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Isabelle Huppert se met à nu à Shanghai !

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Écrit par Le Petit Journal Shanghai
Publié le 1 janvier 1970, mis à jour le 6 mars 2018

Dans le cadre du 12ème festival Croisements en Chine, Shanghai est une des trois villes (avec Canton et Pékin) qui a eu l'honneur d'accueillir Isabelle Huppert, actrice française au talent multi-récompensé et aussi très appréciée en Chine. Le temps d'un week-end, Mademoiselle Huppert a pu échanger avec le cinéaste renommé Jia Zhangke, lors d'une discussion très riche, et donner une lecture inédite de L'Amant de Marguerite Duras. Retour sur ces instants de magie et de performance de haut vol.

 

Rencontre au sommet de deux grands noms du cinéma

En ce samedi très pluvieux, dans le hall plutôt froid du Shanghai Culture Square, une assistance d'environ 200 professionnels et journalistes attendait impatiemment l'arrivée de deux grands personnages du cinéma très admirés en Chine. Isabelle Huppert, comédienne française la plus nommée aux Césars (16 fois), a remporté à deux reprises le César de la meilleure actrice (pour La Cérémonie en 1996 et pour Elle en 2017). Tavernier, Chabrol, Sautet, Kurys, Ozon, Pialat, Godard, Cimino, Wajda, Ferreri sont quelques-uns des metteurs en scène avec lesquels elle a travaillé. Très appréciée par le public français, au cinéma comme au théâtre, elle est aussi reconnue sur la scène internationale. Elle, le dernier film de Paul Verhoeven lui a d'ailleurs valu un Golden Globe et une nomination pour l'Oscar de la meilleure actrice. Sans oublier un Lion d'Or à Venise et de multiples succès théâtraux (Orlando, Le dieu du Carnage, Un tramway, Phèdre etc.).

Jia Zhangke, réalisateur, mais aussi producteur et acteur chinois, né dans les années 70, est considéré comme une figure emblématique du mouvement cinématographique chinois Sixth Generation. Après quelques premiers films plutôt underground, il a évolué et a commencé à se faire connaître grâce à son long-métrage The World (2004). Depuis le début des années 2000, ses films sont souvent nommés lors des festivals internationaux comme Cannes ou Venise, il a d'ailleurs reçu un Lion d'Or au festival de Venise pour Still Life (2006) et de nombreux professionnels disent même que Jia Zhangke figure parmi les réalisateurs majeurs aujourd'hui. Son dernier film, Mountains may depart, est sorti en 2015.

 

Femme de cinéma et de théâtre

Lorsque cette grande dame du cinéma arrive devant l'assistance, un bruissement se fait entendre. Petite femme d'apparence frêle, avec son teint diaphane et un sourire presque timide, Isabelle Huppert pose sur le public son regard assuré et profond, avant de lancer un hésitant, mais courageux, "Nihao !" et de saluer Jia Zhangke. Le dialogue peut alors démarrer.

Très vite, le réalisateur lui demande si elle travaille différemment ses rôles au théâtre et au cinéma. La comédienne répond qu'elle appréhende ses personnages de la même façon quelle que soit la scène. Le cinéma l'oblige à se confronter à elle-même et certains metteurs en scène aident à apporter encore plus d'épaisseur aux rôles. Mais avant tout, quand elle joue devant une caméra ou sur les planches, Isabelle Huppert  se dit être aussi spectatrice de sa propre performance. "Je joue mais j'ai besoin de me regarder jouer, comme si j'étais à la fois dedans et dehors".
 

Des rôles sans limites ni tabous

Quand on pense à Isabelle Huppert, on pense forcément à des rôles difficiles, parfois intellectuels, à des personnalités complexes, voire torturées, à des scènes assez dénudées aussi. Ce qui a une certaine résonance en Chine, et est aussi considéré comme une source d'inspiration.

On lui demande souvent qui elle est vraiment pour pouvoir jouer tous ces types de femmes. À cela, l'actrice répond avec légèreté : "Je suis très gentille ! Et je peux être un peu stupide aussi parfois !" Elle ajoute : "En fait, je ne comprends jamais complètement mes personnages, qui peuvent être sadomasochistes, pervers, aux limites de la folie parfois. Ce sont des miroirs donnés aux gens. Par crainte, le public les qualifie de détraqués, mais la plupart du temps, ils aiment mes interprétations de ces rôles ! Les spectateurs aiment être dérangés par ces personnages, car ils sont à la fois vulnérables et forts, ils mélangent le bien et le mal, la culpabilité et l'innocence, ils sont très humains au fond ! Cela explique en partie le succès de films tels que La pianiste ou Elle."

