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MERE TIGRE CHINOISE – Réalité ou cliché?

Écrit par Lepetitjournal Singapour
Publié le 26 avril 2011, mis à jour le 14 novembre 2012

Dans son livre best seller "L'hymne de bataille de la mère tigre" la sino-américaine Amy Chua vante les mérites de l'éducation à la Chinoise, telle qu'elle l'a appliquée à ses propres enfants. Cette mère tigre existe-t-elle réellement en Chine ou s'agit-il d'un cliché ? Article de notre édition de Shanghai

L'article d'Amy Chua dans le Wall Street Journal du 8 janvier a fait l'effet d'une bombe : 350.000 "Like" et 100.000 commentaires sur Facebook. Il faut dire que cette professeur de droit de l'Université de Yale joue largement la provoc' pour défendre une éducation de fer, éprouvée par ses deux filles dans un livre désormais best-seller : "Battle Hymn of the Tiger Mother" (Penguin Press).

Une tigresse de mère
Louisa et Sophia n'ont jamais été autorisées à dormir chez une copine, regarder la télé, jouer à des jeux électroniques, choisir leur activités extrascolaires, jouer d'un autre instrument que le violon ou le piano, avoir une note inférieure à A? L'énumération inquiète, mais la "mère-tigre" enfonce le couteau : "Même quand les parents occidentaux pensent qu'ils sont stricts, ils sont en général encore loin de rejoindre les mères chinoises sur ce plan. Par exemple, mes amis occidentaux font travailler leurs enfants sur leur instrument 30 minutes chaque jour, une heure tout au plus. Pour une mère chinoise, la première heure est la plus facile, c'est à la deuxième et à la troisième heure que les choses se compliquent."
A mille lieues de se demander si le fait de punir et d'humilier son enfant parce qu'il ne travaille pas assez pourrait saper sa confiance en lui, la maman chinoise estime que sa progéniture est bien assez forte pour digérer l'humiliation et rebondir pour s'améliorer. Tout un programme? Coachs au quotidien totalement investies dans la réussite scolaire de leurs têtes brunes, elles assumeraient, selon Amy Chua, un rôle que les parents occidentaux n'ont plus envie de tenir : là où ils abandonnent lâchement dès que l'enfant résiste un peu trop, les mamans chinoises continuent, harcèlent et ne lâchent rien.  De telles mères existent-elles vraiment ?

Confucius sors de ce corps !
C'est loin d'être un cliché pour Emilie Tran, professeur en management à l'Universté de Saint Joseph à Macao. "Cette mère-là existe, mais à des degrés divers de sévérité. D'origine cambodgienne chinoise, ma mère nous a élevés, mon frère et moi, comme l'a fait Amy Chua : pas de sortie, il fallait tout le temps être le premier de la classe, pas de temps pour les loisirs, etc." Difficile à accepter alors que les copains ne subissent pas la même pression pour réussir à l'école, mais les valeurs ont la dent dure, même et surtout quand on est loin : « la diaspora chinoise installée en terre d'immigration est encore plus poussée à mettre la pression sur les enfants. Le succès à l'école est perçu comme un signe d'intégration réussie dans la société d'accueil ". L'héritage du confucianisme n'est donc pas tout à fait mort, et quand l'enfant unique ne fait pas de prouesses, il est inscrit d'office à des cours de soutien les week-ends et les vacances.

