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"Roi du vent" : la BD française sur l’Araucanie et le peuple mapuche

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Capture d'écran - couverture de la BD "Roi du vent"
Écrit par Naïla Derroisné
Publié le 31 mars 2021, mis à jour le 1 avril 2021

Le scénariste Fabien Tillon et l’illustrateur Gaël Remise nous font découvrir, en images, l’histoire d’Antoine de Tounens, explorateur français du 19e siècle qui rencontra le peuple mapuche et fonda le royaume d’Araucanie et de Patagonie. Conversation avec les auteurs. 

Un aventurier français, des aquarelles qui représentent l’Araucanie et la Patagonie, et en filigrane une histoire de liberté. Voilà de quoi est faite la bande dessinée Roi du vent, écrite par Fabien Tillon, illustrée par Gaël Remise, aux éditions La Boîte à Bulles.

L’histoire est celle d’Antoine de Tounens. En 1860, cet explorateur périgourdin quitte la France pour s'établir en Araucanie et Patagonie, territoires situés à l'extrémité australe de l'Amérique du Sud, à cheval sur le Chili et l’Argentine. Son rêve est ambitieux : Antoine de Tounens souhaite régner sur ces régions et unifier le peuple mapuche, pour le libérer du joug du gouvernement chilien. Fabien Tillon et Gaël Remise dressent le portrait de cet explorateur qui a réellement existé. Antoine de Tounens a effectivement voyagé au Chili, rencontré les Mapuches, et même fondé le royaume d’Araucanie et de Patagonie. Ce royaume, plus une nation qu’un état, représente ce peuple autochtone, uni par une langue, une culture et une histoire commune.    

Comment est né le projet d’écrire une bande dessinée autour du peuple mapuche, de l’Araucanie et de la Patagonie ?

Fabien Tillon : Quand j’étais plus jeune, mon père avait une ferme de crevettes en Équateur. J’ai donc pu découvrir le pays et les environs de Quito m’avaient beaucoup impressionné. Cette cordillère des Andes gigantesque me laissait imaginer à quoi pouvaient ressembler les montagnes du côté chilien. Elles sont à la fois écrasantes mais aussi tellement humaines quand on commence à les connaître. Cet univers m’a toujours attiré. Mais je n’ai jamais eu l’occasion d’aller ni au Chili, ni en Argentine. Et puis, il y a environ quinze ans, un ami a voulu réaliser une œuvre audiovisuelle à propos de l'explorateur français, Antoine de Tounens. Malheureusement pour des questions budgétaires, le projet n’a pas pu se concrétiser. Et il y a 4-5 ans, après avoir réalisé un livre sur Stradivarius avec Gaël, nous cherchions un autre personnage dont nous pourrions raconter l’histoire. Nous voulions, cette fois-ci, conter une aventure, un voyage. Et l’idée d’Antoine de Tounens m’est revenue en tête comme l’archétype même de l’aventurier.

Gaël Remise : Moi, je suis fan d’Ennio Morricone, des westerns et de l’aventure. Je souhaitais depuis longtemps travailler sur un projet de ce genre. Fabien m’a proposé l’histoire d’Antoine de Tounens. C’est un peu un western atypique finalement. On a donc commencé à travailler ensemble, pour la cinquième fois ! [Rires].

Antoine de Tounens a, d’une certaine manière, apporté la politique moderne, l’organisation administrative qui a permis aux Mapuches de s’unir avec d’autres ethnies contre un ennemi commun. - Fabien Tillon, scénariste de Roi du vent

 

Ni vous Fabien, ni vous Gaël, n’avez eu l’occasion de voyager au Chili ou en Argentine. Comment avez-vous fait pour dessiner les paysages de l’Araucanie et de la Patagonie sans jamais les avoir vus ?

Gaël Remise : Même si je ne voyage pas beaucoup, j’habite en Haute-Savoie donc pour le coup, je suis entouré de montagnes. Je vois le mont-blanc tous les matins. Les sommets, je connais ! Et puis évidemment, nous avons mené un gros travail de documentation en amont. Par exemple, j’aime rencontrer des personnes afin qu’elles me racontent les endroits où elles sont allées, avoir les photos de leur voyage, pour me faire une idée. Finalement, même si je n’ai jamais pu aller en Patagonie, j’y ai quand même voyagé à travers mes dessins.

Fabien Tillon : Pour écrire le livre nous avons aussi fait beaucoup de recherches : lectures, entretiens, visionnage de documentaires... Mais malgré notre enquête, il demeure quelques trous dans la biographie d’Antoine de Tounens, tout n’est pas très clair sur ses aventures au Chili et en Argentine. Donc, par moments, nous avons dû inventer ou subodorer. Nous respectons quand même les grandes dates, les faits importants. Mais il y a également une part de fiction. Nous avons pris quelques libertés créatives en ce qui concerne le personnage d'Antoine de Tounens. Nous ne sommes pas des historiens au sens strict, mais nous sommes des romanciers de la BD !

