

Après l'interview de Scott, un Ecossais de 42 ans, superviseur d'une équipe de forage au large des côtes d'Aracaju, voici notre second entretien concernant les conditions de vie sur une plateforme pétrolière. Ricardo, un jeune Brésilien de 36 ans, officier naval sur le Helper, navire-ravitailleur danois chargé de déplacer et remorquer les plateformes pétrolières en haute mer a répondu aux questions du Petitjournal.com.
Ricardo, officier de la Marine Marchande
Ricardo naît en 1975 d'un mélange d'origines, assez classique dans la population brésilienne : mère blanche, d'origine anglaise, et père noir, mêlé à une descendance portugaise. Malgré les conditions modestes de la famille, l'éducation qu'il reçoit est de première qualité.
Après avoir conclu ses études secondaires avec succès, Ricardo opte pour la Faculté de Chimie (UNESP), mais il arrête en fin de première année quand les calculs compliqués remplacent les essais en laboratoire qui le passionnaient tellement. Il découvre alors par hasard, en lisant le journal, le concours de l'Efomm - Ecole de formation des officiers de la marine marchande -, à Rio.
Qu'à cela ne tienne ! Il s'inscrit dans un centre de langue anglaise, étudie tout seul pendant deux ans les manuels théoriques et passe les tests physiques, dont la nage... alors qu'il boit la tasse régulièrement. Ricardo entre donc à l'Efomm en 1998. Trois ans plus tard, il obtient son diplôme d'officier naval et débarque triomphalement dans le quartier où habitent ses parents, revêtu de son splendide uniforme blanc. Bref, Richard Gere dans le film Officer & Gentleman, la consécration !
Ricardo travaille maintenant depuis 11 ans dans le secteur du pétrole offshore. Les navires où il a déjà embarqué appartiennent consécutivement à Transpetro, Global Oceania, Norsul (entreprises brésiliennes) et enfin Maersk, compagnie danoise chargée de déplacer et remorquer les plateformes pétrolières de Petrobrás. Dans un an ou deux, il a l'intention de passer à la vitesse supérieure en présentant le concours de prático, c'est-à-dire la personne à qui le capitaine du navire "donne les rênes" quand le vaisseau arrive entre 20 à 50 kilomètres du port.
Le pratico a une connaissance exceptionnelle de l'estuaire et est en effet responsable du guidage des embarcations jusqu'au quai. C'est un travail hautement spécialisé !
Lepetitjournal.com : Comment s'appelle l'embarcation sur laquelle vous êtes ? Quel est son rôle exactement ?
Ricardo : Le navire s'appelle Helper et appartient à la compagnie danoise Marsk. Vous savez, celle dont vous voyez souvent les initiales blanches sur les containers marrons dans les films d'action avec poursuite de voitures sur le port. Le Helper est ce que l'on appelle dans le code marin international, un AHTSV : Anchor Handling Tug Supply Vessel, soit un vaisseau chargé de déplacer et remorquer les plateformes pétrolières selon les besoins, mais aussi de fournir le ravitaillement du personnel en nourriture, médicaments et produits lubrifiants, etc. C'est pourquoi, où que nous soyons, tous les 15 jours, nous faisons la navette et rentrons sur Rio, où se trouvent les entrepôts de la compagnie maritime.
Combien de personnes travaillent en tout sur le Helper et quelles sont les nationalités ?
Ce n'est pas un gros équipage, nous sommes 16 en tout. Le capitaine, l'ingénieur en chef et le second officier sont tous les trois anglais. Le second capitaine est russe, le premier officier est irlandais et le contremaître, portugais. Le reste de l'équipage est brésilien, comme moi. Sur les autres navires où j'ai travaillé, il y avait des Canadiens, des Australiens, mais aussi beaucoup de professionnels des pays scandinaves ou d'Europe de l'Est. On parle donc essentiellement l'anglais et mon surnom ici est Rickie. Je parle aussi un peu de suédois.
Combien d'heures travaillez-vous par jour ?
Tout dépend de ce que l'on fait. A l'arrêt, que ce soit en haute mer ou au port pour se ravitailler en eau fraîche, nourriture et produits spécifiques, on travaille 2 x 4 heures par jour. Cela monte à 2 x 6 quand on lève les amarres d'une plateforme avant de la déplacer. Et quand le Helper est en vitesse croisière (navigation), cela monte à 2 x 8 heures.
Et vous travaillez aussi un mois sur deux ?
Oui, environ. En fait, il y a plusieurs systèmes selon la compagnie ou le vaisseau. Sur le Helper, en ce moment, je travaille cinq semaines d'affilée et j'ai ensuite 35 jours de repos sur terre. Mais certains de mes collègues ailleurs travaillent six semaines de suite et ont après 42 jours de repos.
La journée de travail consiste en quoi exactement ?
