

Frédéric Pagès, artiste français et amoureux du Brésil, a entraîné dix jeunes artistes de la périphérie de São Paulo dans une folle aventure : revisiter, en musique et à leur manière, les grands classiques de la littérature brésilienne. Un résultat détonnant qui pourrait redonner le goût de lire et faire redécouvrir João Antonio ou encore Machado de Assis aux jeunes générations
Au mur des tags colorés égayent la casa do hip-hop de la ville de Diadema, à moins de 20 kilomètres au sud-est de la capitale pauliste. Ils sont dix à chanter cet après-midi autour de l'unique arbre de la petite cour. Dix jeunes issus de la périphérie de São Paulo. Joggings larges, baskets et casquettes vissées sur la tête. Ils chantent à tour de rôle, tandis que les autres accompagnent en donnant le beat. Un air de hip-hop sur des paroles de?grands auteurs brésiliens ! Aujourd'hui, c'est le poème "Sofa" de Machado de Assis qui est transformé par ces jeunes artistes urbains, donnant ainsi un nouveau souffle à ce texte.
D'un ?il bienveillant et d'une oreille attentive, Frédéric Pagès, comédien et chanteur français, regarde et écoute ses élèves. C'est dans sa tête qu'a germé l'idée : utiliser la musique hip-hop pour apprendre et enseigner la littérature brésilienne. En 2009, année du Brésil en France, Frédéric Pagès rencontre le maire de Diadema lors d'une visite à Montreuil. Les deux villes sont jumelées avec de fortes similitudes : des villes de banlieue où les cultures urbaines comme le hip hop sont très présentes. Diadema a d'ailleurs créé la première maison du hip-hop au Brésil, un projet novateur à l'époque avec un objectif : pacifier la jeunesse de ces banlieues à travers la musique. "Le maire a tout de suite été emballé, on a discuté de mon projet pendant 3 minutes, et il m'a dit : ?Faisons-le !'", se souvient Frédéric Pagès, un amoureux du Brésil depuis une trentaine d'années.
Dix jeunes artistes - DJs, chanteurs ou danseurs- ont été sélectionnés pour mener à bien ce projet. Durant 6 semaines, ils ont écouté, décortiqué, chanté

"On dirait une feijoada!"
Fin de journée à Diadema. Au fond d'une petite rue, une maison qui ne paie pas de mine. Derrière la cour, un escalier mène à un modeste studio d'enregistrement. C'est dans une salle exigüe qu'ils se retrouvent tous autour de Frédéric Pagès pour écouter le CD enregistré. Après plus d'un mois de travail intensif, ces jeunes artistes sont impatients d'écouter le résultat. A l'écoute des premières musiques, les visages sont tantôt concentrés, tantôt amusés. "C'est la première que j'entends ma voix, s'amuse Andressa, une jolie danseuse de break-dance qui a posé sa voix pour la première fois. Je ne pensais pas que ce serait aussi bien, j'ai aimé la prestation de tout le monde et la mienne aussi ! J'ai été impressionnée par ma manière de chanter, d'interpréter le texte. Je ne m'en pensais pas capable." Frédéric Pagès, en professionnel, ne perd pas une note et écrit tous les ajustements instrumentaux à faire. "J'adore le résultat, s'enthousiasme Djoul. Ca donne vraiment quelque chose de différent. J'adore ce mélange de langages et de personnes, c'est comme une grosse marmite dans laquelle on aurait mis le texte, essentiel, et plein d'autres ingrédients. On dirait une feijoada !"
Le pari semble relevé pour cet artiste français! Le résultat est un CD de 12 titres pour découvrir ou redécouvrir la littérature d'une autre manière. Des auteurs comme Max Martins, Sergio Vaz, João Antonio ou Bruno de Menezes y sont réinterprétés sur des airs de samba, de hip hop ou sur des arrangements plus "jazzy"? Douze textes autour de l'héritage afro-brésilien, désormais inscrit dans le programme de l'éducation nationale. Ces "CD-livres" seront distribués aux professeurs dans les écoles de Diadema comme une méthodologie nouvelle pour enseigner la littérature aux enfants. Si l'essai est concluant, il pourrait être étendu au reste du Brésil.
Anne-Laure DESARNAUTS (www.lepetitjournal.com - Brésil) mardi 29 mai 2012





