 au 29 octobre 2014 à l'Alliance Française.
Le roman d'Hélène Le Chatelier: "dernière adresse" (Editeur: Arlea)