Dans ma fonction actuelle, je passe la plupart du temps dans la salle de contrôle du navire, comme vous pouvez le voir sur la photo. Tout est fait par ordinateur aujourd'hui. Mais je suis aussi chargé d'inspecter régulièrement les lieux, vérifier les extincteurs, que les pièces des machines soient bien lubrifiées, etc. Quand on remorque une plateforme, je dois m'assurer qu'un petit malin ne va pas tenter de se faufiler avec son bateau, entre mon navire et la plateforme, au risque de couper les câbles nous reliant. En extérieur, sur le pont, je porte mon uniforme orange à bandes réfléchissantes pour éviter les accidents, surtout de nuit. Dans la salle des machines, l'uniforme est le même, mais de couleur marine. Enfin, en cabine, dans les couloirs, au réfectoire, etc., l'uniforme est bleu clair.
Après avoir enlevé les repas et les heures de sommeil, il ne reste plus grand-chose. Sur le Helper, nous avons accès à Internet avec wifi dans nos cabines et comme ici, les téléphones portables ne passent pas, inutile de vous dire que c'est le seul moyen de rester en contact avec famille et amis. Mais il arrive que nous soyions coupés du monde pendant un ou deux jours. Sinon, nous avons une salle de télévision et une salle de gym équipée d'appareils. Auparavant, on pouvait faire du jogging sur le pont, mais à cause des accidents (glissades et chutes dues aux embruns), Maersk a décrété l'interdiction. Nos collègues des plateformes pétrolières ont plus de chance, car ils disposent d'un terrain de foot grillagé.
Y a-t-il des femmes dans l'équipage ? Comment se passe la vie en commun ?
Sur le Helper, nous avons effectivement une femme qui travaille dans le métier depuis plusieurs années. En uniforme, c'est tout juste si on se souvient que c'en est une ! Quand nous sommes à quai, à Rio, certains de mes collègues cariocas en profitent pour courir chez eux, ne serait-ce que quelques heures. D'autres sortent faire la fête dans les bars alentours. Mais on s'habitue vite à ce mode de vie alternatif et moi qui suis célibataire et sans enfants, cela ne me pose aucun problème !
Parlons maintenant de sécurité. Votre travail est-il considéré comme dangereux ?
Oui, il y a toujours un risque et c'est en majorité pour cela que nous sommes si bien payés. Mais les consignes de sécurité sont très strictes. De manière générale, je n'ai jamais eu de grosse frayeur, sauf le mois dernier justement quand le Helper ne pouvait quitter la région de Florianópolis et que mon équipe a dû venir relayer les gars par hélicoptère. J'étais suspendu en l'air dans une espèce de panier à salade au-dessus de la mer houleuse et j'aime autant vous dire que je n'en menais pas large.
Vous avez sans doute quelques bonnes histoires à nous raconter ?
Oui, par exemple, en juillet 2007, à bord du Maersk Blazer (un vaisseau plus grand et plus moderne que le Helper), on était en stand-by, attendant les ordres de Petrobrás pour déplacer la plateforme PNA1. Durant le service d'entretien, un de leur bateau de sauvetage a été décroché par erreur et est tombé d'un seul coup dans les vagues. Nous avons dû le repêcher et le remorquer jusqu'à la plateforme. Il faisait beau, mais la mer était quand même agitée ce jour-là et j'ai commencé à avoir le mal de mer. Résultat : j'ai vomi tripes et boyaux devant l'équipage au complet... Inutile de vous dire qu'ils en ont fait des gorges chaudes ! Egalement, à bord du Maersk Vega, au cours d'une opération de ravitaillement et chargement de matériel (containers, machines, etc.), le câble d'acier de la grue s'est enroulé accidentellement à la jambe d'un marin qui s'est retrouvé suspendu la tête en l'air. Bref, des risques, il y en a tout le temps : incendie, collision, mer agitée, tempête d'électricité statique (phénomène assez impressionnant), rafales causées par des ouragans (heureusement, le Brésil n'est pas sur la route des cyclones), etc. Enfin et vous n'allez sans doute pas me croire, mais j'étais de garde de nuit avec un collègue quand nous avons soudain aperçu au-dessus de nos têtes, un Ovni en forme de... soucoupe volante, bien illuminé, qui a accompagné le navire sur toute sa trajectoire, de minuit jusqu'à l'aube. Mais le pire c'est que ni moi ni mon collègue n'avions notre appareil photo et on ne pouvait quitter la salle de contrôle sous aucun prétexte. Le lendemain, sans preuve matérielle, l'équipage s'est largement moqué de nous. Mais moi, je n'en démords pas.
Les habitants de Rio ont manifesté contre la nouvelle répartition des royalties du pétrole offshore. Quelle est votre position personnelle à ce sujet ?
C'est un peu compliqué. Dans l'absolu, je serais plutôt "pour" car les gisements pétroliers au large sont censés appartenir à tous les Brésiliens. Mais quand on pense à des Etats comme Piauí ou Rondônia où sévit la corruption, on se demande vraiment si le petit peuple verra un jour la couleur de ces pétro-dollars. Alors je comprends les Cariocas et leurs revendications.
Propos recueillis par Marie-Gabrielle BARDET (www.lepetitjournal.com - Brésil) Rediffusion
- Lire notre entretien avec Scott, un Ecossais superviseur sur un navire de forage





