Il est trois heures du matin dans le village de Xuhuanglu (Shandong). Dans leur serre, Xu Jinsheng et sa femme (cf photo) cueillent les concombres qu’ils vendront quelques heures plus tard à un grossiste, qui apportera ensuite les légumes aux supermarchés de Wuhan et Changsha. La coopérative agricole, a changé leurs vies : « A l’origine, ma famille cultivait sur 4 hectares et gagnait 24 000 yuans. Aujourd’hui, on cultive 10 hectares et on peut arriver jusqu’à 60 000 yuans ».
L’agriculture est un secteur clé pour le gouvernement chinois, qui lui dédie en chaque début d’année son document n°1. Elle a longtemps été une source d’inquiétude pour Pékin : en effet, comment nourrir 18% de la population mondiale avec seulement 8.5% des terres arables ? Une des stratégies mises en œuvre pour améliorer les performances du secteur a été d’encourager la création de coopératives, comme celle de Baimeng, dont fait partie Xu Jinsheng. En 2007, une loi apportait des financements publics pour faciliter la mise en place de « coopératives spécialisées ». L’idée est simple : réformer une situation historique de petits propriétaires de parcelles éparpillées en réunissant ces terres au sein d’une coopérative, qui peut ensuite investir dans des techniques agricoles plus modernes, augmentant ainsi les surfaces cultivables et surtout le rendement. Depuis lors, le nombre de ces coopératives est passé de 26 000 à 2 millions en février 2018, et concerne près de 48% des familles paysannes en Chine.
A Xuhuanglu, l’homme à la tête de cette initiative est le secrétaire du Parti local, Xu Zhendong. Après avoir fait carrière à Shanghai, il est revenu dans son village natal pour prendre en main ce projet. « La plus grande difficulté, explique-t-il, a été de convaincre les villageois de signer un contrat cédant leurs terres à la coopérative, d’autant plus qu’il n’y avait pas encore assez d’argent pour investir dans les serres ». Pari réussi pourtant, puisque depuis 2011, la coopérative Baimeng a fait construire plus de 200 serres, toutes équipées de caméras et de systèmes de régulation de température, le tout connecté avec un laboratoire à Shanghai. Ces serres sont ensuite louées aux paysans pour leur exploitation.
Pour l’anthropologue Liao Yue, spécialisé dans la Chine rurale, le but de ces associations est avant tout la gestion des subventions accordées par l’état et la reconstruction de la vie paysanne. Pour autant, le Parti conserve un rôle prépondérant dans la prise de décision au sein de la coopérative, en témoigne la double casquette de Xu Zhendong – à la fois secrétaire du Parti local et responsable de Baimeng. Les agriculteurs, eux, sont consultés, mais rarement à l’initiative. Comme l’explique Liao Yue, « le gouvernement veut que les paysans soient plus unis pour renforcer la puissance productive, mais il ne veut pas que ces agriculteurs se regroupent pour poursuivre d’autres objectifs que ceux purement agricoles ». Au final, au-delà du succès économique de ces coopératives, c’est une certaine solidarité retrouvée qui donnera un nouveau souffle à ces campagnes.
Par Charles Pellegrin