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PORTRAIT - Carine Biancardini, une maman pas comme les autres

Écrit par Lepetitjournal Singapour
Publié le 1 décembre 2014, mis à jour le 2 décembre 2014

Professeur des écoles de formation, Carine est arrivée à Singapour en 2013, après plusieurs expatriations en Belgique, en Hongrie et au Canada...Elle a décidé avec son mari d'élever leurs deux enfants de 5 et 8 ans selon les principes du unschooling, ce qui signifie concrètement « pas d'école » ! Rencontre émouvante avec une jeune femme indépendante, convaincue et responsable qui partage avec générosité une approche et une méthode d'éducation aussi différente que passionnante? Une entrevue qui invite inévitablement à réfléchir et à challenger ses propres choix de vie?

Pouvez vous expliquer la différence entre le homeschooling et le unschooling et ce qui vous a conduite à adopter cette démarche ?
- On appelle généralement l'apprentissage en-dehors de l'école  homeschooling, « école à la maison » ou IEF (Instruction En Famille) en français. Il peut prendre différentes formes, les familles peuvent aussi bien avoir recours aux cours par correspondance, embaucher un précepteur, que suivre un curriculum étranger en autonomie ou bien piocher ce dont elles ont besoin et qui les intéressent dans des courants pédagogiques variés (Montessori, Freinet, Steiner, Mason...) et broder avec.

Il y a autant de façons de faire que de familles ! Les situations personnelles de chacune influencent le mode de fonctionnement et les raisons de ce choix éducatif sont aussi diverses : santé de l'enfant, phobie scolaire, insatisfaction du système traditionnel, élitisme, nomadisme... mais aussi pour de plus en plus de parents dont nous faisons partie, c'est le questionnement sur notre rôle de parent, et l'adoption, à la naissance même de l'enfant, ou bien en cours de route, d'une philosophie, d'un projet de vie, basé sur le partage de valeurs, de temps et d'exploration de la vie avec son enfant.

Je me suis découverte maman et n'ai pas pu m'imaginer reprendre le travail après la naissance de notre premier fils. J'avais un nouveau « métier » passionnant à plein-temps ! Ses phases d'éveil successives m'ont fascinées et j'ai eu envie de continuer à en être le témoin privilégié encore quelques années. Professeur des écoles de formation, je ne me voyais pas passer mes journées à m'occuper des enfants des autres et confier les miens à une autre personne, ça manquait de cohérence. Et puis pendant mes 4 années d'enseignement, j'ai expérimenté l'autre côté du décor et j'ai trouvé le cadre scolaire trop étriqué, trop frustrant. L'épanouissement individuel n'est pas au c?ur des programmes.

Après avoir fait tomber mon costume de maîtresse, j'ai lâché prise et me suis orientée vers le unschooling. C'est une approche informelle des apprentissages. C'est en fait la simple continuité du parentage, il n'y a pas un avant et un après les 3 mois ou les 3 ans de l'enfant. On poursuit notre route et on apprend côte à côte la vie dans la vie. Dans ce cadre, c'est l'enfant qui, porté par sa curiosité naturelle et dans un environnement stimulant et bienveillant, réalise ses apprentissages au gré de rencontres et d'envies, à son propre rythme. Cela demande une grande confiance en la capacité naturelle de l'enfant à apprendre. Mais on se rend vite compte qu'il n'est pas besoin de le forcer, que l'on n'apprend jamais aussi rapidement et bien que lorsque notre propre désir de savoir est le moteur.

Concrètement, qu'est-ce que cela implique au quotidien pour vos enfants ?
- Chez nous les enfants (et la maman !) se lèvent à l'heure qu'ils veulent, entre 7h30 et 9h selon les jours. Ils ont ainsi le nombre d'heures de sommeil dont ils ont besoin. On prend le temps de se réveiller devant un petit déjeuner, et on savoure ce qu'on mange. Chaque repas partagé est d'ailleurs un moment important d'échanges, les enfants sont particulièrement loquaces à ce moment-là ! Ils nous racontent des choses vues, entendues, lues, s'interrogent sur un sujet en particulier, font part d'une envie de bricolage... et voilà la journée lancée par une recherche sur les tortues des Galapagos ou la réalisation d'une fusée à propulsion hydraulique à partir de matériaux recyclés !

