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PORTRAIT D'EXPAT - Laure-Anne, L’accomplissement par la création

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Écrit par Caroline Boudehen
Publié le 19 mai 2019, mis à jour le 19 mai 2019

Jeune trentenaire d’origine parisienne, Laure-Anne a eu un coup de foudre pour la Chine en 2008, qui l’a mené, une dizaine d’années plus tard, à Shanghai, où elle a lancé French Dragon, son propre studio de création dédié à l’art de vivre. Si aujourd’hui tout semble avoir coulé de source, son parcours n’a pourtant pas été linéaire… En effet, si la jeune entrepreneuse « artiste à 1000 % » comme elle aime à se définir, a toujours eu la fibre créative en elle, elle ne s’y est adonnée qu’après avoir accompli un cursus en école de commerce et pourvu un poste en entreprise. En 2016, la découverte de la céramique est une révélation : sa pratique devient alors son moyen d’expression privilégié… Mais pas exclusif. Rencontre avec une shanghaienne de cœur pétillante, dont la fougue a trouvé refuge dans la soif de création.

 

Le Petit Journal Shanghai : La création de French Dragon est le fruit d’un long cheminement : qu’est ce qui t’a conduite en Chine, et surtout, à la céramique ?

Laure-Anne : C’est une très belle – et réelle ! – histoire. J’avais 19 ans et j’étais en première année d’école de commerce à Paris lorsque j’ai eu l’opportunité complètement dingue d’aller faire un stage à Pékin pendant les Jeux Olympiques (de 2008 NDRL). Il y a 11 ans maintenant… A l’époque j’étais une petite parisienne qui n‘était jamais vraiment sortie de sa ville, et plutôt timide. Je n’étais sincèrement pas ouverte sur le monde et encore moins aventurière ! Quand je suis arrivée à Pékin, j’ai eu un vrai coup de foudre… C’est un des plus grands moments de révélation et d’émotions de ma vie. Je me souviens d’avoir survolé cette ville en avion, et d’avoir ressenti un truc incroyable… C’est comme si mon cerveau s’était déplié, je me suis rendu compte de la possibilité d’existence de la grandeur… Je garde un souvenir extraordinaire de la cérémonie d’ouverture des Jeux, de ces milliers de Chinois en transe, en train de scander « Zhongguo » … J’en ai pleuré d’émotion ! Alors, lorsque j’ai quitté Pékin, je me suis dit : « Je veux faire ma vie en Chine ».

Concernant la céramique… J’ai toujours eu un profil, un élan naturel créatif - pourtant il n’y a aucun artiste dans ma famille, qui est au contraire très "business corporate". En revanche, j’ai eu la chance d’avoir une grand-mère ayant travaillé plusieurs années comme styliste-tailleur pour le Printemps à Paris. Elle avait un coup de crayon assez extraordinaire : c’est elle qui a commencé à m’apprendre à dessiner. Lorsque j’étais lycéenne, j’ai suivi des cours extrascolaires au Carrousel du Louvre, à Penninghen... J’étais bien décidée à faire des études d’art ! Mais mes parents n’ont pas été de cet avis... et j’ai donc intégré une classe préparatoire.

A la fin de cette première étape, je ne voulais qu’une chose, partir en Chine : j’ai donc choisi une école de commerce avec un campus à Suzhou. L’école proposait un master "Luxury and Fashion Management" - c’est le penchant le plus créatif qui puisse exister dans une école de commerce ! Lorsque j’ai obtenu mon diplôme, j’avais bien sûr toujours en tête de travailler dans la création, et j’ai fait mon entrée dans la vie professionnelle comme planner stratégique en agence de design, métier qui me correspondait plutôt bien. J’ai été recrutée dans une agence française à Shanghai juste après mes études (le dernier jour pour être précise !). Dans ce métier, tu as un pied dans la stratégie, un pied dans la créa. J’ai beaucoup travaillé aux côtés des designers… Et puis, après 4 ans à ce poste, j’ai sauté le pas : accompagner les créateurs n’était plus suffisant.

 

Mais pourquoi avoir choisi la céramique en particulier ?