 

"Le pouvoir du temps présent"

Jia Zhangke souligne à quel point il admire chez Isabelle Huppert le nombre infini de détails travaillés dans ses performances : les expressions multiples de son visage, les mouvements de son corps, de ses mains, ses respirations, ses silences... Et il lui demande comment elle trouve son inspiration, de quelle façon elle prépare ses rôles. "Je suis très paresseuse en réalité, je ne fais pas de recherche en amont !", avoue l'actrice avec humour. "J'arrive sur le plateau et je joue". Elle affirme même ne pas avoir lu le livre de Jelinek dont est tiré le film La pianiste, sur les conseils du réalisateur Michael Haneke. "Je fonctionne à l'instinct et à l'intuition, je fais confiance au pouvoir du temps présent".

 

Rêves d'Asie

On le sait parfois moins mais Isabelle Huppert a tourné avec de nombreux réalisateurs internationaux et notamment avec le Coréen Hong Sang-soo à deux reprises, ainsi qu'avec le Philippin Brillante Mendoza. "Un tournage est un voyage, dans un lieu géographique, mais aussi dans un territoire mental différent, il n'y a pas de frontières. Le film de Hong Sang-soo In another country (2012) portait bien son nom d'ailleurs ! Cela parle d'une femme, sans repères, dans un pays qui n'est pas le sien. Travailler avec ce réalisateur est une expérience incroyable, amplifiée par la barrière de la langue sans doute?".
Elle ajoute : "Les metteurs en scène étrangers me prennent dans ma solitude". Et lorsque l'on demande à I'actrice quelles sont ses ambitions en Chine, elle répond avec enthousiasme qu'elle adorerait y faire un film avec un réalisateur chinois ! "Nous aimons beaucoup le cinéma chinois en France !"

 

L'art de suspendre le temps

C'est alors qu'une question un peu délicate surgit de l'assistance : en Chine, la société étant de façon générale dominée par les hommes, le public est habitué à voir à l'écran des femmes jeunes et belles et se demande comment Isabelle Huppert arrive à jouer ces rôles encore maintenant ! "J'espère être toujours jeune et belle !", ironise la belle Isabelle (née en 1953).  "Je n'ai pas changé ma façon d'appréhender mes personnages avec l'âge. Je fais vivre l'histoire à travers la perspective de ces femmes. Cela n'a rien à voir avec l'âge, mais plutôt avec le fait d'être du côté des femmes, de leur destin, de leur combat". Et à l'interrogation "comment devenir une vraie femme ?", l'actrice répond simplement "en suivant sa route, en restant soi-même. Le cinéma m'a permis d'explorer de nombreuses facettes de moi-même".

 

Quand Isabelle Huppert devient Marguerite Duras

Le choix de Marguerite Duras s'est fait naturellement. C'est tout d'abord une auteure connue et appréciée en Chine, grâce à ses oeuvres, et à son engagement politique aussi. De plus, Isabelle Huppert témoigne l'avoir connue, en tant que cinéaste, et aussi personnellement : "Marguerite Duras aimait profondément les gens, elle aimait que l'on se confie à elle". Pour cette lecture de L'Amant, des extraits ont été assemblés, afin de concentrer la performance sur l'histoire d'amour entre cette très jeune fille française et ce riche héritier chinois.

Pas de décor, juste la présence incroyable de la comédienne, vêtue d'une robe blanche, le livre en main, avec sa voix pour seul instrument. Dès son entrée en scène, le public s'est arrêté de respirer, attentif au moindre mouvement de son corps, au moindre geste de sa main, au moindre frémissement de la commissure de ses lèvres. Une heure trente de magie, hors du temps, devant un public majoritairement chinois. L'actrice a su faire passer toutes les émotions de ce texte simple, mais parfois ardu à la lecture, grâce à son talent d'interprétation et à sa présence. Applaudie à trois reprises par un public debout, fait plutôt rare en Chine, Isabelle Huppert a su montrer une fois encore à quel point elle était une immense actrice, qui sait aussi être chaleureuse, sincère et sympathique, et qui a beaucoup à donner à un public grandissant. "Isabelle Huppert bouleversante et bouleversée, le rythme Duras à fleur de peau".  (Zoé Vayssières).

Avec tous nos remerciements à Zoé Vayssières et Didier Pujol pour leurs témoignages et photos.

Delphine Gourgues Jeudi 15 juin 2017

 

Le Petit Journal Shanghai
Publié le 14 juin 2017, mis à jour le 6 mars 2018

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