Chaque jour est différent, imprévu. Il n'y a pas de salle de classe ni d'horaire précis pour les apprentissages. Ils se font partout, tout le temps ! Ainsi, les enfants peuvent aussi bien passer la matinée à jouer ensemble, à inventer des histoires, comme me demander de les aider dans une recherche, un bricolage, ou encore participer aux tâches du quotidien qui sont aussi un apprentissage de la vie : courses, cuisine, ménage... Partant de leurs centres d'intérêt, il m'arrive aussi de leur proposer un jeu, une activité, de créer des supports d'apprentissage ludiques. Mais tout doit avoir du lien, du sens avec ce que nous vivons à ce moment-là, ça ne sort pas d'un chapeau !

Chaque semaine est rythmée par un certain nombre d'activités extérieures régulières qu'ils ont choisies. Cette année, c'est violon, batterie, danse, natation, sports collectifs et skateboard. Et nous gardons des plages horaires libres pour les sorties ponctuelles au musée, à la médiathèque, au théâtre, au parc ou chez les copains, scolarisés ou non.

Comme les enfants de leur âge, ils ont aussi une pause dessin animé/documentaire dans la journée (mais nous n'avons pas encore craqué pour la tablette, les boîtes de chaussures font encore des merveilles !). Notre emploi du temps est donc assez flexible, dépendant de nos envies, de la météo, des opportunités, de l'énergie.

Comment voyez vous les choses dans le futur pour eux ?
L'important pour moi concernant leur futur est de les amener à trouver la place qu'ils souhaitent occuper dans la société à travers un ou plusieurs métiers, des fonctions qui les animeront, leur permettront de vivre tout en continuant à se construire, à s'épanouir et apporter quelque chose de positif au monde. Dans cette quête, il est selon moi d'abord utile de les laisser vivre pleinement leur enfance, pour grandir en confiance, apprendre à se connaître, découvrir leurs possibilités, développer leurs talents et donner du sens à ce qu'ils font.

Nos enfants ont appris à marcher, manger, s'exprimer sous notre regard. Notre objectif est de continuer à les accompagner dans leurs apprentissages jusqu'à leur autonomie. Une fois que le langage, la lecture et l'écriture, sont acquis, ce sont toutes les portes de la connaissance qui s'ouvrent (livres, internet, formations sur le terrain ou online...) ; à eux ensuite de pousser ces portes et poursuivre leurs chemins!

Au-delà des connaissances et savoir-faire, nous essayons aussi d'instiller capacité de raisonnement et savoir-être dans notre éducation. L'obtention d'un diplôme, valorisé différemment selon les pays et à la cotation inconnue dans 20 ans, n'est pas un passage obligé à préparer sur une chaise dès l'âge de 3 ans ! En temps voulu, quand chacun aura trouvé la voie qui lui plaît, le diplôme sera peut-être la clef nécessaire pour y accéder. Alors nous leur donnerons / ils se donneront les moyens de l'obtenir parce que cela aura du sens et qu'il y aura une motivation personnelle derrière. Je suis assez confiante après avoir lu Libres enfants de Summerhill, d'Alexander S. Neill, ainsi que de nombreux témoignages de homeschoolers s'étant réalisés dans des domaines aussi variés que les arts, les sciences et technologies, le sport ou la littérature.  

Quels sont les bienfaits et les avantages de votre démarche ?
- Le principal bienfait est le respect du rythme, des intérêts et de la personnalité de chacun de nos enfants. C'est une éducation individuelle, taillée sur-mesure ! C'est aussi profiter d'être ensemble, se faire grandir et s'enrichir mutuellement.  Car il n'y a pas que l'enfant qui apprenne chaque jour, le parent lui aussi, porté par l'enthousiasme de l'enfant, retrouve sa curiosité et sa joie d'apprendre (je suis devenue assez bonne en dinosaures et en cétacés !).

C'est pouvoir voyager en-dehors des foules, partir et revenir quand on veut, sans avoir à se justifier. Le voyage est notre seconde maison et un si riche terreau pour les apprentissages ! C'est aussi déménager quand on veut, sans être lié à un calendrier, et choisir sa maison en fonction de ses goûts, plutôt que par rapport à la proximité de l'école dans laquelle son enfant sera potentiellement accepté. C'est d'ailleurs, pour des expatriés, économiser sur les frais exorbitants des écoles internationales et investir cet argent dans des sorties, des activités ou un logement un peu plus grand.