En fait, c’est au moment où j’ai découvert les métiers d’arts, qui nécessitent, pour les exercer, d’être précis, manuel, consciencieux et créatif… Tout moi ! J’aimais beaucoup l’association de la technique à la créativité. J’ai d’abord hésité entre bijouterie, design textile et céramique. J’avais fait un stage chez le bijoutier qui crée les bijoux fantaisies de Lanvin, Chanel, Balenciaga, etc. et j’avais trouvé ça extraordinaire ! Mais ne portant moi-même pas de bijoux, je ne l’ai pas retenu dans mon choix. Le design textile, je trouvais cela plus compétitif mais aussi plus accessible et j’ai pensé qu’il me serait possible d’être autodidacte dans ce domaine. Je me suis alors penchée sur la céramique, en me renseignant, en regardant beaucoup de vidéos…

J’ai découvert un univers en pleine transformation, qui passait d’un statut un peu « old school » à quelque chose de très valorisé, de précieux. Ça m’a beaucoup plu. J’ai trouvé un atelier dans le centre de Shanghai et j’ai commencé à y prendre des cours… Et j’ai vite laissé tomber tout le reste pour ne me consacrer qu’à ça ! En 2017 j’ai commencé à vendre mes pièces, un vrai succès : ça m’a beaucoup rassuré sur le fait qu’il était possible d’en vivre, que mes designs trouvaient un écho. J’ai pris mon courage à deux mains : j’ai créé ma marque et j’ai investi dans une école. La céramique est une pratique extrêmement technique, ça ne s’improvise pas. De mai à novembre 2018 j’ai donc été suivre un enseignement dans une école à Paris - « Art et technique céramique » - dans le 12ème. Pour moi c’était plus simple d’apprendre dans ma langue maternelle, étant donnée la complexité des techniques… et je voulais bénéficier de « l’excellence à la française » !

 

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Tu crées des tasses, des mugs, des vases… Combien de collections as-tu développé ? Quelles variétés de terres, quels coloris utilises-tu ? Comment procèdes-tu ?

J’ai commencé en apprenant avec du grès, qui est une terre un peu plus facile à tourner. J’ai ensuite eu la chance, à l’école, d’avoir un professeur, un excellent tourneur, qui a développé une technique particulière de tournage qu’il appelle « minimaliste et efficace », spécialisée pour les gros poids et la porcelaine. La porcelaine est une terre très capricieuse, on ne peut pas la tourner trop longtemps, sinon elle s’effondre... Il faut donc exécuter très peu de gestes, et ceux-ci doivent être infaillibles. C’est à travers cet enseignement que la porcelaine m’est devenue accessible, avant je n’avais pas le niveau. Et je voulais absolument tourner une terre qui se livre comme une feuille blanche, parce que j’adore dessiner - les couleurs, la peinture me sont essentielles. Je considère la céramique comme un médium d’expression visuel. C’est une forme… mais avant tout un moyen d’expression. Le sentiment d’avoir une page blanche face à moi… C’est indispensable. Je travaille d’ailleurs exclusivement la porcelaine : la « pure white », qui vient de Jingdezhen, et une autre, de couleur grège. Ça me permet d’avoir une palette de blancs intéressante et qui correspond à la diversité des goûts de mes client.e.s.

Je dessine beaucoup avant de tourner. En fait… Je dessine tout le temps ! Céramiste est un métier à temps long : il faut être calme, détendu, prendre son temps. Mes créations reflètent ce temps : je ne veux pas créer de collection par saisonnalité, mais créer des essentiels, que l’on peut garder pour la vie, comme souvenirs de Shanghai, et dans une optique de consommation raisonnée. Ce sont les client.e.s qui, en achetant mes réalisations petit à petit, vont élaborer leur propre collection.

 

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Quelles ont été tes premières créations ?

Le vase nuage, en relief. C’est une très belle technique, un peu secrète, que j’ai apprise à l’école… Et je l’‘ai tout de suite mise en œuvre avec le dessin des nuages chinois. Et ça a vraiment bien marché ! Ensuite, j’ai réalisé les petites tasses « Nihao » « Keyi » « Jiayou » « Chi Fan ».

 

C’est un domaine où la concurrence semble rude, surtout en Chine. Comment te démarques-tu ?

Ma volonté avec French Dragon était de créer des essentiels en porcelaine avec un vrai twist contemporain, cool et « trendy » … Je joue avec les deux codes de la porcelaine chinoise qui sont la couleur très blanche et le bleu de cobalt, d’une façon complètement détournée et qui s’adapte à un intérieur moderne. Je propose aussi de personnaliser mes créations, c’est une idée qui plaît beaucoup !

