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Hu Die, le papillon de Shanghai

Partez à la découverte de Hu Dié, l'une des plus grandes actrices du cinéma shanghaïen des années 1930. Plongée au coeur du Hollywood de l'Orient !

hu diehu die
Écrit par Didier Pujol
Publié le 12 août 2025, mis à jour le 3 septembre 2025

Une image de magazine de cinéma

En parcourant les pages du superbe livre de Lynn Pan "Shanghai Style", je suis tombé sur une photo représentant une jeune fille assise posant devant la calandre d'une magnifique voiture des années 1930. Elle est splendide et regarde le photographe droit dans les yeux. Sa tenue est européenne et ses cheveux ondulés bien qu'il s'agisse d'une asiatique. Elle porte des bottes en cuir à la manière d'une aristocrate anglaise revenant d'une chasse au renard. Cette photo est celle de Hu Die, l'une des plus grandes actrices du cinéma shanghaïen des années 1930!

Hu Die ("papillon" en chinois), ou Hu Ruihua de son vrai nom, est née à Shanghai en 1907 dans une famille mandchoue. Pour cette raison, elle a toujours parlé un mandarin parfait, ce qui lui a servi lorsque le cinéma est devenu parlant. Dans sa jeunesse, elle accompagne son père dans plusieurs villes du nord de La Chine, du fait de ses activités de commerçant puis d'inspecteur des Chemins de Fer. Lorsqu'ils reviennent à Shanghai en 1924, elle s'inscrit à la toute première école de cinéma chinoise dont elle devient la première élève. Elle ne tardera pas à participer à son premier tournage dans un film intitulé "Réussite", un nom prédestiné dans son cas!

 

voiture

 

Femmes modernes dans le Shanghai 1930

À cette époque, l'industrie du cinéma est florissante à Shanghai. Le premier film, un opéra chinois, a été tourné en Chine en 1896, soit un an seulement après la première représentation des frères Lumière à Paris. Néanmoins, ce n'est qu'à partir de 1916 que le cinéma shanghaien se développe, lorsque des opérateurs et techniciens chinois sont formés par des réalisateurs américains. Au début des années 1920, la plupart des films ont pour thème la vie à Shanghai. C'est la première fois que le cinéma est utilisé pour faire l'apologie d'un nouveau mode de vie et de la modernité. Les actrices sont associées au concept de "modeng nü", traduction phonétique du mot anglais "modern".

Elles portent des qipaos, la robe traditionnelle chinoise, raccourcie pour l'occasion et plus sexy que le modèle initial. Une presse spécialisée voit le jour, qui utilise l'image des stars de cinéma sur leurs couvertures, souvent associée à un lettrage et une mise en page de style Art-Deco, autre symbole de modernité. La presse chinoise utilisera par la suite ces mêmes images dans le milieu des années 1930 pour dénoncer les mauvais effets de la modernité comme la prostitution et la recherche de plaisirs faciles, sous l'influence du mouvement New Life de Chiang Kai Shek.

 

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Ruan Lingyu, l'autre star de l'époque

 

Une étoile est née

En 1928, Hu Die est engagée par les célèbres studios Mingxing et reçoit un salaire mensuel de 1000 dollars, une somme considérable pour l'époque. Elle joue dans "La Pagode des Nuages Blancs" et se lie d'amitié avec une autre actrice célèbre de ces années Ruan Lingyu. Elle tient le rôle principal dans le premier film sonore du cinéma Chinois intitulé "La Sing-Song Girl à la Pivoine Rouge". Mais c'est avec le rôle de la fille en rouge dans le film "L'incendie du Temple du Lotus Rouge", un des tous premiers films d'arts martiaux qu'elle atteint la gloire en 1928! L'année précédente, un jury de lecteurs du journal Star Daily (明星日报) lui décerne déjà le titre de "Reine du Cinéma Chinois". En 1934 elle interprète un double rôle de deux jumelles à la personnalité différente dans "Les Sœurs Jumelles". En 1935, elle participe à une grande tournée Européenne aux côtés de l'acteur d'Opera Mei Lafang, au cours de laquelle elle rencontre Charlie Chaplin. 

Sa renommée incomparable lui vaut d'être le sujet d'attention de la toute nouvelle presse à scandale qui rend pratiquement impossible pour les vedettes de garder le secret sur leur vie privée. En 1931 par exemple, des rumeurs courent sur le fait qu'elle aurait passer la soirée à danser avec le dandy et seigneur de la guerre Zhang Xueliang, empêchant du même coup celui-ci d'intervenir face aux Japonais lors de l'Incident de Mukden. Elle doit alors acheter des pages dans le journal shanghaïen Shenbao pour tenter de couper court aux spéculations.