C'est guider son enfant dans la vie avec ses valeurs et se tenir à l'écart de certains maux de la société qui se propagent de plus en plus tôt dans les cours de récré : malbouffe, surenchère à la consommation (vêtements, jeux, gadgets), alcool, drogue, violence et  harcèlement (des pairs, des parents, des enseignants), ... Si l'école est le reflet de la société, alors nous la rejetons ! Et l'éducation que nous choisissons de donner est un engagement pour bâtir une autre société, pour et à travers nos enfants, citoyens de l'avenir.

C'est une démarche pour arrêter de courir, profiter de l'instant, prendre le temps de s'émerveiller de la vie, marcher vers ses rêves et avec un peu de recul, voir ce qui est vraiment important.

Quel est votre plus gros défi et les difficultés auxquelles vous êtes confrontée?
- Dans notre cas particulier, les difficultés sont plutôt liées à notre mobilité. C'est à chaque déménagement retisser son réseau social, trouver des activités, des associations de familles, des personnes avec les mêmes affinités... Ce n'est pas évident. Pour cela, heureusement, internet est là. Mais cela demande quand même de l'énergie.

Aussi il nous faut pallier à l'absence de la famille, et notamment d'une grand-mère pour garder les enfants de temps en temps. Il est important de recruter une baby-sitter pour pouvoir équilibrer sa vie de famille entre moments avec les enfants, travail, moments en couple et moments pour soi.

L'expatriation a cependant ce bon côté de nous permettre de vivre dans un confort matériel certain que nous n'avions pas en France avec un seul salaire. Cela fait partie des défis que rencontrent les familles pratiquant l'IEF. Mais pour ce que j'en lis, avec zéro, un ou deux salaires par foyer, elles arrivent toujours à s'arranger, vivant souvent avec débrouillardise et sobriété.

Côté législation, il faut aussi bien se renseigner car malgré la Déclaration qui nous garantit la liberté d'instruction de nos enfants, l'Instruction en Famille est selon les pays bien acceptée (USA, Angleterre), tolérée (France, Belgique), ou interdite (Allemagne, Suède). Ainsi les familles sont tantôt libres dans leurs choix éducatifs, tantôt contrôlées et ont, de ce fait, une marge de man?uvre plus réduite. A Singapour, les Singapouriens doivent demander une autorisation au Ministère, suivre un curriculum et passer des tests. Les expatriés, eux, sont complètement ignorés, ce qui nous va parfaitement bien ! En France, il nous faudrait déclarer à la mairie et à l'Education Nationale notre choix de non-scolariser nos enfants, ce qui impliquerait un contrôle annuel de l'âge de 6 à 16 ans (tranche où l'instruction est obligatoire, pas l'école comme on le confond souvent).

Le plus pénible lorsque l'on démarre l'IEF, ce sont les réflexions négatives basées sur des a priori. Peu de gens ont déjà rencontré des homeschoolers  (certains découvrent même le concept) mais il existe tout un imaginaire à leur sujet : asociaux, coupés de la réalité, surprotégés, hippies, sectes, extrémistes religieux...  Il y a certainement de tout cela parmi les homeschoolers, comme  il y en a parmi les scolarisés, mais ils ne sont pas la majorité.

Le fait de faire différemment, d'oser refuser un modèle qui ne nous convient pas et de prendre autant de libertés avec les conventions,  déstabilise, gêne, confronte, culpabilise.  On se sent souvent au début agressé par les propos, et puis, avec le temps et la confiance grandissante, on ne le prend plus personnellement parce que nous savons ce que nous vivons et pourquoi nous le faisons ; nous savons aussi que ce n'est pas parfait mais que c'est ce qui nous correspond le mieux et ponctue notre vie de nombreux moments de bonheur.

Pour plus d'informations sur la démarche de Carine Biancardini, vous pouvez consulter son blog : Vis et Deviens - Vivre son enfance et enfanter sa vie

Propos recueillis par Raphaëlle CHOËL (www.lepetitjournal.com/singapour) mardi 2 décembre 2014

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Publié le 1 décembre 2014, mis à jour le 2 décembre 2014

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