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RENCONTRE – L’archéologie humaniste de Vhils

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Écrit par Caroline Boudehen
Publié le 14 avril 2019, mis à jour le 14 avril 2019

Le street-artiste portugais Alexandre Farto – allias Vhils – est de retour à Shanghai. Après être intervenu au cours des dernières années sur plusieurs murs de la ville, ainsi qu’à Pékin, il regroupe aujourd’hui dans une exposition personnelle les œuvres réalisées au cours de ses séjours en Chine, pays qui l’inspire particulièrement.

En fouillant et sculptant les surfaces - murs de pierres, de béton, plaques de plâtre, résidus de chantier - Vhils travaille les villes au corps. Inspirés par les habitants, les scènes quotidiennes qu’il observe, les rythmes dans lesquels il s’immerge, l’artiste capture, à travers les portraits qu’il façonne, le visage d’une communauté.

 

Le Petit Journal Shanghai: Comme beaucoup d’artistes – notamment issus de la scène street-art, tu as choisi un nom original pour t’identifier… « Vhils » a-t-il un sens particulier ?

Vhils : Ce choix n’a pas vraiment d’histoire, ni de signification précise. A l’époque où j’ai pris ce nom, j’étais graffeur. J’ai choisi ces cinq lettres… par hasard à vrai dire ! C’est ensuite devenu mon surnom. Et il n’a aucune signification, dans aucun langage… Je l’ai trouvé simple, à prononcer et à se rappeler…

 

Lorsque tu as commencé à créer, c’était principalement via la peinture et le graffiti. Aujourd’hui tu sculptes des bas-reliefs, selon un style qui t’es propre. Pourquoi avoir pris cette orientation dans ta pratique, qu’est-ce qui t’a poussé à développer cette technique particulière ?

Ça a été un long voyage. A la base, je peignais dans la rue, j’ai commencé très jeune, à l’âge de 13 ans. Dans le monde du street-art, beaucoup d’artistes cherche à ajouter « quelque chose », dans la manière de peindre ou de s’approprier l’espace urbain. Pourquoi toujours vouloir « ajouter » ? J’ai voulu agir différemment, et j’ai donc commencé à travailler directement le mur. Et ainsi, au lieu d’y ajouter des éléments… j’ai extrait des morceaux. L’acte de destruction est devenu un acte de création. Je suis marqué par mes origines, je viens de Lisbonne, et cette ville a une histoire très particulière avec les murs et son espace public. Le mouvement muraliste, les événements politiques dans les années 1970, etc. ont poussé les gens à utiliser l’espace urbain pour s’exprimer. Aujourd’hui, dans le monde entier, la vie va de plus en plus vite, les changements s’opèrent de manière extrêmement rapide, surtout ces 20 dernières années – c’est d’autant plus visible en Chine ! – et je trouve que les gens sont totalement pris dans ce mouvement. Ils sont par conséquent moins attentifs à certaines choses… J’aime l’idée que mon travail autour de la ville - ses murs, ses portes, ses habitants, etc. - capture et réactive un moment précis de celle-ci. Mon but est d’interpeller les gens, pris dans le flot, dans la routine… Je voudrais leur faire prendre conscience d’un moment.

C’est aussi pour ça que l’idée de sculpter des portraits dans l’espace urbain a toujours été présente : c’est la représentation d’une identité, celle des gens qui vivent dans la ville aujourd’hui… Je cherche à refléter cette identité commune.

 

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Les portraits que tu réalises sont-ils d’après modèles ? S’agit-il de personnes réelles ?

En réalité, c’est un mix. Je voyage dans la ville, je m’inspire, je regarde et je dessine beaucoup : les scènes, les gens, les rues… Je réalise des croquis et aussi beaucoup de films pour mes projets. J’essaie de capturer la ville dans son instantanéité. Je fais donc beaucoup de recherches. Parfois, je vais aussi sur les marchés aux puces, pour trouver de vieilles photos… Je veux creuser un maximum et trouver le plus d’identités possibles. Il y a aussi cette idée de révéler une communauté à travers les éléments que les gens ne veulent plus, ou qui ne sont plus utilisés. Les vieux murs, les anciennes portes… J’essaie de créer un témoignage de la ville et ses habitants.