À la fin de cette année, c'est son mariage avec Pan Yousheng, employé d'une maison de commerce qui fera la une, commentant la cérémonie à laquelle participent de nombreuses célébrités du monde du cinéma. En 1935 également, cette même presse sera associée à la fin tragique de son amie Ruan Lingyu âgée de seulement 24 ans. Celle-ci noue alors une relation scandaleuse avec le marchand de thé cantonnais Tang Jishan qui se solde par le suicide (selon la version officielle) de la jeune actrice, accompagné d'un essai accusateur intitulé "La rumeur est une chose terrible".

 

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Le dancing Paramount encore visible à Shanghai

 

Star system et publicité

Hu Die est probablement l'un des tous premiers exemples de l'utilisation massive de l'image des vedettes de cinéma à des fins commerciales. Pour les amateurs de souvenirs de cette époque, on trouve encore en grand nombre les publicités pour du savon (Lux), des grands magasins (Sincere) ou des cigarettes (Miss Butterfly) à l'effigie de Hu Die. À un moment également, ce sont les salles de bal shanghaiennes qui payaient l'actrice pour participer à leurs soirées et valoriser ainsi leur image. Le Paramount, près de Bubbling Well Road ou le Casanova, sur l'Avenue Édouard VII, étaient reputés pour accueillir des stars de cinéma. Les magazines contribuaient aussi à créer une image attirante de la vie des stars. Rien d'étonnant donc à ce que je sois tombé sous le charme de la photo de Hu Die assise devant une voiture de luxe. Aujourd'hui encore, les professionnels de la publicité s'accordent sur le fait que le Shanghai des années 1930 a été un terrain d'expérience pour la plupart des techniques modernes de promotion comme l'utilisation des néons et le crédit à la consommation.

Lorsque la guerre avec le Japon éclate en 1937, Hu Die et son mari choisissent  l'exil à Hong Kong. Le couple y aura un fils et une fille. En 1941, les Japonais envahissent aussi Hong Kong et demandent à l'actrice de tourner pour la propagande, ce qu'elle refuse. Elle rejoint alors en cachette Chongqing, la capitale de guerre chinoise, lors d'un voyage pénible qui lui prend deux ans. Là, elle rencontrera Dai Li, le Chef des Services Secrets de Chiang Kai Shek, avec lequel elle aura une liaison. En 1946, elle reviendra à Hong Kong pour aider l'entreprise de son mari jusqu'à la mort de celui-ci en 1955. Elle arrête définitivement le cinéma en 1966, se marie à nouveau puis rejoint en 1975 son fils à Vancouver, au Canada,  Elle y mène jusqu'à la fin de sa vie en 1989 une existence discrète sous le nom de Pan Boajuan, sans aucune publicité ni référence à sa gloire passée.

 

Le grand theatre
Le Grand Théatre, encore un cinéma aujourd'hui

 

Quelles traces restent de cette époque ?

Lorsque l'on visite Shanghai aujourd'huI, il est encore possible de se faire une idée des fastes des années d'or du cinéma shanghaïen. En effet, il y a encore de nombreux cinémas Art Deco témoins de l'industrie du divertissement des années 1930. Certains ont été rénovés comme le Cathay sur Huaihai Middle Road, le Grand Theatre, sur la Place du Peuple, le Majestic, au nord de Nanjing West Road ou le Huangpu Theatre sur Beijing East Road. D'autres ont été transformés comme le Lafayette sur Fuxing East Road (station de métro), le Nanking Theatre (Shanghai Concert Hall) ou le Capitole sur Sichuan Road (bureaux). Enfin, il en existe dans leur condition d'origine (ou presque), comme le Metropole sur Xizang Road, le Chekiang sur Zhejiang Road ou le Strand sur Ningbo Road, permettant au rêveur un voyage dans le temps.

Dans le domaine de la production de films, Shanghai est revenue sur le devant de la scène après plusieurs décennies de domination du cinéma hongkongais. Des réalisateurs comme Ang Lee tournent désormais en Chine continentale dans les décors  des Shanghai Film Studios, comme pour Lust Caution, adaptation du roman de Zhang Aileen. Une occasion de nous rappeler la gloire passée de stars comme Hu Die.

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