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ART SOLIDAIRE – Eric Stocker, maitre laqueur au Cambodge

Écrit par Lepetitjournal Singapour
Publié le 14 décembre 2015, mis à jour le 2 décembre 2015

Maitre laqueur depuis 1974, le Français Eric Stocker est un artiste militant, engagé à la fois dans la défense et la promotion de l'art de la laque, en version naturelle, et dans l'économie solidaire. Depuis son arrivée au Cambodge, en 1998, dans le cadre d'une mission de l'Union Européenne, il n'a cessé de reconstituer le savoir faire traditionnel local pour le transmettre à de jeunes cambodgiens, parmi lesquels de jeunes sourds de l'Association Krousar Thmey. Une exposition à Singapour rend compte de l'étonnante modernité de ses créations. 

Longtemps Eric Stocker n'a connu l'Asie qu'à travers les laques dont, formé auprès de Pierre Bobot, il était devenu, en France, un expert reconnu. En 1998, il est envoyé au Cambodge pour former les jeunes Cambodgiens à l'art traditionnel de la laque. Sur place c'est cependant toute la filière qui s'est évanouie et qu'il va lui falloir patiemment reconstruire. Après avoir formé plusieurs centaines de jeunes Cambodgiens dans le cadre d'Artisans d'Angkor, il crée son propre atelier, Angkor Artwork, en 2008, avec son frère et un groupe de femmes cambodgiennes.  Il y pratique son art en version naturelle et accueille de nombreux apprentis dont la moitié est issue de Krousar Thmey, l'association fondée en 1991 au Cambodge par Benoît Duchâteau-Arminjon.  

Dans quel contexte êtes-vous venu au Cambodge ?

Eric Stocker - J'ai été envoyé au Cambodge dans le cadre d'une mission de l'Union Européenne en 1998. A l'époque, on considérait que les techniques de la laque dans le pays avaient été complètement perdues. Toute la filière était à recréer. Il s'agissait de retrouver les techniques et outils traditionnels, la pratique de la saignée, l'art de fabriquer les pinceaux? et pas seulement de former les jeunes.

Comment est extraite la matière première de la laque ?

- La laque naturelle est extraite, comme le caoutchouc, d'un arbre, le laquier, de la même famille que le manguier ou les noix de cajou. On fait sur le laquier une incision en V, dans laquelle on introduit une cannette de Bambou. Quand je suis arrivé au Cambodge, cette activité traditionnelle avait disparu. On ne savait plus saigner l'arbre. Aujourd'hui, en liaison avec Angkor Artwork, 6 familles exploitent le laquier, soit un ensemble de 150 arbres disséminés sur un vaste territoire, dont elles recueillent 3 à 5 g de sève par jour de juin à Décembre. Au total ,elles récoltent de l'ordre de 300 kg de sève par an. Une activité qui leur a permis de construire leur maison.

EXPOSITION ? De l'Ombre à la lumière

A partir du 13 novembre, jusqu'en juin 2016, la résidence de France à Singapour accueille une exposition qui rend hommage aux créations d'Eric Stocker et à son engagement solidaire, notamment en relation avec l'Association Krousar Thmey.

Les objets présentés ? bols, panneaux décoratifs, bouddhas?- témoignent des multiples techniques applicables dans le domaine de la laque, associée (quand elle est dite « amoureuse ») à des feuilles d'or, à des processus d'impression de motifs végétaux par oxydation ou à des coquilles d'?uf. Maitre laquier reconnu, Eric Stocker, en fait des créations très modernes qui jouent avec la souplesse ou la dureté des matières, le choix très « art déco » des motifs, et une très lumineuse palette de couleurs.

Au delà des ?uvres d'Eric Stocker, l'exposition met en valeur la filière traditionnelle de la laque au Cambodge, à laquelle le maitre laquier a su redonner ses plus belles lettres de noblesse, offrant aux jeunes qu'il forme, l'opportunité d'une activité de création artisanale de haut niveau, génératrice de revenus réguliers.

Benoît Duchâteau-Arminjon et Eric Stocker, photo Anne Valluy


De l'ombre à la lumière

L'Association Krousar Thmey, créée en 1991 par Benoît Duchâteau-Arminjon, a notamment lancé les premières écoles pour enfants aveugles du Cambodge et développé un programme d'éducation pour les enfants sourds. L'association a fait énormément changer le regard de la société, mais aussi des familles, sur le handicap, en misant sur l'intégration. Elle est particulièrement attentive à offrir à ses jeunes l'opportunité d'apprendre un métier qui leur permettra effectivement de trouver un emploi. Dans le cadre d'Angkor Artwork, de nombreux jeunes sourds sont sortis de l'Ombre, dans un pays qui les rejetait, grâce à la formation dont ils ont bénéficié auprès des frères Stocker. Ils donnent désormais la lumière aux ?uvres qu'ils créent. 9 jeunes de Krousar Thmey sont actuellement en cours d'apprentissage dans l'atelier d Angkor Artwork.

Mais l'utilisation de cette matière première naturelle est, semble-t-il, menacée ?

- La matière première naturelle est belle. Elle ne coûte pas cher et elle est bio. C'est une filière qui donne du travail à tout le monde. Le problème, c'est que la laque naturelle met beaucoup de temps à sécher. L'utilisation du vernis acrylique, qui est un dérivé du pétrole, est donc plus rentable. Par ailleurs, la différence entre un objet en laque naturelle ou en vernis acrylique est difficile à apprécier. C'est sur la durée et par sa souplesse d'utilisation que la laque naturelle fait toute la différence.

Comment avez-vous fait pour reconstruire le savoir faire disparu ?

- J'ai fait des recherches auprès des eaux et forêts. Un certain nombre de documents, datant du protectorat français, donnaient aussi des précisions importantes. Au Cambodge, pays où l'on utilisait la laque essentiellement pour des objets de la vie quotidienne, j'ai découvert des techniques que je n'avais jamais vues ailleurs. Les techniques dont témoignent les pièces présentées dans cette exposition (voir encadré) intègrent la feuille d'or, l'utilisation des coquilles d'?ufs, la toile laquée, les motifs végétaux imprimés par oxydation?. 

Combien de temps faut-il pour se former à l'art de la laque ?

- J'accueille dans mon atelier 19 jeunes en formation, dont 9 jeunes sourds de Krousar Thmey. Chacun apprend en compagnonnage avec un artisan expérimenté. L'apprentissage à proprement parler dure 3 ans, mais il faut 10 ans pour devenir maitre artisan. La bonne nouvelle, c'est que, au Cambodge les jeunes formés à l'art de la laque continuent à travailler dans ce métier, ce qui est beaucoup moins vrai au Vietnam ou en Thaïlande.

Propos recueillis par Bertrand Fouquoire (www.lepetitjournal.com/singapour) mardi 15 décembre 2015

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Lien vers précédent article (février 2014) sur Benoît Duchâteau-Arminjon - http://www.lepetitjournal.com/singapour/communaute/176709-benoit-duchateau-arminjon-la-folle-aventure-de-krousar-thmey

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Publié le 14 décembre 2015, mis à jour le 2 décembre 2015

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