A l'école des enfants-enregistreurs
Faut-il donc s'étonner que les écoliers de la ville de Shanghai obtiennent la première place mondiale dans toutes les matières au test Pisa de l'OCDE (Programme international pour le suivi des acquis des élèves, tests effectués dans 65 pays) ? Le bachotage est derrière tout ça. Emilie Tran confirme : "Dans un pays surpeuplé comme la République Populaire de Chine, il faut des critères "objectifs" pour évaluer la masse des élèves et des étudiants, et ces critères aujourd'hui sont uniquement axés sur des performances académiques et plus particulièrement du "appris par coeur"." Tandis que dans nos démocraties libérales les sciences sociales progressaient pour venir enrichir la pédagogie et la psychologie de l'enfant, la Chine cherchait le meilleur moyen de former des bêtes à concours. Un marathon qui commence dès la crèche selon l'enseignante : "pour ensuite intégrer la maternelle d'" élite", puis l'école primaire d'"élite". Le but étant qu'avec un tel parcours on parvienne à étudier dans une université d'élite si possible à l'étranger ou en Chine." La rédaction, la réflexion analytique et critique, si chères à l'école républicaine française est ici hors course : il faut développer la capacité à ingurgiter, mémoriser et réciter. "Deux approches pédagogiques fondamentalement différentes" pour Emilie Tran, qui pencherait plutôt pour que ce système ultra rigoureux revoie sa copie.

Une fabrique à "crétins d'excellence"
Quelle enfance pour ces têtes bien pleines ? Jusqu'à quel point cette obsession des études peut-elle devenir contre-productive ? Puisque la maman-tigre Amy Chua estime qu' "aucune activité n'est agréable tant qu'on ne devient pas bon dans celle-ci ", et qu'il faut donc faire travailler les enfants en ignorant leurs préférences, qu'advient-il lorsque Polo se révèle décidément nul en maths ou en clarinette ? Mieux ne vaut-il pas l'inscrire à la guitare ? A force de trop pérorer sur l'épanouissement des écoliers, sans doute certains parents occidentaux ont oublié de pousser leurs enfants au bout de leurs limites, mais le culte du A semble engendrer des générations de diplômés peu préparés à l'échec et à la remise en question. En 2009, le suicide est devenu la première cause de mortalité des étudiants chinois : pressurisés par leurs familles qui se sacrifient pour financer les études, dévalorisés par le système élitiste, ils perdent facilement pied lorsque le marché de l'emploi ne leur ouvre pas les bras.
Pour Eric Sautede, professeur en sciences politiques à l'Université Saint Joseph de Macao, "ce mode de réussite uniquement basé sur l'examen des connaissances" a ses limites, et de rappeler que les classes moyennes en Chine et au Japon sont parmi les plus malheureuses du monde. "D'ailleurs le Japon en revient, parce que c'est une fabrique à crétins d'excellence, ajoute-t-il. Le défi de nos sociétés contemporaines, c'est l'innovation, pas la reproduction." Même diagnostic pour Emilie Tran, qui souligne l'importance de la personnalité, de la créativité et des capacités d'adaptation dans le milieu professionnel. Mais "dans un pays autoritaire à parti unique où l'on emprisonne les dissidents, dit-elle, le système scolaire n'a peut-être pas pour but de former des esprits libres et indépendants?"

Au-delà des valeurs traditionnelles toujours prégnantes, les faits
Il y a aussi selon Eric Sautede des « faits bien tangibles qui expliquent la permanence de la course à la réussite aux examens en monde chinois : d'une part le manque de places disponibles en université par rapport au nombre total d'élèves dans le secondaire, en Chine, mais aussi à Taiwan, Hong Kong (20,000 élèves restent sur le carreau tous les étés?) et Macao ; et d'autre part en Chine, la politique de l'enfant unique couplée à l'absence d'un système de retraites viable. »
Dans ce contexte, « un enfant, son seul enfant, passe de l'état de "petit empereur" au statut d'assurance retraite? d'où également la pression familiale à la réussite dans les filières qui rapportent plus que dans celles qui épanouissent? ». Louisa et Sophia pourront ainsi toujours attendre pour apprendre la souplesse et la spontanéité : maman tigre leur interdit formellement de jouer dans la pièce de théâtre de l'école.

Laurence Huret (www.lepetitjournal.com-Shanghai) mardi 26 avril 2011

Article écrit en collaboration avec www.terrafemina.com

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Publié le 26 avril 2011, mis à jour le 14 novembre 2012

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