 

Tu travailles dans un atelier à Shanghai mais aussi à Jingdezhen. Ce sont deux ambiances différentes j’imagine…

Absolument. A Shanghai, on a la chance d’avoir un co-working de céramistes, c’est un concept qui se développe de plus en plus dans le monde, en Angleterre, aux États-Unis… En revanche, en France, ça n’existe pas. Ce lieu - le Pottery Workshop - accueille des artistes de toutes nationalités en résidence, dont je fais partie, mais c’est également un lieu où chacun.e peut venir prendre des cours, pratiquer, etc. Ce lieu est ouvert 7j/7 et de 9h à 21h… C’est top car la céramique demande une grande exigence en termes de temps. Les réalisations sont comme des bébés : il faut les couver, vérifier que tout se passe bien… Il y a une super ambiance, avec beaucoup de personnalités, d’artistes, des gens qui vont et viennent, un super management.

A Jingdezhen, il y a aussi un Pottery Workshop, il est immense et magnifique… Très inspirant. Jingdezhen est la ville ancestrale de la porcelaine : c’est donc une immersion totale. Tous les gens y sont pour faire de la céramique : tu vis, respires, manges, dors céramique ! Les fours sont gigantesques, allumés 24h, c’est plus rapide qu’ailleurs, il n’y a qu’une seule cuisson au lieu de deux, ça change tout le processus. Il y a des facilités pour l’émaillage aussi, des personnes le font pour toi, ton temps de production est beaucoup plus rapide : 7 à 10 jours suffisent pour réaliser une production alors qu’à l’atelier, à Shanghai, il faut au minimum compter 3 semaines…

 

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Quelles sont tes sources d’inspiration ?

Tout m’inspire ! Dans mon esprit, c’est un vrai chaos créatif, que tous les jours je vais réorganiser… J’ai des idées qui fusent toute la journée, qui viennent d’Instagram, de livres, de la rue, de podcasts, des clients, etc… Des choses emmagasinées depuis longtemps aussi, qui ressurgissent… Mon imaginaire se tisse depuis très longtemps, je ne pouvais pas le mettre en œuvre avant d’avoir appris à tourner la porcelaine, et c’est pour cette raison qu’aujourd’hui cela se fait plutôt naturellement.

 

Des mentors ?

Picasso ! J’ai lu énormément livres de lui. J’aime aussi India Mahdavi, cette grande designer, d’objets et de lieux exceptionnels (le restaurant Le Sketch à Londres, NDLR), son univers… C’est une artiste complète, qui a une maîtrise exceptionnelle des couleurs et des échelles.

 

Tu t’es également lancée récemment dans le textile, pourquoi ?

Le textile est présent depuis toujours dans ma vie, notamment via ma grand-mère. D’ailleurs plus jeune, lorsque je dessinais, c’était de la mode, je cousais aussi beaucoup – dès l’âge de 8 ans. Quand j’étais petite, je rêvais même de travailler dans le monde de la haute couture. Alors, lorsque je suis tombée sur ces tissus shanghaiens, que je trouve magnifiques, j’ai décidé d’en fabriquer des coussins. Ces tons bleus, blancs… les nombreux patterns… J’adore ! Ça dynamise ma collection de céramiques. J’ai également intégré un petit bouton en porcelaine sur chacun pour créer un lien.

 

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Ça ouvre la route à une marque plus globale d’art de vivre…

Tout à fait, je vais également lancer des luminaires, avec pieds en céramique et des abat-jours en tissu… et j’ai pour projet de développer une gamme de papeterie avec des aquarelles. Ce n’est que le début ! Je voudrais réussir à mettre en place un processus de production pour French Dragon, pour faire grandir la marque et me libérer du temps pour peindre et sculpter.

 

Tu vis à Shanghai depuis 2010, as-tu des lieux de prédilection, des habitudes auxquelles tu es particulièrement attachée ?

Oui bien sûr ! Le matin vous me trouverez en train de dessiner chez Pain Chaud sur Yongkang Lu. Quand il fait beau, j’aime beaucoup déjeuner dans le parc de Xiangyang Lu et le soir, je vais régulièrement chez Z&B Fitness (Changle Lu) ma salle de sport favorite ! C’est très important dans mon métier d’être en bonne forme physique, et de porter une attention particulière à la posture de son dos. Il faut le muscler, ainsi que les bras et les abdos... Le tournage est une pratique exigeante. Alors je fais beaucoup de sport, et cette salle a un côté magique : au 14ème étage, dotée d’une immense baie vitrée... la vue est imprenable, surtout la nuit tombée.

 

Pour plus d'informations : 

- Contact WeChat :

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- Instagram : french_dragon

 

Caroline Boudehen Le Petit Journal Shanghai
Publié le 19 mai 2019, mis à jour le 19 mai 2019

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