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Capture d'écran de la BD Roi du vent

 

Le titre du livre Roi du vent, a plusieurs lectures possibles. Quel sens lui donnez-vous ?   

Fabien Tillon : Nous avons fait exprès de choisir un titre polysémique. Moi, j’ai voulu insister sur l’absurde. Car, au fond, pourquoi un aventurier vit-il une aventure ? Il la vit car il s’imagine qu’au bout, il y aura un eldorado ou quelque chose comme ça. Mais en règle générale, il n’y a rien. Il n’y a "que" l’aventure, le voyage. Et l’aventure d’Antoine de Tounens s’inscrit dans l’absurde car son projet est difficilement réalisable. Mais il y a aussi une part de lyrisme dans tout ça. Car il a raison de vivre son aventure jusqu’au bout, d’essayer de vivre "plus haut que les autres", comme il le dit souvent. Il veut sans arrêt "être au plus haut de lui-même", "à la hauteur de son âme". Il y a aussi tout une dimension onirique : il faut vivre ses rêves ! Mais à l'instar de Don Quichotte, Antoine de Tounens ne voit que l'aspect romanesque de son entreprise et non toute la folie et la démesure qui entourent son projet.

Gaël Remise : Moi j’y vois aussi une autre dimension. Roi du vent, on peut l’interpréter comme Roi de rien. Car sur ces terres, sur ces landes, il n’y a rien. C’est donc un homme qui se bat pour un territoire qui n’a pas besoin d’être envahi ou d’être possédé ! Et où, surtout, vivent déjà les peuples premiers.  

Fabien Tillon : Oui, d’ailleurs le vent c’est aussi une métaphore qui illustre la liberté du peuple mapuche. C’est vrai qu’Antoine de Tounens va rencontrer et aider les Mapuche alors qu’ils ne lui ont rien demandé. Mais il n’est pas dans une démarche colonialiste comme pouvaient l’être les occidentaux à cette époque. Il est beaucoup plus respectueux et admiratif du peuple vers lequel il va, que beaucoup d’autres hommes blancs, les Espagnols, les Belges, les Français, les Allemands... Antoine de Tounens n’est pas dans cette logique. Bien qu’il soit quand même conscient de sa "supériorité". Lui qui possède entre ses mains des instruments du progrès mécanique et intellectuel du monde moderne de ce temps-là. Enfin, même si le peuple mapuche n’a jamais formulé son souhait d’avoir un roi blanc, le fait que les Mapuches aient accepté Antoine de Tounens, montre bien qu’il leur a apporté quelque chose : de l’espoir et une possibilité d’union. Car Antoine de Tounens a, d’une certaine manière, apporté la politique moderne, l’organisation administrative qui a permis aux Mapuches de s’unir avec d’autres ethnies contre un ennemi commun : les Espagnols.

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Capture d'écran de la BD Roi du vent

 

Quel est votre opinion quant au dit "conflit mapuche" dans la région de l’Araucanie, au Chili ?

Fabien Tillon : Nous sommes complétement d’accord avec le discours que tient Frédéric 1er, le prince du Royaume d’Aracaunie et de Patagonie. C’est le royaume fondé par Antoine de Tounens. Il existe toujours ! C’est très symbolique, bien sûr, mais il y a un conseil du royaume qui entoure le roi. Ce dernier travaille avec ses instances royales, composées de Mapuches, avec des associations, des ONG, notamment Auspice Stella qui défend la cause mapuche dans le monde. Frédéric 1er a réuni des témoignages d’exactions de l’armée ou de la police chilienne et les a présentés, il y a quelques années, devant la Cour internationale de Justice. L’objectif étant, d’assigner l’état chilien en justice pour différents méfaits, et notamment la tentative d'éradication d’un peuple et de son histoire. Le sujet dans son ensemble est complexe et, en tant que Français, je ne me permettrai pas de juger. Mais il me semble que les victimes sont quand même les Mapuches, même si on peut comprendre les nécessités de développement économique du pays...

Gaël Remise : Moi j’ai une sensibilité écologique, et j’essaye de retourner à des choses simples, qui sont proches de la Terre et de la nature... Et donc, en ce sens, la culture mapuche m’intéresse. Je pense qu’ils ont beaucoup à nous apporter. Mais notre livre n’est pas une bande dessinée coup de poing. D’ailleurs, le titre le montre très bien, on peut y voir plein de messages : le vent comme "l’absurde", le vent comme le "néant" ou même le vent comme la "révolte". Chacun possède sa propre interprétation. Toutefois, notre travail reste avant tout une humble BD sur l’aventure d’Antoine de Tounens en Araucanie et en Patagonie.

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