 

Tu sembles avoir un lien privilégié avec Pékin et Shanghai. A quel moment as-tu commencé à venir en Chine et à travailler ici ?

Je suis venu pour la première fois en 2012. J’ai donc commencé mes recherches il y a 7 ans, avec Magda (Danysz)*, pour ma première exposition à Shanghai, dans ses anciens locaux sur Linqing Lu. Ce fut une expérience très émouvante pour moi. Depuis, je suis retourné de nombreuses fois en Chine. J’ai toujours été intrigué par la vitesse du changement ici, comment les personnes s’y adaptent… C’est vraiment intéressant d’observer ces impacts, ce mouvement… capturer ce moment spécial.

C’est la raison pour laquelle j’ai commencé ce projet « Imprints » à Pékin, puis à Shanghai… et j’espère pouvoir le poursuivre dans d’autres villes.

 

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Qu'est-ce que cette exposition signifie pour toi ?

Les œuvres rassemblées ici, mes “imprints”, sont issues des différents endroits où j’ai travaillé jusqu’ici : Pékin et Shanghai. L’idée est de continuer à faire voyager ces œuvres, en y ajoutant à chaque fois de nouvelles créations, inspirées des villes où se déroulera l’exposition. Le cœur du projet est d’imprimer un moment, enfin de saisir l’essence et mettre en lumière une communauté à travers ce moment. C’est l’enjeu de « Realm ».

 

Comment travailles-tu pour une exposition « en intérieur » ? Que penses-tu du street-art en musée ou en galerie ?

J'ai réalisé beaucoup de projets dans des musées ou des galeries, ainsi qu'en plein air (7 ou 8 murs à Shanghai). Pour moi, travailler à l'intérieur ou à l'extérieur c’est identique. Si vous pouvez faire quelque chose d'illégal, vous pouvez aussi faire quelque chose de légal ! Je pense que ce n’est pas vraiment le propos pour un artiste contemporain…Quand un artiste se met à créer dans l’espace public, les gens trouvent ça normal, mais quand un street-artiste expose en galerie, c’est un événement. Je n’y crois pas. Dans mon travail je puise mon inspiration depuis la ville, de ses matériaux de construction, des éléments qu’elle délaisse… D'une certaine manière, quand je travaille pour une exposition en galerie ou en musée, j'apporte la ville à l'intérieur, et lorsque je travaille dans la ville, à l'extérieur, c’est ma vision, mon geste que j’intègre à la ville. Les deux pratiques ont donc du sens, et je suis d’ailleurs très à l'aise dans les deux cas. C’est un hommage que je rends, et j’essaie d’y attirer l’attention des gens.

 

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Un de tes premiers mentors fut Banksy… Y-en-a-t-il d’autres ?

Tellement ! Banksy m’a réellement influencé à mes débuts et il m'a beaucoup aidé dans ma carrière. Mais j’admire aussi beaucoup Gordon Matta-Clark, un artiste des années 1970, sa réflexion et son action dans l’architecture, un véritable avant-gardiste ! JR, Invader, Katarina Grosse font aussi partie de mes références… Mais il y en a tant d’autres, je ne peux pas tous les citer !

 

Quelle est ta vision de Shanghai ? As-tu des endroits où tu aimes passer du temps ?

Je suis très attaché à Linqing Lu. C’est le premier endroit où j’ai exposé en Chine, mais c’est aussi un quartier qui évolue sans cesse, et vite … comme tout ! L’ex-concession française bien sûr, le Bund… Ce sont des lieux touristiques mais je les adore. Les endroits où vous pouvez sentir le temps qui passe, l’histoire. J’aime aussi visiter les petites galeries, les ateliers d’artiste comme à Moganshan Lu. Shanghai est une ville si intense, si vibrante. Les gens ici aiment et croient vraiment en ce qu’ils font, c’est très rare de voir ça. Ça me fascine.

 

*Vhils a exposé pour la première fois à la galerie Magda Danysz en 2012, dans les anciens locaux au 188 Linqing Lu

Retrouvez les oeuvres de Vhils à Shanghai : “Realm” VHILS à la Galerie Danysz du 23 mars au 25 mai

 

Caroline Boudehen Le Petit Journal Shanghai
Publié le 14 avril 2019, mis à jour le 14 avril 2019

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